L'isolation thermique par l'extérieur, arme de destruction architecturale massive ? (source : sppef.fr)
L’esthétisme
est-il soluble dans le BTP ? Loin d’être le prochain sujet du bac de
philosophie, la profession bruisse d’un nouveau débat induit par le projet de loi
relatif à la transition énergétique : l’impact de la rénovation obligatoire
du bâti sur le patrimoine architectural national. En effet, divers articles
feraient la part belle aux techniques d’isolation thermique par l’extérieur,
habillant le bâti rénové d’un linceul bien peu esthétique. Si cela est approprié sur des maisons et immeubles quelconques, qu’adviendrait-il de nos habitations
et bâtiments presque centenaires, voire plusieurs fois centenaires ?
Le débat est
ardu car les enjeux économiques et de bien-être sont enchevêtrés avec
ceux en lien avec la sauvegarde du patrimoine. Par définition affective,
passionnelle, la culture est quelque chose de précieux et la France en a
une grande acuité. D’où la cristallisation des débats entre différents
protagonistes. Toutefois, il serait faux de croire que le secteur de la
construction-rénovation, sur cette question, soit l’ennemi. En effet, malgré
les perceptions et clichés qui ont la vie dure, BTP ne signifie pas
obligatoirement « bourrin écervelé » (désolé pour l’image).
Des interrogations légitimes
Les enjeux
du changement climatique, de la fracture énergétique (85 % des logements en France
sont mal classés pour la consommation énergétique : étiquettes D, E et F
dans les diagnostics) mais aussi de l’obsolescence
des bâtiments (pour la plupart construits dans les années 1950 et 1970) rendent
nécessaire une politique publique de rénovation du bâti. Or, cet objectif entre
en collision avec des enjeux financiers (comment financer ?) mais aussi
historiques. La France, première nation touristique et pays fier de son Histoire,
de ses territoires et invariablement de son architecture, se doit de prendre en
compte ces enjeux qui touchent les Français au plus près.
Ainsi, l’actuel
projet de loi sur la transition énergétique, notamment son volet sur l’isolation
du bâti, soulève des interrogations de la part des professionnels de la
protection du patrimoine. En effet, une des méthodes mises en avant – imposée
selon certains détracteurs – est l’isolation
par l’extérieur (ITE), c’est-à-dire la pose d’un isolant (polystyrène,
laine de roche…) sous un enduit, une vêture ou un bardage.
Or, si cette
généralisation de l’ITE s’avérait obligatoire, les bâtiments historiques (pas
les Monuments
Historiques qui sont soumis à une autre législation) perdraient de
leur intérêt esthétique et authentique, ce qui aurait des conséquences
négatives sur l’activité touristique mais également sur la relation entre les
individus et le territoire où ils vivent. En outre, l’ITE serait susceptible de
fragiliser le bâti existant, le rajout d’une couche affaiblissant les
fondations. Pour finir, les bâtisseurs d’avant optimisaient au mieux ce qu’ils
avaient sous la main. Aussi, l’inertie thermique est valorisée, les murs étant
les régulateurs entre le dehors et le dedans. L’isolation par l’extérieur
viendrait étouffer la maison, la mettre sous cocon hermétique. Aussi, en Bourgogne,
dans le Loir-et-Cher
ou encore en Alsace,
la colère gronde.
A titre d’exemple,
en Alsace, le Service territorial de l’architecture et du patrimoine a réalisé,
en juillet 2013, une fiche
technique sur l’isolation des bâtiments, avec photos
à l’appui. Selon lui, « la pose d’une isolation thermique extérieure dénature
et appauvrit la qualité́ architecturale du bâti ancien, car elle rigidifie la
façade et entraîne la disparition des éléments architecturaux composant la
façade (encadrements, pierres d’angle, corniche). Ce procédé́ n’est donc pas
adapté au bâti ancien ».
Une inquiétude grandissante entendue par
les sénateurs
Il n’est pas
surprenant que dix
associations liées à la sauvegarde du patrimoine rural bâti et paysager critiquent
vertement l’article de la loi relatif à l’obligation d’ITE. Selon elles*, même
les maires « ne pourront pas s’opposer, que ce soit en zones de protection
du patrimoine architectural, urbain et paysager (ZPPAUP), les Aires de mise en
valeur de l’architecture et du patrimoine (AVAP), les abords de Monuments
Historiques, les immeubles labellisés patrimoine du XXe siècle, les sites
inscrits sur la Liste du patrimoine mondial de l’Unesco, comme la baie du
Mont-Saint-Michel ou le Val de Loire ». Leur communiqué est explicite :
si la loi est adoptée, « elle signerait la destruction à terme de 90% du
patrimoine bâti ancien ».
Cette inquiétude
est remontée au niveau politique, via la commission de la culture du Sénat, qui
a nommé la sénatrice Françoise Férat pour mener un travail
d’auditions afin d’évaluer les impacts sur le patrimoine d’une possible
obligation d’isolation du bâti par l’extérieur. Or, il s’avère que la
problématique semble ardue à simplifier : arguments et contre arguments s’enchaînent,
des articles de lois s’opposent à des dérogations, et il faut encore prendre en
compte les avis du gouvernement et des députés… Bref, un vrai micmac.
Toutefois,
au-delà du débat parlementaire somme toute banal sur les avantages et les
inconvénients d’une loi, le grief principal concernant la loi
sur la transition énergétique est l’imposition d’une méthode d’isolation
unique : l’isolation par l’extérieur. Peu valorisée en France, alors qu’elle
est généralisée en Allemagne, au Danemark et dans les pays nordiques, cette
technique se trouverait promue de manière institutionnelle. Une belle victoire
pour les professionnels qui ont créé, en 2013, le Syndicat
national des bardages et vêtures isolés (SNBVI), regroupant dix
industriels.
Les architectes en première ligne
Déjà pourfendeur
de la mention RGE, l’Ordre des architectes est vent debout contre le fait d’imposer
l’ITE,
dommageable pour le patrimoine. Selon lui, il est nécessaire de « laisser
les professionnels de la maîtrise d’œuvre être juges de son utilisation selon l’aspect,
l’usage, l’occupation ou la disposition du bâtiment dans le site ».
Autrement dit, systématiser une solution unique d’isolation est
contre-productif… et d’y voir le rôle
du lobby des professionnels du ravalement mais aussi d’associations
écologistes.
Le CNOA tout
comme Rémi
Desalbres, président de l’Association des Architectes du Patrimoine, réitèrent
alors le nécessaire audit préalable du bâti avant toute opération, ce que seuls
les architectes peuvent réaliser du fait de leur compétence et de leur
indépendance. En effet, en ne promouvant que le discours concernant la
précarité énergétique et la nécessaire rénovation du bâti, en évacuant tout
débat contradictoire et toute réflexion globale sur cette question importante,
la France ferait exactement la même erreur que durant les années 1950-1970 :
l’urgence d’une situation amène des réponses critiquables à court terme et
fortement dommageables à long terme. Ainsi, l’obligation urgente de construire
des logements, à l’époque, a peu ou pas fait prendre conscience des effets négatifs
majeurs que nous payons encore aujourd’hui (ségrégation sociale,
infrastructures inadéquates, laideur architecturale…). Le même problème se pose
aujourd’hui : en imposant l’isolation des logements via l’ITE, la France se
condamne à voir dénaturé son patrimoine, et donc son Histoire. Le combat des architectes
est donc bien légitime : l'architecture n'est-elle pas le
premier des arts ?
L’actualité
est donc à la promotion du dialogue entre les acteurs. A ce propos, il est
intéressant de noter la création de Build Beyond by Knauf par l’industriel allemand en 2013 dans le but de « rapprocher
art et architecture afin de susciter des opportunités de création et d’échange
novateur ». Les professionnels et les métiers, quels qu’ils soient, sont incités
à s’ouvrir, à moins évoluer dans un environnement claquemuré, à dépasser leurs
traditionnels limites, fixées objectivement ou inconsciemment. En clair, à
chacun de s’approprier ce qui lui semble intéressant chez l’autre (un matériau,
une idée) pour le façonner différemment, pour le valoriser autrement, c’est-à-dire
de manière innovante. L’inspiration s’en trouve décuplée, l’esprit créatif
valorisé.
Et que dire du Concours Design « Magnifier le PVC » organisé par le syndicat représentant la filière de l'extrusion plastique (SNEP) et la renommée Ecole Boulle ? Bref, qui a dit que le BTP était étroit d’esprit ?
Et que dire du Concours Design « Magnifier le PVC » organisé par le syndicat représentant la filière de l'extrusion plastique (SNEP) et la renommée Ecole Boulle ? Bref, qui a dit que le BTP était étroit d’esprit ?
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sur Twitter : @Bati2030
* L’Association
nationale des Architectes des bâtiments de France (ANABF), la Demeure
Historique (DH), Docomomo France, Maisons Paysannes de France (MPF),
Patrimoine-Environnement (LUR-FNASSEM), Remparts, Sauvegarde de l’Art Français,
Société pour la protection des paysages et de l’esthétique de la France (SPPEF),
Vieilles Maisons Françaises (VMF).
« laisser les professionnels de la maîtrise d’œuvre être juges de son utilisation selon l’aspect, l’usage, l’occupation ou la disposition du bâtiment dans le site »
RépondreSupprimer100% d'accord avec cette citation de l'article. Il y a trop de généralisation sur l'ite. Autant des pros qui proposent trop souvent le même système, que des personnes qui ne sont pas du métier et qui pensent qu'une isolation est forcément en polystyrène et forcément pas esthétique.
Alors que d'autres isolant existent, et l'esthétique d'une façade peut être conservée, même s'il y a des corniches et des modénatures.