Ouate de cellulose (crédit : http://www.reflexe-energie.fr)
L’ « affaire
ouate de cellulose » a défrayé la chronique ces dernières semaines, comme
l’a raconté Le Moniteur. Ainsi, il est
intéressant d’y revenir afin de comprendre comment un secteur d’activité en
fort développement peut profondément s’auto-déstabiliser par des évolutions
confuses du cadre technico-réglementaire. Une lutte entre les acteurs de la
filière est observable, engendrant un désordre important… alors que les
concurrents ne sont pas exempts de tout reproche, avec des manœuvres d’un autre
âge afin d’en tirer profit. En effet, l’opposition entre les utilisateurs de
sels d’ammonium et de sels de bore n’est pas un simple contentieux entre frères
ennemis. Il s’avère que cela nuit à l’ensemble de la filière et que,
parallèlement, les concurrents de la filière ouate de cellulose manœuvrent afin
de durablement la fragiliser.
Sels d’ammonium vs sels de bore : choisissez votre camp !
Depuis une trentaine d’année, la majorité des fabricants de
ouate de cellulose utilisent les sels de bore comme antifongique dans leurs
matériaux. Or, en août 2011, ces derniers sont répertoriés dans la directive
européenne biocide même si, d’un
point de vue règlementaire, ils restent autorisés dans les isolants en tant qu’ignifugeant
(directive européenne Reach). C’est pour cette qualité qu’ils sont utilisés,
selon les fabricants de ouate de cellulose à base de sels de bore.
Pourtant, en septembre 2011, le groupe spécialisé numéro 20
(GS20) instruisant les demandes liées aux « produits et procédés spéciaux d’isolation
», dépendant de la Commission
chargée de formuler des avis techniques, nécessaires pour commercialiser
les produits sur le marché français, décide d’en interdire totalement l’utilisation,
à partir de septembre 2012, et ce au profit des sels d’ammonium. La CCFAT, composée
de représentants des ministères et de professionnels, est ainsi soucieuse de
promouvoir les qualités écologiques de la ouate de cellulose… ce qui peut
paraître paradoxale car celle-ci est certes fabriquées à base de vieux journaux recyclés,
mais contient également des produits chimiques (encre, etc.).
Changement de cap en janvier 2013 : les sels de bore sont de nouveau autorisés sur le marché français des isolants, et pour une durée minimum de six mois, par cette même CCFAT (le compte rendu est à ce sujet assez éloquent). A l’inverse, les sels d’ammonium sont totalement interdits, décision rendue effective par arrêté du 3 juillet 2013, publié au Journal Officiel. De même, la Direction Générale de la Santé préconise l’enlèvement des isolations à base de ouate de cellulose avec sels d’ammonium.
Les raisons de ce retournement sont pour le moins expéditives : on observe une
recrudescence des émissions d’ammoniac, ainsi que des risques d’incendie, au cours de l’automne
2012, dans des habitations isolées avec de la ouate de cellulose aux sels d’ammonium.
En effet, le nouvel additif, remplaçant les sels de bore, serait instable,
produisant des émanations gênantes (dans un contexte de températures élevées et
d’humidité importante) qui peuvent être problématiques en termes sanitaires.
Toutefois, derrière ces questions techniques, les différents
revirements de la CCFAT (et du GS 20) laissent planer, chez les petits acteurs,
l’ombre de grands groupes industriels. Pas seulement ceux qui promeuvent la
ouate de cellulose traitée aux sels d’ammonium mais aussi des groupes vendant
d’autres isolants (laine minérale, isolants biosourcés, etc.) concurrencés
frontalement par la ouate de cellulose. Comme le rappelle Le
Moniteur, « dans la petite famille de
l’isolation, il n’y a pas vraiment de secrets et on sait que, à côté des
entreprises et des contrôleurs, les industriels sont largement représentés,
qu’ils soient producteurs de laine minérale (Isover, Rockwool), fabricants
d’isolant biosourcé (Buitex) ou bien encore fabricants de ouate de cellulose
(Soprema, qui compte plusieurs milliers de salariés [et qui a toujours fait
de l’absence de sel de bore un argument commercial pour ses produits traités
aux sels d’ammonium] et la PME suisse
Isofloc) ».
Simple contentieux
entre frères ennemis ou volonté de nuire de la part d’une autre filière ?
Ce micmac entre frères ennemis est donc bien plus complexe
qu’il n’y paraît. Ainsi, en janvier 2013, la Commission Prévention Produits mis
en œuvre (C2P), de l’Agence
qualité construction (AQC, qui fait référence chez les professionnels), décide
de mettre sous observation les procédés d’isolation thermique à base de ouate
de cellulose. Or, pour les professionnels de la filière, cette décision n’a
rien d’anodin.
D’une part, parce que les enjeux économiques sont
importants. Même si la ouate de cellulose représente moins de 5 % du marché
français de l’isolation (chiffre d’affaire total de 1,3 milliard d’euros), elle
est en croissance exponentielle ces dernières années. De 10 000 tonnes
produites en 2009, la production représente 50 000 tonnes en 2012, via le
développement de plusieurs PME spécialisées en France ainsi que l’installation
de lignes de production.
D’autre part, l’opacité des organismes interprofessionnels est
souvent pointée par les petits acteurs... à leur détriment. Ainsi, selon Thierry
Toniutti, directeur de la PME Ouateco, « le lobby des grands industriels français de l’isolant a échoué au sein
du CSTB [le Centre
Scientifique et Technique du Bâtiment en
charge de réaliser les tests pour la CCFAT],
alors ils le poursuivent à l’AQC ».
Comme le rappelle Le
Moniteur, la C2P, dont les membres bénéficient de l’anonymat, ne dispose
que d’un représentant des industriels, renforçant la méfiance des PME de la
ouate de cellulose qui s’interrogent sur la représentativité et l’objectivité de
la commission. Celle-ci rassemble en outre des assureurs, des certificateurs,
des bureaux de normalisation, la FFB, la Capeb, des contrôleurs techniques… et le
CSTB ?!
Ainsi, pour les PME utilisant le sel de bore et regroupées au sein d’Ecima (Association européenne des producteurs
de ouate de cellulose), toutes ces actions ont un relent de concurrence
déloyale des gros contre les petits. Comment mettre en avant la dangerosité de
la ouate avec sels de bore alors qu’elle est largement diffusée sur le
continent américain ou en Allemagne ? Et pour donner corps à ces
ambiguïtés, le GS 20 (CCFAT), qui compte 35 membres dont l’identité n’est pas
rendue publique, reconnaît finalement que la réglementation
européenne Reach autorise bien la présence de sels de bore jusqu’à une
concentration de 5,5 %... ce qui est bien supérieur aux quantités présentes dans la ouate
de cellulose traitée avec les sels de bore ?!
Dans cette bataille d’influence, chacun peaufine ses
arguments, rameute ses soutiens, notamment politiques, quitte à user de la voie
judiciaire. Une médiatrice, Nadia Bouyer, est même nommée par l’Etat afin de
calmer les protagonistes. Finalement, en juin 2013, la validité des avis
techniques des isolants en ouate de cellulose avec sels de bore est prolongée
jusqu’à l’été 2015 (voire 2016), le temps de trouver des solutions de
substitution au sel de bore utilisé comme ignifugeant.
Tout ça pour ça ?
S’il n’y avait que le ridicule de la situation, qui a quand
même duré deux ans (et ce n’est pas fini), cela pourrait prêter à sourire. En effet,
les produits avec sels de bore n’ont finalement été bannis par la CCFAT que
quelques semaines... et semblent les grands vainqueurs de cette mascarade.
Vraiment ?
Vraiment ?
On peut en douter. Déjà, les enjeux techniques sont toujours
d’actualité : trouver une formule pour la ouate de cellulose permettant de
s’affranchir autant des sels de bore que des risques de dégagement d’ammoniac. Plus grave, le discrédit des instances définissant le cadre technico-administratif
de la filière ouate de cellulose la déstabilise fortement. Comment donc ne pas
analyser la vente par Isofloc, durant l’été 2012, de son site de production français,
ouvert trois ans plus tôt, comme un signe avant-coureur d’une décrépitude de la
filière ?
L’opacité et la complexité des instances, la lourdeur des
protocoles de certification, etc., sont autant de signes négatifs envoyés aux
consommateurs, les amenant à terme à privilégier d’autres isolants produits par des sociétés cyniques qui n’hésitent pas à user de toute leur influence pour augmenter leur
chiffre d’affaires ! Il ne reste donc que ces pistes
à valoriser et à crédibiliser pour que la filière ouate de cellulose
perdure durablement.
[mise à jour 27 août 2014] : cette affaire ouate de cellulose rappelle celle concernant la normalisation des produits isolants Actis, que nous avons traité sur ce blog, ainsi que le rôle trouble joué par certaines institutions et grandes entreprises. L'OPECST s'en est fait l’écho à plusieurs reprises. A lire notamment, Le politique en soutien à l’innovation : le rôle constructif mais méconnu de l’OPECST
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