Le BTP, grand favorisé par la réserve parlementaire (source : francetvinfo.fr)
S’il existe
bien un système qui nourrit les fantasmes, c’est bien la réserve
parlementaire ! Pour les uns, elle
n’est qu’opacité et clientélisme, servant à remercier les affidés. Bref,
une caverne d’Ali Baba pour initiés. De l’autre, les
griefs ne sont qu’injustice et antiparlementarisme primaire. Est-il si
surprenant qu’un élu octroi des subventions à sa circonscription ?
En réalité,
ce mode de financement n’a plus rien d’exceptionnel. Des garde-fous, de la
transparence, ont été intégrés même s’il faut tout de même améliorer le système
et le plafonner. L’air du temps fait que les députés, dans leur grande majorité,
s’y plient sans rechigner.
Quid du BTP
dans cette histoire ? Il s’avère en effet que celui-ci en tire un avantage
certain, même s’il est difficile d’en estimer les montants. La transparence
voulue par le président de l’Assemblée nationale, Claude Bartolone, va
indirectement permettre, dans les années à venir, de calculer finement les
montants de toutes les subventions allouées pour des travaux de voirie,
d’aménagement urbain ou de réfection d’un bâtiment public.
Certes, ce
genre d’investissement est une goutte d’eau comparée aux milliards – publics et
privés – investis chaque année dans le secteur. Mais il met surtout en exergue
les liens entre le député (ou le sénateur) avec sa terre d’élection, notamment
les artisans du BTP qui sont généralement les principaux récipiendaires de
cette manne, via les travaux sur la commune. Certes, les efforts de
transparence et d’encadrement de la réserve parlementaire ont amoindri cette
somme. Mais il paraît inenvisageable qu’elle disparaisse dans les années à
venir…
Un ensemble de subventions
institutionnalisé depuis des décennies, une clarification salutaire en 2013
La réserve
parlementaire existe en France depuis l’ordonnance du 2 janvier 1959 à l’Assemblée
nationale et depuis 1988 au Sénat. Cet ensemble
de subventions d’État est voté et modifié en lois de finances initiales ou
rectificatives. De fait, il y a la transparence de la somme totale dont dispose
les parlementaires. Par exemple, à l’Assemblée nationale, celle-ci était de 90
millions d’euros en 2012 et d’environ 80 millions en 2013 et 2014. Elevée
direz-vous ? La réserve parlementaire était de 153 millions en 2011… Au
sénat, la réserve est de 53,9 millions en 2013.
La réserve
parlementaire est principalement dédiée pour soutenir des investissements de
proximité décidés par des collectivités locales et des activités menées par des
associations. Il existe également, à l’Assemblée nationale, une réserve
institutionnelle, fixée en 2013 à 5,5 millions d’euros. Cette réserve vise à soutenir
des associations ou fondations menant des projets d’intérêt national et,
traditionnellement, de participer au financement de grandes institutions ou
juridictions françaises.
Décriée
depuis longtemps, cette notion de réserve qu’un parlementaire puisse
« dépenser » selon ses humeurs a été sévèrement encadrée avec l’arrivée
de Claude Bartolone au Perchoir (on saluera également le travail préalable inlassable
de René Dosière pour la transparence des comptes publics). Ainsi, en janvier
2014 est publiée, pour la première fois, la liste des subventions de chacun et
les destinataires. Pour simplifier, même si la modulation de la subvention se
fait selon les groupes politiques et les fonctions de chacun – par exemple, le
président de l’Assemblée nationale dispose de 520 000 euros – chaque
député se voit attribuer 130 000 euros en moyenne. Pour en faire
quoi ?
L’attribution des subventions : un
parcours précis… qui masque des largesses
Avant d'arriver dans la poche de l'heureux récipiendaire, la subvention connaît un parcours précis. En effet, les élus font un premier choix
parmi les demandes qu’ils reçoivent chaque année, de la part d’associations ou
de collectivités. Le dossier est ensuite évalué par le rapporteur général du
Budget à l’Assemblée nationale ou au Sénat. S’il est jugé recevable, le dossier
part au ministère concerné, qui l’analyse également : aux Sports s’il s’agit
de subventions pour des équipements sportifs, à l’Intérieur pour tout ce qui
est voiries/bâtiments…
Toutefois, la précision des étapes cache des critères plus ou moins objectifs. Par exemple, un
projet ne peut recevoir plusieurs subventions issues de réserves
parlementaires. En théorie en tout cas… De même, concernant les travaux publics : pas plus de
200 000 euros pour une subvention ou encore, celle-ci ne doit pas
représenter plus de 50% du budget total. Pourtant, une commune peut très bien
avoir plusieurs subventions chaque année, « ce qui n’est pas formellement
interdit mais pose question au niveau éthique ».
Ces largesses ont ainsi été pointées par la Cour
des Comptes lors de son dernier rapport, qui analyse 60 000
subventions distribuées entre 2006 et 2012 (soit un milliard d’euros tout
de même) : opacité, utilisation partisane, mode de financement récurrent (alors
que l’inverse devrait être la primauté), absence de contrôle, coûts d’instruction
élevés… Sans vouloir rentrer dans les détails, la note explique de manière
claire et synthétique les tenants et les aboutissants du système.
Rapport réserve parlementaire : les subventions pour travaux divers d'intérêt local publié par Lepoint.fr
En clair, en
9 pages, la Cour des Comptes démontre que la réserve parlementaire est un dispositif
peu performant, même s’il a connu des améliorations ces dernières années. Reste
à savoir comment sont alloués les fonds.
Travaux de voiries et d’aménagement urbain favorisés, malgré les règles
Selon l’Assemblée nationale, en 2014, « les communes et établissements publics de coopération intercommunale représentent 54% des subventions, les associations 46%. Les objets associatifs se répartissent ainsi : promotion du sport pour le plus grand nombre (8%), soutien à la démocratisation et à l’éducation artistique et culturelle (8%), développement de la vie associative locale (3%) ». Quid de l'utilisation des subventions par les communes ou les établissements publics ?
La presse aime faire ses choux gras des quelques subventions insolites ou autres dépenses surréalistes. Néanmoins, d’après la Cour, plus du tiers des subventions servent à financer de simples travaux de voirie ou d’aménagement urbain en 2012. De même, la Cour a constaté que certaines communes avaient obtenu, sur plusieurs années successives, des subventions pour la restauration des églises (5,6% des subventions totales en 2012). Or, ce genre de pratiques doublonnent avec certaines politiques publiques, ce qui peut en réduire l’efficacité et la cohérence.
En outre, en se
focalisant sur 550 dossiers, la Cour a démontré que 40% d’entre eux ne
comportaient pas toutes les pièces justificatives requises, portaient sur des
dépenses inéligibles ou auraient dû appeler une instruction plus approfondie
des services de l’Etat sur leur conformité. Ainsi, les textes en vigueur
stipulent que les subventions doivent aller à des projets qui participent à une
politique d’intérêt général et satisfaire à un intérêt local évident. Or,
parfois, les subventions servent à l’entretien des routes – ce qui n’est pas
considérer comme un investissement pour la collectivité – ou encore à la
transformation d’un bâtiment public en un lieu à usage commercial. De même,
alors que la subvention d’investissement a un caractère incitatif, elles sont
utilisées parfois pour compléter un financement, et donc des travaux variés. La
Cour l’a constaté concernant des travaux hydrauliques, la restructuration d’un
parking ou l’aménagement d’une avenue.
De même,
alors qu’il ne peut y avoir plus de 200 000 euros pour une subvention, la Cour
a constaté à six reprises, en 2011, ces montants pour la construction d’un
groupe scolaire ou la réalisation d’un parking souterrain. Idem pour les délais
d’exécution : la Cour a constaté dans 33 préfectures interrogées qu’il y
avait une cinquantaine de dossiers datant de 2006 et toujours pas soldés fin
2012.
Les députés tout entier tournés vers le BTP
Il faudrait
se plonger dans la liste des députés pour connaître précisément à quoi les
subventions sont allouées (pros
du bigdata, si vous m’entendez…) mais certains journaux régionaux en ont
fait leur manchette : La
voix du Midi, Le Dauphiné
Libéré, La Montagne,
L’Indépendant
ou encore Tahiti
Infos. Un article « à quoi sert votre député » a toujours son
petit effet, y compris au niveau national. Quant au député local, faire savoir
qu’il a financé tel ou tel projet est le b.a-ba de la politique : quoi de
mieux que le bâtiment et les travaux publics pour se
rappeler au bon souvenir des électeurs, notamment les artisans du BTP qui
sont les principaux bénéficiaires. Qui plus est qu’avec un cumul des mandats
généralisés, le député qui est aussi maire ou président de la communauté d’agglomération
sait quelle somme demander et quel projet financer...
Et en ces
temps incertains pour les travaux publics, la réserve parlementaire est un instrument
bienvenu. Une bonne partie des députés utilisent leurs réserves à cet effet.
Ainsi, Gilles
Carrez, député UMP du Val-de-Marne et président de la commission des
finances, bénéficie du montant le plus élevé (555 000 euros) et l’oriente à
plus de 60 % dans des travaux de voirie et d’étanchéité dans la ville de Perreux-sur-Marne,
dont il est maire.
Idem pour
Benoît Apparu (UMP), ancien ministre du Logement, dont 57% des 110 000
euros de subventions en 2014 ont été alloués à des travaux dans le BTP (soit
62 500 euros) : aménagements intérieurs dans des bâtiments de
communes de sa circonscription ou encore des travaux de voiries (éclairage
municipal). Quant à Cécile Duflot, qui était encore ministre en avril 2014, elle n’a pas encore pu utiliser sa réserve
parlementaire.
Ainsi,
bien que décriée, la réserve parlementaire est un outil au service du BTP,
principalement des artisans. Bien évidemment, les récentes avancées en termes
de transparence et de plafonnement sont nécessaires. Toutefois, celles-ci ne
devraient pas aller vers une suppression de ce système. En effet, la réserve
parlementaire est un outil politique permettant aux députés et aux
sénateurs de mener une subtile campagne de communication, plus que nécessaire
en ces temps de défiance.
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