jeudi 19 février 2015

Réserve parlementaire et BTP : une relation ancienne… qui va prendre fin ?

Le BTP, grand favorisé par la réserve parlementaire (source : francetvinfo.fr)

S’il existe bien un système qui nourrit les fantasmes, c’est bien la réserve parlementaire ! Pour les uns, elle n’est qu’opacité et clientélisme, servant à remercier les affidés. Bref, une caverne d’Ali Baba pour initiés. De l’autre, les griefs ne sont qu’injustice et antiparlementarisme primaire. Est-il si surprenant qu’un élu octroi des subventions à sa circonscription ?

En réalité, ce mode de financement n’a plus rien d’exceptionnel. Des garde-fous, de la transparence, ont été intégrés même s’il faut tout de même améliorer le système et le plafonner. L’air du temps fait que les députés, dans leur grande majorité, s’y plient sans rechigner.

Quid du BTP dans cette histoire ? Il s’avère en effet que celui-ci en tire un avantage certain, même s’il est difficile d’en estimer les montants. La transparence voulue par le président de l’Assemblée nationale, Claude Bartolone, va indirectement permettre, dans les années à venir, de calculer finement les montants de toutes les subventions allouées pour des travaux de voirie, d’aménagement urbain ou de réfection d’un bâtiment public.

Certes, ce genre d’investissement est une goutte d’eau comparée aux milliards – publics et privés – investis chaque année dans le secteur. Mais il met surtout en exergue les liens entre le député (ou le sénateur) avec sa terre d’élection, notamment les artisans du BTP qui sont généralement les principaux récipiendaires de cette manne, via les travaux sur la commune. Certes, les efforts de transparence et d’encadrement de la réserve parlementaire ont amoindri cette somme. Mais il paraît inenvisageable qu’elle disparaisse dans les années à venir…

Un ensemble de subventions institutionnalisé depuis des décennies, une clarification salutaire en 2013

La réserve parlementaire existe en France depuis l’ordonnance du 2 janvier 1959 à l’Assemblée nationale et depuis 1988 au Sénat. Cet ensemble de subventions d’État est voté et modifié en lois de finances initiales ou rectificatives. De fait, il y a la transparence de la somme totale dont dispose les parlementaires. Par exemple, à l’Assemblée nationale, celle-ci était de 90 millions d’euros en 2012 et d’environ 80 millions en 2013 et 2014. Elevée direz-vous ? La réserve parlementaire était de 153 millions en 2011… Au sénat, la réserve est de 53,9 millions en 2013.

La réserve parlementaire est principalement dédiée pour soutenir des investissements de proximité décidés par des collectivités locales et des activités menées par des associations. Il existe également, à l’Assemblée nationale, une réserve institutionnelle, fixée en 2013 à 5,5 millions d’euros. Cette réserve vise à soutenir des associations ou fondations menant des projets d’intérêt national et, traditionnellement, de participer au financement de grandes institutions ou juridictions françaises.

Décriée depuis longtemps, cette notion de réserve qu’un parlementaire puisse « dépenser » selon ses humeurs a été sévèrement encadrée avec l’arrivée de Claude Bartolone au Perchoir (on saluera également le travail préalable inlassable de René Dosière pour la transparence des comptes publics). Ainsi, en janvier 2014 est publiée, pour la première fois, la liste des subventions de chacun et les destinataires. Pour simplifier, même si la modulation de la subvention se fait selon les groupes politiques et les fonctions de chacun – par exemple, le président de l’Assemblée nationale dispose de 520 000 euros – chaque député se voit attribuer 130 000 euros en moyenne. Pour en faire quoi ?

L’attribution des subventions : un parcours précis… qui masque des largesses

Avant d'arriver dans la poche de l'heureux récipiendaire, la subvention connaît un parcours précis. En effet, les élus font un premier choix parmi les demandes qu’ils reçoivent chaque année, de la part d’associations ou de collectivités. Le dossier est ensuite évalué par le rapporteur général du Budget à l’Assemblée nationale ou au Sénat. S’il est jugé recevable, le dossier part au ministère concerné, qui l’analyse également : aux Sports s’il s’agit de subventions pour des équipements sportifs, à l’Intérieur pour tout ce qui est voiries/bâtiments…
Toutefois, la précision des étapes cache des critères plus ou moins objectifs. Par exemple, un projet ne peut recevoir plusieurs subventions issues de réserves parlementaires. En théorie en tout cas… De même, concernant les travaux publics : pas plus de 200 000 euros pour une subvention ou encore, celle-ci ne doit pas représenter plus de 50% du budget total. Pourtant, une commune peut très bien avoir plusieurs subventions chaque année, « ce qui n’est pas formellement interdit mais pose question au niveau éthique ».

Ces largesses ont ainsi été pointées par la Cour des Comptes lors de son dernier rapport, qui analyse 60 000 subventions distribuées entre 2006 et 2012 (soit un milliard d’euros tout de même) : opacité, utilisation partisane, mode de financement récurrent (alors que l’inverse devrait être la primauté), absence de contrôle, coûts d’instruction élevés… Sans vouloir rentrer dans les détails, la note explique de manière claire et synthétique les tenants et les aboutissants du système.




En clair, en 9 pages, la Cour des Comptes démontre que la réserve parlementaire est un dispositif peu performant, même s’il a connu des améliorations ces dernières années. Reste à savoir comment sont alloués les fonds.

Travaux de voiries et d’aménagement urbain favorisés, malgré les règles

Selon l’Assemblée nationale, en 2014, « les communes et établissements publics de coopération intercommunale représentent 54% des subventions, les associations 46%. Les objets associatifs se répartissent ainsi : promotion du sport pour le plus grand nombre (8%), soutien à la démocratisation et à l’éducation artistique et culturelle (8%), développement de la vie associative locale (3%) ». Quid de l'utilisation des subventions par les communes ou les établissements publics ?

La presse aime faire ses choux gras des quelques subventions insolites ou autres dépenses surréalistes. Néanmoins, d’après la Cour, plus du tiers des subventions servent à financer de simples travaux de voirie ou d’aménagement urbain en 2012. De même, la Cour a constaté que certaines communes avaient obtenu, sur plusieurs années successives, des subventions pour la restauration des églises (5,6% des subventions totales en 2012). Or, ce genre de pratiques doublonnent avec certaines politiques publiques, ce qui peut en réduire l’efficacité et la cohérence.

En outre, en se focalisant sur 550 dossiers, la Cour a démontré que 40% d’entre eux ne comportaient pas toutes les pièces justificatives requises, portaient sur des dépenses inéligibles ou auraient dû appeler une instruction plus approfondie des services de l’Etat sur leur conformité. Ainsi, les textes en vigueur stipulent que les subventions doivent aller à des projets qui participent à une politique d’intérêt général et satisfaire à un intérêt local évident. Or, parfois, les subventions servent à l’entretien des routes – ce qui n’est pas considérer comme un investissement pour la collectivité – ou encore à la transformation d’un bâtiment public en un lieu à usage commercial. De même, alors que la subvention d’investissement a un caractère incitatif, elles sont utilisées parfois pour compléter un financement, et donc des travaux variés. La Cour l’a constaté concernant des travaux hydrauliques, la restructuration d’un parking ou l’aménagement d’une avenue.

De même, alors qu’il ne peut y avoir plus de 200 000 euros pour une subvention, la Cour a constaté à six reprises, en 2011, ces montants pour la construction d’un groupe scolaire ou la réalisation d’un parking souterrain. Idem pour les délais d’exécution : la Cour a constaté dans 33 préfectures interrogées qu’il y avait une cinquantaine de dossiers datant de 2006 et toujours pas soldés fin 2012.

Les députés tout entier tournés vers le BTP

Il faudrait se plonger dans la liste des députés pour connaître précisément à quoi les subventions sont allouées (pros du bigdata, si vous m’entendez…) mais certains journaux régionaux en ont fait leur manchette : La voix du Midi, Le Dauphiné Libéré, La Montagne, L’Indépendant ou encore Tahiti Infos. Un article « à quoi sert votre député » a toujours son petit effet, y compris au niveau national. Quant au député local, faire savoir qu’il a financé tel ou tel projet est le b.a-ba de la politique : quoi de mieux que le bâtiment et les travaux publics pour se rappeler au bon souvenir des électeurs, notamment les artisans du BTP qui sont les principaux bénéficiaires. Qui plus est qu’avec un cumul des mandats généralisés, le député qui est aussi maire ou président de la communauté d’agglomération sait quelle somme demander et quel projet financer...

Et en ces temps incertains pour les travaux publics, la réserve parlementaire est un instrument bienvenu. Une bonne partie des députés utilisent leurs réserves à cet effet. Ainsi, Gilles Carrez, député UMP du Val-de-Marne et président de la commission des finances, bénéficie du montant le plus élevé (555 000 euros) et l’oriente à plus de 60 % dans des travaux de voirie et d’étanchéité dans la ville de Perreux-sur-Marne, dont il est maire.

Idem pour Benoît Apparu (UMP), ancien ministre du Logement, dont 57% des 110 000 euros de subventions en 2014 ont été alloués à des travaux dans le BTP (soit 62 500 euros) : aménagements intérieurs dans des bâtiments de communes de sa circonscription ou encore des travaux de voiries (éclairage municipal). Quant à Cécile Duflot, qui était encore ministre en avril 2014, elle n’a pas encore pu utiliser sa réserve parlementaire.


Ainsi, bien que décriée, la réserve parlementaire est un outil au service du BTP, principalement des artisans. Bien évidemment, les récentes avancées en termes de transparence et de plafonnement sont nécessaires. Toutefois, celles-ci ne devraient pas aller vers une suppression de ce système. En effet, la réserve parlementaire est un outil politique permettant aux députés et aux sénateurs de mener une subtile campagne de communication, plus que nécessaire en ces temps de défiance.

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