Et si le
feu était un prétexte bien commode pour vendre ses produits ?
Pas de
dérogation à l’obligation d’installation de détecteur de fumée ! Sylvia Pinel,
ministre du Logement, a tranché. Il était temps, après dix ans d’atermoiements.
Il est vrai que l’incendie est un marqueur de la petite comme de la grande Histoire,
laissant des traces dans la conscience collective et individuelle. Qui ne se
souvient pas d’une histoire racontée par ses grands-parents sur une maison
familiale qui a brûlé ou encore ces grands
incendies qui ont décimés des villes ou des quartiers ? A Paris, le souvenir
des inondations est toujours là… tout comme celui des incendies : pour
le plus récent (2005), le tristement célèbre hôtel
Paris-Opéra et ses 25 victimes. Sans oublier que la France
a été durablement marquée par l’incendie du 5-7 en 1970.
Le feu est
une calamité à combattre et le détecteur de fumée est un moyen de le faire. Mais
pourquoi, alors, autant de temps pour le rendre obligatoire ? A cause de l’impéritie
des pouvoirs publics ? Abordons plutôt le sujet autrement. Et si,
finalement, le risque incendie n’était qu’un épiphénomène ? Et si la question
des détecteurs de fumée, en invoquant l’impératif de sauver des vies, n’était
qu’une vieille ficelle marketing bien connue ? En effet, la peur engendre
certains réflexes pavloviens comme le besoin de protection. Aussi, il n’est pas
question ici de cyniquement discuter l’importance ou non des morts – des drames
– liés aux incendies mais de poser la question de notre résilience face à ce
phénomène, de la nécessité de l’analyser avec raison et d’avoir un questionnement
légitime sur l’argumentaire employé par les acteurs en présence. Bref, de se
demander si le feu n’est pas un prétexte bien commode.
Un détecteur, c’est bien ; La
prévention, c’est mieux
D’après le
ministère du Logement, il
existe « six bonnes raisons » d’installer un détecteur de fumée,
mêlant peur, esprit civique et évidence absurde. Ainsi, un détecteur, ou DAAF
pour les experts, permet de « sauver des vies, détecter les fumées, agir
vite contre le feu ». Mais aussi « que cette protection n’est pas
chère, que le détecteur est facile à installer ». Sans oublier le
savoureux « parce que c’est obligatoire ». Effectivement, c’est une
bonne raison !
Lancement de la campagne nationale de prévention contre les incendies domestiques
Sylvia Pinel (Logement) et Bernard Cazeneuve (Intérieur)
Le
ministère n’en oublie pas de préciser que l’on peut aussi prévenir les
incendies, avec quelques règles de base, pour ne pas dire du bon sens :
par exemple, des installations électriques non surchargées d’appareils (la
fameuse prise où est branchée une multiprise qui alimente… des multiprises) ou
encore l’entretien régulier des installations de gaz, de chauffage et d’électricité.
De même, et surtout, il est nécessaire d’avoir des comportements irréprochables
(ne pas fumer au lit, surveiller les plats sur le feu, éviter les produits
inflammables près de corps chauds…), ceux-ci restant le meilleur moyen de
minimiser les risques.
Les chiffres pour constater. Mais
quoi ?
Pour démontrer
la nécessité du détecteur de fumée, le ministère
du Logement et la Fédération
française des métiers de l’incendie (FFMI) assènent une quantité de
chiffres et de statistiques. Ne prenons que ceux concernant le nombre de morts.
Ainsi, les incendies d’habitations provoquent le décès de 800 personnes annuellement.
Pis, ils sont la deuxième cause de mortalité chez les moins de 5 ans.
Or, ce
discours jette un trouble. En effet, certains sites – notamment
les assureurs – disent plutôt « jusqu’à 800 morts » quand d’autres
sources internes de la FFMI parlent même « de
600 à 1 200 morts par an ». Quid ? Ainsi, sans vouloir minimiser
le risque incendie et les drames qui peuvent subvenir, il est intéressant de s’interroger
sur les bases de ce discours provenant à la fois du ministère et du syndicat
professionnel des métiers de l’incendie. On veut faire prendre conscience du
risque et montrer qu’il y a une solution : le détecteur. Mais les
chiffres avancés sont incohérents. De plus, d’où viennent-ils ?
Ce que disent les chiffres du ministère de
l’Intérieur
La direction
générale de la Sécurité civile et de la gestion des crises, au sein du
ministère de l’Intérieur, centralise les données statistiques concernant les
incendies de toutes sortes. Ainsi, ceux-ci représentent 7% des interventions
totales des pompiers en France.
D’après
les chiffres
2014 des services d’incendie et de secours (SDIS), il y a eu
281 908 incendies (habitations, véhicules, végétations…) dont 82 698
feux d’habitations (29,3% du total). Or, la FFMI avance que les incendies sont
« des catastrophes
humaines qui ont lieu principalement en habitation (90% à 95%) ». Ce
que les chiffres des SDIS ne confirment pas.
Quant aux personnes
décédées, il y en a eu 231 pour 1 086 victimes médicalisées. Bien loin du
nombre avancé par le ministère du Logement et la FFMI. Mais
peut-être que certaines victimes, malheureusement, succombent quelques jours
après la catastrophe ? Le chiffre de 800 décès paraît étonnant quand même,
qui plus est au regard d’anciennes statistiques. Ainsi, dans un document de
2004 sur la prévention du risque incendie, l’Institut
national de prévention et d’éducation pour la santé avance le chiffre de
460 décès et d’environ
500 en 2007.
Pour finir,
le ministère et la FFMI se permettent d’utiliser l’argument suivant : les feux
d’habitation sont la deuxième cause de décès chez les enfants de moins de 5 ans,
après la noyade. Or, ce raisonnement est perfide et révoltant, jouant sur la
peur de perdre son enfant pour obtenir un choc psychologique et orienter les
personnes vers l’achat d’un détecteur. Où est l’éthique ? En effet, et
sans vouloir minimiser l’impact psychologique de la perte d’un enfant, l’Institut
de veille sanitaire a établi lors d’une étude en 2012 (période du 1er
juin au 30 septembre) qu’il y a eu 1 238 noyades accidentelles en France,
provoquant 497 décès dont 28 parmi les moins de 6 ans, 47 de 6 à 19 ans et 145
chez les plus de 65 ans.
En clair –
et en disant cela avec des pincettes – les feux d’habitations provoquent le
décès de seulement une vingtaine d’enfant de moins de 5 ans par an. Or, cet
argument est mis en avant dans la campagne de communication du gouvernement et
de la FFMI. On peut comprendre la volonté de marquer les esprits mais la
démarche est nauséeuse.
L’exemple d’outre-Manche
Sylvia Pinel,
tout comme les professionnels de la lutte incendie, rappellent souvent l’exemple
de l’Angleterre, avec ses 88%
d’habitations équipées d’un détecteur. Il aurait été préférable qu’ils
lisent au préalable les différents rapports. En effet, les derniers
chiffres disponibles dans l’excellente étude du Department
for Communities and Local Government font état de 258 personnes décédées. Or,
52% d’entre elles vivaient dans des habitations avec des détecteurs…
De fait, l’exemple
britannique, si souvent avancé par les promoteurs des détecteurs de fumée,
casse le mythe du détecteur comme panacée de la lutte contre les incendies
mortels. Certes, le nombre de mort a baissé de 38% en dix ans mais est-ce seulement
grâce aux détecteurs ? Qui plus est que le détecteur peut être source d’imbroglio
puisqu’il y a eu ainsi 293 100 fausses alarmes. A méditer au regard des
212 500 incendies…
Par
ailleurs, les statistiques britanniques sont bien mieux fournies et précises
que celles françaises. On y apprend que la cigarette (37% des départs de feu)
et les appareils de cuisson sont les causes principales de déclenchement d’un incendie
de domicile. En outre, plus de la moitié des victimes ont plus de 65 ans.
Ainsi, un
outil statistique fiable et précis permet d’élaborer des préconisations
pertinentes et ciblées dans la lutte incendie : la cuisine, les personnes
âgées… Surtout, il est mis en évidence le rôle fondamental des comportements des
personnes (cf. la cigarette), levier approprié pour réduire les risques.
Un foisonnement des arnaques,
cimentant le scepticisme des Français sur la question
La Fédération Française des
Métiers de l’Incendie le dit elle-même : attention aux arnaques. Avec 37
millions de logements dont les propriétaires doivent (faire) installer un détecteur
(à 20 euros en moyenne), le marché est lucratif : pas moins de 740
millions d’euros de chiffre d’affaires potentiel !
L’association
de consommateur UFC-Que
Choisir, fidèle à sa mission d’utilité publique, a déjà listé les pièges
à éviter et la presse
en fait ses gros titres. Certaines associations de copropriétés se sont
également emparées du sujet pour mettre en
garde leurs membres et aussi faire passer le message que les syndics ne
sont pas tous des escrocs.
Ainsi, « il
n’existe ni installateur mandaté ou agréé par l’Etat, ni de diplôme d’installateur
reconnu par l’Etat », prévient
la DGCCRF, qui rappelle également que le prix moyen d’un détecteur est de
20 euros, celui-ci pouvant être installé par le seul occupant du logement. Et de
donner des chiffres
inquiétant montrant l’ampleur du phénomène : 1802 plaintes
enregistrées en 2013 et 1469 en 2014.
Devant ces
exemples et la faiblesse des arguments invoqués par le ministère du Logement, il
ne faut pas s’étonner que les Français soient sceptiques sur les avantages à
retirer de la pose d’un détecteur. En effet, d’après un sondage
Opinonway, 59% des personnes interrogées sont déjà convaincues que toute
leur famille sait quoi faire en cas d’incendie… sans pour autant posséder un
détecteur. Pis, 40% des personnes interrogées n’ont pas l’intention d’en
acheter un, malgré la loi. Le taux est le plus fort chez les tranches d’âge
18-24 ans (64%), 25-34 ans (50%) et 35-49 ans (42%) mais également chez les
CSP+ (49%). Idem chez les locataires : 61% n’ont pas l’intention d’acheter
un détecteur de fumée, renvoyant la responsabilité
au propriétaire.
Risque incendie et bâtiment
La peur est une
valeur sûre dans le discours marketing et cela se retrouve dans la campagne
menée par le ministère du Logement et les professionnels. Or, pour l’instant,
les Français ne semblent pas « boire ces paroles ». Plus précisément,
il y a un vrai paradoxe démontré par le sondage Opinionway : le feu est
bien ancré dans l’esprit des personnes mais on est persuadé d’avoir les réactions
appropriées face à cette catastrophe. Pourquoi ? Peut-être parce que le feu
ne provoque plus – heureusement – de grandes tragédies en France. La sécurité
routière l’est, et l’a encore plus été dans les années 1970 quand il y
avait 18 000 morts par an contre 3 400 en 2014. Il y a eu une prise
de conscience collective mais également individuelle.
Pourtant, des
entreprises continuent de s’appuyer sur le risque incendie, avec toutes les
limites statistiques qu’il peut y avoir, pour en faire un argument marketing. Ainsi,
dans le bâtiment, les promoteurs
de logements et d’immeubles en bois doivent constamment se défendre contre
cette idée bien ancrée dans l’inconscient… et souvent rappelée par des
concurrents : le bois brûle. Or, le bois – qui plus est traité – présenterait
une excellente tenue au feu.
De plus,
loin de vouloir argumenter comme la National Rifle Association,
affirmant que ce n’est pas l’arme qui tue mais la personne qui s’en sert – “Guns
don’t kill people; people kill people” : argument simpliste mais ravageur
–, il pourrait être avancé que ce n’est pas le bâtiment qui brûle, mais les
objets (meubles, canapés, matelas…) à l’intérieur.
Pourtant, les
fabricants
de produits isolants continuent de promouvoir un argumentaire ambivalent pour
faire de l’isolation des bâtiments un rempart contre le risque incendie. L’isolant
assure la résistance au feu des parois tout en évitant que l’isolant lui-même
soit un risque pour l’habitant (émission de fumées et de gaz toxiques). Or, là aussi,
les statistiques de la Sécurité civile, même si elles doivent être améliorées,
mettent en avant la rapidité des interventions des pompiers. Ainsi, même s’il y
a des morts (malheureusement), ils ne sont pas causés par l’intoxication de
fumées provenant d’isolants carbonisés mais plutôt par la combustion des meubles,
lits ou canapés.
Aussi,
présenter l’isolant comme rempart au feu, et par voie de conséquence en faire
un élément différenciant dans son discours marketing vis-à-vis de produits
concurrents, est trompeur. Certains
le font pourtant, avançant que « plus d’isolants signifie plus de
matière combustible, donc des incendies plus longs et plus dangereux ». La
peur comme levier concurrentiel a donc un bel avenir, et va sans doute s’appliquer
à l’isolation
thermique par l’extérieur, dont le développement est fulgurant.
Tout comme
au niveau européen, où la promotion de l’isolant comme rempart contre le feu
est le fait de syndicats de pompiers (European
Fire Fighters Unions Alliance) soutenus par l’organisation Fire Safe Europe…
regroupant des fabricants d’isolants (laine de verre et laine de roche) tels
que Knauf Insulation, Rockwool ou encore Paroc. Et l’argument est bien
rodé : la
législation doit être revue urgemment pour minimiser la tragédie des
incendies, et notamment protéger les pompiers en opérations. En effet, les
matériaux utilisés actuellement ne sont pas tous résistant au feu, rendant
celui-ci imprévisible et dangereux.
L’obligation
de mise en place de détecteur de fumée permet de sauver des vies. Qui s’y
opposerait ? Le problème est que l’argumentation et le chiffrage laisse à
désirer. Pour faire plaisir à certains intérêts ? Pis, alors qu’il est dit
que poser un DAAF est important, il est aussi expliqué, dans le même temps, qu’aucune
sanction n’est prévue à ce jour. De même, si incendie il devait y avoir,
la garantie incendie joue même sans détecteur, selon la Fédération
française des sociétés d’assurances. Bref, était-il bien nécessaire de
faire une loi ? En effet, un simple arrêté municipal dans des zones à risque aurait
suffi. Chambéry,
en 2004, a ainsi rendu obligatoire d’installer un détecteur de fumée (ainsi
qu’un extincteur) dans les parties privatives des appartements, pour les
immeubles du centre-ville.
Surtout, les
professionnels de la lutte incendie tout comme le ministère du Logement devraient
privilégier la mise en place d’un outil statistique performant, gage de
meilleures politiques publiques dans la lutte incendie à l’avenir. Peu ou prou ce
qui avancé pour la politique du logement. Ce qui aurait aussi comme intérêt
de casser les discours marketing faisant du feu un partenaire bien commode pour
vendre ses produits.
Nous suivre
sur Twitter : @Bati2030
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
N'hésitez pas à poster vos commentaires et avis !