Les trois dimensions de la vie du bâtiment : conception, construction et gestion
(source : http://www.cleantechrepublic.com)
La nécessité
de construire pour loger les Français, dans les années 1960 et 1970, a eu pour
conséquence de placer la conception et la construction d’un bâtiment, quel
qu’il soit, comme les deux seules étapes étudiées et réalisées par les acteurs
du BTP. Ainsi, historiquement, architectes et constructeurs ont une vision
réductrice de leur activité mais également une tendance à la prétention. Ils seraient
les seuls acteurs légitimes sur le secteur, ce qui n’est pas sans cocasseries
quand on connaît les relations interprofessionnelles entre ces deux catégories.
Bien
évidemment, cela est regrettable en bien des points : pour eux d’abord, car
cette mentalité les empêche de prendre en considération l'ensemble des
évolutions de leur secteur d’activité et d’en prendre la pleine mesure ; pour
la Nation ensuite, qui voit dorénavant comme problématique centrale la question
de la rénovation thermique.
De fait, une
troisième dimension de la vie du bâtiment (faisons abstraction de sa
démolition) apparaît : sa réhabilitation.
Ainsi, les enjeux énergétiques et environnementaux actuels, au-delà d’avoir des
répercussions sur la conception et la construction du bâtiment, ont également
des aboutissants sur la gestion du bâti. En effet, il est rare en France
d’avoir une gestion « à la chinoise » consistant à construire et
détruire (disons tous les 15 ans) les bâtiments d’une zone afin de faire place
nette à de nouvelles structures.
De fait, la
réhabilitation des habitations est devenue une question centrale du
gouvernement, peut-être même plus
importante que la problématique de la construction de logements neufs. Sans
revenir sur les aides financières à disposition ou encore les différents
constats sur la politique actuelle en matière de rénovation énergétique des
logements, intéressons-nous à une idée qui fait son chemin dans le
milieu : la création d’une carte d’identité du bâtiment, permettant
d’optimiser sa durée de vie.
La gestion du bâti au centre de toutes les
attentions
Ces derniers
mois ont vu l’émergence de différentes réflexions concernant les politiques de
rénovation thermique (et leurs échecs). Par exemple, UFC-Que Choisir a
vertement critiqué la mention
RGE tout en proposant la mise en place d’une filière d’experts indépendants
appelés « architectes-énergéticiens ».
Ceux-ci seraient ainsi en mesure de réaliser un audit complet du bâti, de coordonner
les travaux de rénovation et de mener les audits de fin de travaux.
D’autres
acteurs ont également fait des propositions mais se sont focalisés, non pas sur
le système actuel de rénovation et les différentes parties prenantes, mais sur
le bâtiment lui-même. Ainsi, tout en évitant soigneusement de se mettre à dos
une partie de la profession en critiquant le système actuel, ces différents
organismes ont promeut une idée intéressante : faire de la problématique
de la gestion du bâti la question centrale à résoudre si on veut atteindre les
objectifs assignés par le gouvernement.
Par exemple,
le groupe
de travail GT4 piloté par Alain Maugard, président de Qualibat, dans le cadre d’Objectifs
500 000, a présenté son passeport énergétique à points, en février
2014. En s’appuyant sur la logique
de progressivité des travaux, « chaque
opération pourrait être associée à un certain nombre de points qui, cumulés
permettrait le déblocage de l’aide publique de l’Etat au bout d’un seuil à
définir. On peut même imaginer d’y introduire une date limite pour les travaux,
à l’image d’une carte de fidélité. Les points seraient attribués par
l’entreprise RGE et détenu par le particulier. Au final, le particulier qui a
fait ce parcours énergétique, certes en plusieurs fois, aurait le même avantage
financier que celui qui a fait réaliser son bouquet de travaux en une seule
fois ».
De même, en
mai 2014, le Plan Bâtiment Durable a annoncé la création d’un groupe de travail
sur la thématique « Rénovation
des logements : du diagnostic à l’usage », avec notamment une focalisation
sur la carte
vitale du logement. Confié à Emmanuel Cau, élu EELV et vice-président du
Conseil régional de Nord Pas-de-Calais, ainsi qu’à André Pouget, gérant du
bureau d’études Pouget Consultants, ce groupe de travail doit donner les
conclusions de ses travaux à l’automne, notamment sur deux
questions prépondérantes : comment est organisée et circule
l’information dans les projets actuels de rénovation ? Quelles sont les
initiatives publiques ou privées qui sont proches d’une « carte vitale » ?
Toutefois, The
Shift Project semble être l’organisme qui est allé le plus loin dans la
théorisation et la présentation de son passeport rénovation énergétique. Ainsi,
le think tank propose que chaque logement dispose d’un document qui répertorie
les évolutions dont il a fait l’objet : un diagnostic de performance
énergétique établissant les consommations et dépenses énergétiques réelles, une
préconisation de travaux à réaliser et un planning de réalisation par un
artisan qualifié.
The Shift Project et le passeport
rénovation énergétique : l’acteur et l’idée du XXIème siècle ?
The Shift
Project a mis en pratique une idée toute bête mais indispensable pour faire
évoluer les sociétés complexes comme les nôtres : être à l’interface de
différents mondes (universités et écoles, entreprises, société civile, pouvoirs
publics et institutionnels) qui ne communiquent pas ou peu entre eux (la
lecture ou relecture d’Edgar Morin, le
théoricien de la complexité, sont essentielles pour vivre dans le monde
actuel). Ainsi, The Shift Project a
émergé en 2010, avec l’initiative de Jean-Marc Jancovici,
celui-ci souhaitant mettre en œuvre une rupture dans la philosophie de la
définition et la mise en œuvre des politiques publiques. Très vite, ce think tank
a su fédérer divers
acteurs importants, allant du
monde de l’entreprise (BTP, énergie : EDF, Schneider, Enertech,
Bouygues, Saint Gobain, Rockwool…) aux agences publiques (Agence Parisienne du
Climat, Effinergie...).
De cette
alliance est née, entre autres, l’idée de mettre en place un passeport
rénovation énergétique, projet présenté en juin 2014. A noter qu’une conférence
sur ce sujet est donnée le 30 septembre, avec présentation d’une prémaquette
du passeport ainsi que de l’étude pilote.
Présentation du passeport rénovation énergétique en juin 2014
Les slides sont disponibles ici
Ainsi, le constat
de The Shift Project est sans appel : mener une politique de rénovation
thermique des bâtiments sur la simple incitation fiscale montre ses limites. Mais surtout, il y a un problème de prise de conscience par les propriétaires
de l’importance de l’isolation du bâti, ne serait-ce qu’en termes financiers,
puisque les prix de l’énergie, même s’ils sont en hausse, reste faibles
comparativement à d’autres pays. Comme le dit Brice Maillé, chef de projet de
The Shift Project, « compte tenu du
prix actuel de l’énergie, la rénovation énergétique est peu rentable pour le
propriétaire. Lui dire qu’il va économiser 500 euros par an pour des travaux
qui oscillent entre 20 et 30 000 euros, cela ne passe pas ! Le propriétaire est focalisé sur le
confort de son logement et la valorisation de son patrimoine : ça lui
parle ».
Le passeport
rénovation thermique du logement, à la fois carnet de santé du bâtiment et
guide d’accompagnement des ménages pour leurs futurs travaux, serait la solution
pour remédier à ces écueils. Il est donc un échéancier des travaux à réaliser
obligatoirement, permettant une planification cohérente. Il a aussi un puissant
effet d’entraînement puisque, selon The Shift Project, la filière se structure,
gagne en visibilité (des travaux à faire, c’est-à-dire du chiffre d’affaires
sur plusieurs années) et en compétences. La théorie étant faite, encore faut-il passer à la pratique...
A vouloir contourner le problème, on revient
toujours au point de départ
Deux
bémols peuvent être avancés à la proposition, néanmoins pertinente, de The
Shift Project. D’une part, la différence entre l’association de consommateurs
et le think tank est que UFC-Que Choisir pense – à raison selon nous – que le
niveau des formations « reconnu grenelle environnement » est bien
trop faible pour obtenir de bons résultats alors que The
Shift Project n’évoque pas/peu ce sujet. Mettre le bâti au centre de la
problématique est une vraie rupture dans la réflexion et la définition des
politiques publiques, puisque le vrai problème est le faible niveau de
rénovation, selon le think tank.
Toutefois, en
raisonnant de manière systémique (Cf. Edgar Morin), il faut bien noter que le
problème de compétences est imbriqué à l’exigence de rénovation. De fait, il est absolument nécessaire de prendre en compte la question
de la formation des auditeurs/diagnostiqueurs. Ce que
semble omettre (en partie) The Shift Project. Pourquoi ? Parce
son projet pilote de passeport rénovation nécessite le soutien des acteurs en
place (CAPEB et FFB en tête) ? Bref, on ne le dira jamais assez : le
mal qui mine le BTP français est l’inadaptation chronique des salariés et
entreprises, notamment aux enjeux de la rénovation
énergétique.
Le deuxième point qu’effleure The Shift Project concerne le rôle des politiques et leur ignorance face à la problématique. Dans sa plaquette
de présentation (page 9), le think tank explique bien qu’il
cherche à atteindre les décideurs politiques via des actions d’influence sur
les décideurs économiques, les médias et les corps intermédiaires, qui eux, à
leur tour, influenceront les décideurs. Stratégie intéressante, absolument
nécessaire, mais quid du résultat ? Ce que reconnaît parfaitement
Jean-Marc Jancovici dans cette intervention décapante, très instructive et
réaliste sur la psychologie de l’homo politicus et la sociologie du monde
politique. Selon lui, le dialogue entre le monde de l’expertise technique et
celui des décideurs politiques est pris dans un goulet d’étranglement
extrêmement fort qui s’appelle les médias et les lobbys. Pas
seulement les entreprises mais aussi les ONG environnementales, ces corps constitués qui ont l’ambition de peser sur la décision
publique. Et d’ajouter : « s’attaquer
frontalement à la place de la Bastille est un truc qui n’est pas commode ». Faire passer un message est compliqué mais le mettre en œuvre, c'est-à-dire voter une loi, l'est encore plus...
Jean-Marc Jancovici sur la psychologie de l’homo politicus
et la sociologie du monde
politique
Ainsi, The Shift Project est une excellente idée, un acteur hybride
capable de fédérer des acteurs variés : un million d’euro de
budget sur l’année, tout de même, et 5 permanents. De même,
le passeport rénovation énergétique est une vraie rupture (au sens positif du terme, précisons le...), centrant la
problématique sur la gestion du bâti dans une logique de progressivité et
d’efficacité. Toutefois, au bout d’un moment, cette idée doit être mise en
œuvre. Autrement dit, il faut dépasser la simple théorie et prendre en compte le
fonctionnement du système actuel… Et on en revient à la question des
compétences et de comment l’action publique peut les renforcer. Réalisme, quand tu nous tiens...
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sur Twitter : @Bati2030
Merci beaucoup pour cette information, je travaille dans l'industrie de la construction et l'ai trouvé très utile.
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