Internet bouscule la profession : l'exemple des petites annonces (source : radin.com)
Sommes-nous
vraiment tombés aussi bas ? Alors que le BTP et l’immobilier s’enferrent
toujours dans le marasme, deux députés du groupe socialiste ont eu la bonne
idée de proposer un encadrement stricte des transactions immobilières sous
prétexte que deux adultes – un vendeur et un acheteur – sains d’esprit, s’ils
faisaient affaire sans passer par un professionnel, risqueraient de fragiliser
la base fiscale sur laquelle est assis l’Etat. Retour sur une histoire
« abracadabrantesque », qui révèle des enjeux plus divers qu’il n’y
paraît.
En effet,
au-delà de s’interroger sur le fonctionnement du monde politique et sur son appétence pour l’économie,
il est intéressant d’analyser le débat qui existe au sein de la profession des
agents immobiliers. Celle-ci a-t-elle réellement compris dans quel monde nous
vivions ?
Deux génies incompris ou le coup des lobbies ?
A l’Assemblée
nationale, le 21 octobre 2014, la députée PS Sylviane Bulteau avance,
dans une question
aux Ministères des Finances et de l’Economie, que les sites d’annonces
immobilières gratuites exercent une concurrence déloyale envers les
professionnels. Pis, l’Etat en est également victime puisque celui-ci ne peut
percevoir divers impôts et taxes assujettis à la transaction. Et de cibler sans
le nommer le site bien connu Le Bon Coin (mais il ne faudrait pas oublier « de
Particulier à Particulier », véritable institution de la profession).
Selon la députée, « le principal site internet d’annonces gratuites en
France, accessible sans inscription préalable, propose environ 260 000
annonces. Si l’on considère une somme moyenne de 6 000 euros HT sur ces
transactions, à laquelle on applique 20 % de TVA, on obtient 312 millions d’euros
environ de manque à gagner pour l’Etat ». Et de demander la position du
gouvernement à ce sujet et s’il compte légiférer.
Les jours
qui suivent sont marqués par un certain émoi dans la profession mais également
chez des députés de l’opposition. Mais que dire quand, une semaine plus tard, Jacques Cresta,
lui aussi député PS, pose mot pour mot la même question ?
Peut-être le gouvernement avait-il mal entendu la première fois ?
Il n’en faut pas plus pour y voir un coup des lobbies. Tonino
Serafini, spécialiste logement à Libération, démonte un à un les arguments
avancés. Alors que les députés, en ces temps de disette budgétaire,
pensaient avoir trouvé l’angle adéquat en avançant les moindres rentrées
fiscales pour l’Etat dans le cas d’une vente directe, l’expert interrogé par le
journaliste ironise sur la bêtise de la proposition : et pourquoi ne pas
passer par un professionnel pour toutes les choses de la vie ?
Et Tonino Serafini de rappeler le
lobbying de certains professionnels pour que l’Etat rende obligatoire l’utilisation
de leurs services pour chaque transaction. Le rôle de CapiFrance est ainsi mis
en lumière, le réseau immobilier ayant publié un communiqué mi-décembre à ce
sujet. Pourtant, celui-ci apparaît plus mesuré qu’il n’y paraît. Ainsi, la
question des deux députés a surtout le grand intérêt de montrer les
conséquences de la révolution numérique pour la profession et le comportement
des entreprises et des politiques.
Une profession mal à l’aise
avec le numérique
Il est un fait : les nouveaux acteurs du numérique (Le Bon coin
dans le cas présent) ont su mettre la main sur un élément de la chaîne de
valeur de l’immobilier, précisément le travail réalisé par les agences
immobilières. Celles-ci jouent en effet le rôle de négociant entre l’acheteur
et le vendeur, centralisant les informations stratégiques pour l’un et l’autre
au sujet du bien à vendre.
Ces sites d’annonces immobilières sur Internet saperaient donc l’activité
des acteurs historiques. Pas si sûr. Effectivement, comme généralement avec le
numérique, le fournisseur de l’information (ici les agences) est dans une
relation ambivalente avec la plateforme. Il fournit une grande partie des
annonces (75%
des annonces sur Le Bon Coin sont le fait d’agences)… mais doit en plus
payer pour s’y retrouver. Or, s’il ne le fait pas, d’autres concurrents le
feront. Sans oublier que son référencement Internet sera fragilisé. A l’heure
où quelques sites monopolisent l’attention au quotidien (Facebook, Le Bon Coin…),
un vendeur ne peut se permettre non seulement de ne pas y être, mais surtout de
ne pas y avoir une visibilité maximale.
D’où l’idée des principaux réseaux de créer leur propre site et de
centraliser les annonces. Bref, de se fédérer contre la nouvelle menace que
sont les acteurs du numérique. Laurent
Vimont, PDG de Century21 harangue d’ailleurs la profession : « il
est temps de prendre notre destin en main ». Toutefois, cela doit s’accompagner
d’une révolution
des mentalités : allez expliquer aux différents protagonistes qu’il
faut dorénavant travailler ensemble sur certains éléments de la chaîne de
valeur alors que l’habitude était à la concurrence acharnée. Allez expliquer
aux agences que ce qu’elles faisaient au sein du syndicat professionnel à l’encontre
des politiques (s’opposer ou phagocyter certaines lois) doit dorénavant se
prolonger dans l’environnement commercial. Les sites d’annonces online jouent d’ailleurs
là-dessus : l’atomisation des acteurs pour rafler la mise. Autre écueil :
la coopération des agences risquent de mettre en exergue les pratiques de
chacun mais surtout de donner une visibilité de ces usages aux consommateurs. Or,
ce début de transparence risque d’entacher la réputation de certains acteurs
historiques.
Le monopole ou la liberté :
la bataille des anciens et des modernes
L’émergence d’acteurs 100% Internet dynamite des secteurs dont l’intensité
concurrentielle est peu élevée. On le voit avec les taxis. Cela s’apparente à
une libéralisation à marche forcée, provoquée par les évolutions technologiques.
Or, comme souvent, la législation a du mal à suivre… tout comme les acteurs
historiques bercés de leurs habitudes.
La légitimité des revendications pour protéger la profession se brise
sur les évolutions d’un monde immatériel, connectant de plus en plus de
personnes, à toute heure et en tout lieu. Pourtant, à regarder de plus près, la
prise
de position de Philippe Buyens, directeur général délégué de CapiFrance, pourrait
paraitre mesurée et pertinente. En effet, celui-ci prend pleinement conscience
des conséquences de l’arrivée des acteurs du numérique et de la nécessité, non
pas de contrôler les relations nouées entre vendeurs et acheteurs, mais de
renforcer les services et expertises apportés par l’agent immobilier. En clair,
celui-ci devrait avoir un statut aussi déterminant que celui du notaire – et donc
un monopole – afin de minimiser les contentieux, de fluidifier les transactions
et, plus globalement, de renforcer la confiance et la qualité des prestations
proposées.
Toutefois, cette analyse semble passéiste. En effet, les évolutions sont
bien comprises mais les pistes pour remédier aux impacts négatifs (sous-entendus,
pour la profession) restent anciennes : l’appel à l’Etat pour légiférer
dans le sens de plus de protection. A l’inverse, la lecture de la tribune
de Jean-François Buet a le mérite d’être clair et de poser le débat entre
les anciens et les modernes chez les agents immobiliers.
Le président de la FNAIM part d’un constat : seule une vente sur
deux environ se fait sans le concours d’un mandataire. Ce qui s’apparente à un
manque de confiance de la part des Français. Les professionnels devraient donc
s’interroger là-dessus tout en avançant que les solutions ne passeront pas par
les pouvoirs publics. Bref, un monopole sur les transactions immobilières ne
signifiera pas une amélioration de la situation.
Ainsi, il existe une bataille « philosophique » entre les propositions
de Philippe Buyens, intéressantes mais catégorielles, et celles de
Jean-François Buet, qui font la part belle à l’introspection de la profession. Ce
dernier est alors très explicite sur la question des députés « Faut-il la
soutenir ? Au risque de choquer, je ne le pense pas. Derrière
une intention dans laquelle je vois un hommage rare au rôle des agents
immobiliers, je discerne des pièges et un embarras ». En effet, l’idée
d’obligation passe mal. Est-ce bon pour l’image de la profession ? Cela
renforce-t-il la confiance des acheteurs et vendeurs dans celle-ci ?
Selon lui, l’arrivée des sites Internet d’annonces immobilières favorise
certes les ventes en direct mais cela ne fait pas pour autant disparaitre la
profession. En clair, Internet est une opportunité pour ne pas mollir. « L’organisation
actuelle de nos activités, qui fait la part belle à la liberté des
professionnels et de leurs clients, favorise la diversité. Sur une base commune
d’obligations, les agents immobiliers ajoutent la valeur qu’ils estiment
pertinente, pour le prix qu’ils jugent opportun. C’est grâce à cette
différenciation que le consommateur procède à sa sélection ». Un vrai choc des
cultures au sein du secteur et un exemple à méditer pour notre pays.
Le principe de réalité,
vite !
Et les
politiques dans tout ça ? La révolution numérique impacte les comportements
de chacun. Mais à la lecture des griefs des deux députés, on peut se demander s’ils
en ont bien saisi tous les enjeux. Bien sûr, en remettant en question nos
habitudes, de consommation par exemple, la révolution numérique nous oblige à
redéfinir certaines pratiques de nos politiques publiques (ici la
fiscalité). Toutefois, dans le cas des ventes immobilières directes, Internet
ne fait que renforcer l’échange d’information et en aucun cas ne créé un
nouveau mode de consommation. Les annonces, qui hier étaient sur papier, sont
dorénavant dématérialisées. Ce n’est pas comme dans le cas d’Amazon où l’arrivée
d’un nouvel acteur s’appuyant sur Internet sape les activités des libraires
« en dur » via des acrobaties
comptables.
Au-delà de
cette incompréhension sur l’impact du numérique sur les transactions
immobilières, il y a aussi la grille de lecture de nos politiques (en tout cas,
un grand nombre) vis-à-vis de l’économie et des entreprises : tout doit
être contrôlé, mesuré et taxé. Pourtant, la simplification devait être le
leitmotiv du gouvernement ?
Pour finir,
au-delà de la profession, l’affaire de la « double question » met une
nouvelle fois en lumière les pratiques
de certains acteurs en termes de lobbying. Cela les décrédibilise, tout
comme les députés pointés du doigt. A croire que les mauvaises pratiques ont la
vie dure. Jusqu’à quand ?
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