Novembre 2014 : les pro-barrage de Sivens manifestent contre les « zadistes » à Albi
(source : tempsreel.nouvelobs.com)
La question
pourrait paraître incongrue tant les besoins en logements, en réfection d’infrastructures
ou la construction de nouvelles sont d’une nécessité criante pour notre pays. Ne
parlons pas de financement, il en existe de toutes sortes avec leurs
avantages et leurs inconvénients : la contrainte budgétaire rend l’Etat
précautionneux, le péage est regardé comme du racket, les impôts comme du vol,
quant aux partenariats
public-privé… Parlons plutôt de l’importance des infrastructures, socle à
la fois politique et économique d’un pays. Ou plutôt de leur utilité. Or, cette
notion ne revêt pas la même signification selon les époques, les générations ou
le bord politique.
Ainsi, il
est nécessaire de s’interroger sur la confiance que l’on porte aux responsables
politiques et économiques qui soutiennent le projet. En effet, comme le
rappelle le sociologue
Jean Viard : « tant que l’Etat a été perçu comme porteur de grands projets
motivés par l’intérêt collectif, l’aménagement du territoire a peu souffert de
contestation. Mais la société ne semble désormais plus tenir une vision claire
du bien public. Ces grands projets contestés sont synonymes de gâchis et de
gabegie. Là aussi, ce ne sont pas seulement des militants écolos qui le disent
mais la Cour des comptes ». Aussi, est-il permis de poser la question : y
a-t-il encore une envie d’infrastructures en France ?
Chantiers sous tensions et projets « zadifiés »
Les équipes
régionales du journal Le Moniteur ont réalisé une cartographie des 32 chantiers
sous tension actuellement. Première constatation : tout type de projet est
ciblé (énergie, transports, bâtiments et zone d’activités, déchets). Deuxième constat : l’ensemble de la
France est touchée.
Pis, certains chantiers deviennent des ZAD : ces fameuses zones à défendre, tenues par des ZADistes dont même eux ont du mal à définir le terme. Le Moniteur se fait même l’écho des préoccupations des acteurs du BTP, qui se trouvent démunis face à ce mouvement disparate : comment protéger les chantiers des activistes ?
Pis, certains chantiers deviennent des ZAD : ces fameuses zones à défendre, tenues par des ZADistes dont même eux ont du mal à définir le terme. Le Moniteur se fait même l’écho des préoccupations des acteurs du BTP, qui se trouvent démunis face à ce mouvement disparate : comment protéger les chantiers des activistes ?
Il en
existerait ainsi 5 en France. Au-delà des connues – l’aéroport de
Notre-Dame-des-Landes (Loire-Atlantique), le chantier de construction du
barrage de Sivens (Tarn) et le Center Parcs de Roybon (Isère) – il y a
également des ZAD dans la plaine de
Montesson (construction d’une grande zone commerciale à la place de champs,
Yvelines) et à Sainte-Colombe-en-Bruilhois
(projet de LGV Bordeaux-Toulouse).
Un ZADiste est un opposant, un opposant n’est
pas obligatoirement un ZADiste
A écouter Serge
Perraud, maire de Roybon, les ZADistes sont « des terroristes, des
anarchistes, qui agglomèrent autour d’eux des gamins ! ». Pour Philippe
Layat, éleveur exproprié par le Grand Stade de Lyon (mais non-ZADiste), ce
sont « des écolos et des cocos, des hippies, des cafards qui ne servent à
rien. […] On n’est pas de la même obédience, on ne peut pas s’entendre ».
Aussi, il
est convenu que les ZAD regroupent des personnes de la mouvance écologiste
radicale mais aussi d’extrême gauche. Toutefois, les spécialistes en politique
pourraient vous expliquer qu’il existe des passerelles entre ces deux mondes…
tout comme des oppositions historiques et inconciliables. De fait, les ZADistes
s’opposent bien à un projet… mais pas pour les mêmes raisons.
En outre, la
contestation peut tout aussi bien être le fait de la population locale :
des agriculteurs comme dans le cas de la plaine de Montesson, des riverains à l’encontre
des enceintes sportives, etc. Les opposants ne sont donc pas tous de dangereux
gauchistes ou des djihadistes
verts et il n’est plus rare de voir certains projets
combattus par des associations de pêcheurs, des associations de
consommateurs, etc.
En effet, les
citoyens ne veulent plus seulement savoir. Ils veulent aussi être consultés,
voire pouvoir proposer des solutions alternatives. De fait, la ZAD « se
crée » lorsque le dialogue est absent ou rompu. Elle est, en quelque
sorte, l’aboutissement de l’échec de la (non)consultation… tout comme une
réponse politique choisie par des groupuscules pour se faire entendre. Mais
avec quelle légitimité et dans quel cadre légal ?
Légitimité et légalité : le balancier
en mouvement
Les ZADistes posent
la légitimité de leurs actions – la défense de la nature, l’opposition à un
système économique vicié – comme raison suffisante pour occuper un terrain. A l’inverse,
les maitres d’œuvre des projets avancent l’idée que leur légitimité vient du
peuple, c’est-à-dire du système démocratique, avec les élections comme outil –
certes imparfait – de décision. Ainsi, Alain Cottalorda, président du
conseil général de l’Isère rappelle que « 41
maires ont été élus ou réélus sur ce projet [de Center Parcs de Roybon] »,
lors des dernières élections municipales en mars 2014.
L’opposition
est donc frontale : pas seulement sur l’argumentaire mais également sur la
manière de voir le monde et d’y vivre. Toutefois, la société
de l’information tend à donner une crédibilité et une visibilité aux
ZADistes. Pourquoi ? Justement parce qu’ils arrivent à agréger des individus
de tout horizon et à donner, à leur action, un caractère exceptionnel et
populaire (les petits contre les gros méchants bétonneurs) mais aussi une
certaine médiatisation, reprise par des mouvements amis : EELV,
Greenpeace…
Leur combat
connaît donc une certaine légitimité dans le sens où cette légitimité
renvoie à l’acceptabilité de la part du public (ou d’une partie) : il
existe un bien fondé à l’action car celle-ci a pour but de défendre les intérêts
d’une population. Mais qu’en est-il de la légalité ? Question qui se pose
autant pour les ZADistes que pour les promoteurs ou l’Etat. Comme le dit Dominique Bourg, professeur
à l’université de Lausanne (géosciences et environnement), « il est
rarissime que la légalité suffise à rendre une décision légitime. La légitimité
en question est par définition inséparable des caractéristiques de la décision
et de son contexte. Pour qu’un barrage soit légitime, il ne suffit pas qu’un
élu en décide. Il faut que le dossier sur lequel il s’appuie soit
scientifiquement et technologiquement solide, qu’il soit au fait des intérêts
en cause et qu’ils les aient consultés. La légitimité est ainsi le fruit d’une
construction démocratique complexe ».
Le monde
actuel est donc fait de complexité et d’intérêts enchevêtrés. Certes, on peut
ne pas être d’accord avec ce que dit Dominique Bourg mais ses propos doivent
interpeller. Aussi, l’opposition à un projet d’infrastructure, qu’elle soit le
fait de ZADistes ou non, signifie qu’on ne s’oppose pas uniquement à un mode de
développement (analyse simpliste visant à disqualifier la parole ZADiste, « gauchiste
et intégriste ») mais aussi qu’on s’oppose à un progrès qu’on ne comprend
pas, aux décisions venues d’en haut de la part d’institutions républicaines
dans lesquelles la confiance s’est érodée. Finalement, on s’oppose au manque de
respect.
L’Etat, le coupable idéal ?
Il serait faux
de croire que l’Etat est devenu « mauvais » durant la dernière
décennie. Depuis 1945, il y a de nombreux exemples de gâchis financiers (exemple de l’aérotrain
dans les années 1970) ou d’opposition des populations locales : le
nucléaire est un cas récurrent et avant lui, les barrages hydroélectriques. Encore
aujourd’hui, les populations se souviennent avec émotion de la construction du
barrage de Tignes en Savoie (1947-1953), pour ne prendre que cet exemple. A ce
sujet, le très beau film la Folie des hommes,
avec Michel Serrault et Daniel Auteuil, est inspiré de l’histoire du barrage du
Vajont (Italie, 1956-1959) et retrace les tourments des populations.
Toutefois, l’Etat
est-il le seul responsable de ces grands projets ? N’existe-t-il pas une
demande en infrastructures de la part des populations, pour le développement
des territoires ? Cela était vrai dans l’après-guerre. Cela l’est toujours
actuellement. Avec la décentralisation, les élus locaux voient leurs
prérogatives se renforcer mais également leurs obligations envers les
populations. L’élu n’est plus un « gestionnaire de boutique » mais un
manager des atouts de sa localité, la valorisant pour attirer entreprises,
commerces et populations nouvelles, dans le respect des équilibres historiques,
sociologiques, etc.
Aussi, l’élu
se doit de fédérer les populations pour réaliser une définition concertée d’un
projet et sa construction. Mais comment fédérer les différents acteurs alors
que la défiance règne, que la parole de l’ingénieur, du savant, de l’intellectuel…
est aujourd’hui autant décriée, critiquée, remise en cause ? Rapports et
contre rapports s’opposent, les recours sont déposés, dans une opposition
stérile qui bloque les situations, renforce les frustrations et dégénère en pensées
déclinistes généralisées, pour ne pas dire mortifères. L’expertise est mise au
pilori, du fait, justement, des volontés de chacun d’atteindre leurs objectifs
sans prendre en compte les intérêts de l’autre. Ainsi, bien sûr, il est intéressant
que les citoyens s’impliquent, contre-argumentent. Mais il en va de la
responsabilité de chacun de garder un cap, ce vers quoi on veut tendre. Or, qui
le tient ?
Vers une redéfinition des responsabilités ?
Pour la
construction d’hôpitaux ou d’écoles, il n’y a pas ou peu d’exemples de blocages
(ou alors à la marge). Ces biens publics sont acceptés car l’intérêt général
est évident. Mais pour le reste ? Les manifestations de ce week-end à
Nantes ou à Toulouse, prenant appui sur l’opposition à certains projets d’infrastructures,
ont débouché sur des heurts avec les forces de police. Alors que le mot d’ordre
était la défense d’un paysage, d’une localité, cela a dégénéré en bataille
rangée. D’une opposition locale, sur un projet bien précis, la contestation s’est
focalisée sur les « violences
policières, sociales, économiques... Résistance ». Selon ce point de vue, l’Etat
use de la violence pour défendre un mode de développement violent (« l’agriculture
intensive et les bétonneurs ») et qui violente les individus. A l’inverse,
les forces de police use de la violence – légitime et raisonnée – contre des
groupuscules, qui eux, sont violents… On n’en sort plus.
Comme le
dit justement Christian Leyrit, président de la Commission nationale du débat public « dans toute décision publique, il y a des gagnants
et des perdants. D’où l’intérêt d’imaginer rapidement des compensations avec
les derniers ». Toutefois, celles-ci ne sont pas seulement
financières mais également morales, voire sentimentales. Pour reprendre l’exemple
du stade des Lumières (Lyon), Philippe Layat expose bien son point de
vue : « je
ne suis plus maître de mes terres, je me les fais piquer ». Actuellement,
il est aisé d’évaluer la pertinence économique et environnementale d’un
projet. Mais pas son impact sentimental. La création d’une infrastructure est
aussi un déchirement pour ceux qui perdent une maison, des terrains…
Revient alors la perpétuelle
question : comment intégrer le citoyen dans la définition des projets,
leur construction et leur gestion ? Comment évaluer son ressenti ? Par
des enquêtes publiques ? Des réunions locales ? Un panel de citoyens,
tirés au sort à la manière d’un jury d’assises ? L’utilisation d’Internet pour
améliorer cette démocratie participative que tout le monde appelle de ses
vœux ? Les votations/référendums locaux ? Le problème est qu’en
France, ceux-ci sont souvent pris pour des plébiscites des responsables
politiques en place… En clair, « les Français votent avec leurs
pieds » (quand ils votent).
Est donc
centrale la question de la confiance, de l’état d’esprit dans lequel se trouve
la personne à qui est proposé de faire un choix. Aussi, ce n’est pas tant les
outils d’aide à la décision qui font défaut, ni la volonté des personnes
impliquées (élus, promoteurs…) pour prendre en compte les aspirations de chacun.
Le problème préalable est le contexte de défiance généralisée. Ou, pour
reprendre les propos de Dominique Bourg : « que la France soit la
championne des blocages, des conflits de toutes sortes est très probablement le
meilleur indicateur de la décrépitude de ses institutions démocratiques et de
leur inadéquation ».
Le constat
est fait. Ne reste plus qu’à faire un aggiornamento, à user de notre esprit
philosophico-sociologique cartésien pour trouver des solutions et dépasser ces
oppositions. Il y a urgence. Les impératifs économiques et climatiques nous le
rappellent. La politique n’est
qu’un outil pour vivre ensemble.
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