Le rapport d'évaluation de la politique du logement : une fuite orchestrée ?
Qu’est-ce
qu’un bon rapport d’évaluation d’une politique publique ? D’abord, il doit
concerner un thème « fédérateur », où chacun a son avis (si possible,
en disant tout et son contraire). Ensuite, il doit « ruer dans les
brancards » tout en faisant des propositions drastiques d’économie
budgétaire. Pour finir, une pincée de complotisme ne nuit pas.
Le rapport
de la mission d’évaluation de la politique du logement est tout cela,
c’est-à-dire une bombe politique. Commandée en mars 2014 par Cécile
Duflot et Bernard Cazeneuve, alors Ministres du Logement et de l’Economie
et des Finances, cette réflexion
approfondie sur l’efficacité économique de la politique du logement est
remise en juin 2014 mais dévoilée seulement par Les Echos le 30 janvier 2015.
Allez savoir pourquoi…
Ainsi, le
Conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD), l’Inspection
générale des affaires sociales (Igas) et l’Inspection générale des finances
(IGF) ont reçu pour mission de passer la politique du logement au crible. En
effet, celle-ci représente 46,4 milliards d’euros en 2014, soit plus de 2% du
PIB, pour des résultats médiocres. Pis, les ressources consacrées
augmentent en moyenne de 1% par an sur la période 2012-2017, devant atteindre
48 milliards en 2017. Et le rapport de proposer des recommandations permettant
d’économiser 4 milliards par an. Rien que ça.
Un état des lieux d’un sévère manque de
stratégie
Le rapport
n’analyse pas seulement ces quelques mois ou années, mais toute une démarche,
implémentée depuis longtemps : celle qui consiste à rajouter, chaque
année, de l’argent en quantité pour des résultats pas du tout à la hauteur des
enjeux. Ainsi, le rapport met en évidence (page 17) le système en présence – le
cadre fiscal, juridique et de gouvernance – qui induit des rigidités de l’offre.
Le manque de vision de long terme est criant alors que des tendances
s’affirment, pour certaines négatives : évolution des prix de vente
déconnectée de celles des salaires, hausse des loyers, offre locative
insuffisante, peu de logements « pour célibataire »…
Ainsi, le
foncier n’est pas rare mais difficilement mobilisable du fait de choix publics,
de l’éclatement des responsabilités et d’un certain manque de priorité parfois.
La fiscalité immobilière, en taxant lourdement les transactions, n’arrange rien
et encourage même les phénomènes de rétention. La mobilité résidentielle s’en
trouve découragée, alors que la population vieillit et/ou se
« célibatérise ». Quant à la réglementation, celle-ci désavantage les
bailleurs qui voient leur rendement « loyer » se réduire (taxation,
encadrement des loyers…), ne les incitant pas à investir. Le rapport note d’ailleurs
le retrait complet des investisseurs institutionnels de cette classe d’actifs.
Les principales propositions
Le rapport est
essentiellement composé de propositions : 50
pages sur un rapport de 73 pages. Les auditeurs prennent soin d’en estimer
l’impact financier – c’est-à-dire l’impact sur les dépenses budgétaires et/ou
fiscales, sur les prestations sociales mais aussi sur les recettes budgétaires
– et pour qui (Etat, administration publique…). Le rapport explique le contenu
de la mesure mais également l’argumentaire qui amènent les auditeurs à faire
cette proposition ainsi que les principales limites/difficultés de celle-ci.
- Les Aides Personnelles au Logement (APL).
Représentant
17 milliards d’euros annuellement, le rapport dénonce leur effet
inflationniste. Ainsi, les bailleurs ajustent le loyer en fonction des aides
attribuées. De fait, le rapport avance qu’il est nécessaire de resserrer les critères
d’éligibilité, pas seulement en introduisant des plafonds de surface et de
loyer des appartements mais aussi et surtout des plafonds de patrimoine. Ainsi,
attribuer les APL à des étudiants rattachés au foyer fiscal parental sans
prendre en compte le revenu des parents est ubuesque.
NB : on
notera que l’étudiante « témoin » est une élue de l’UNEF de l’université
Paris Nanterre… Bravo l’impartialité chez I-Télé.
- Les avantages fiscaux dédiés aux investisseurs dans l’immobilier locatif.
Selon le
rapport, ces avantages (2 milliards tout de même…) ont un effet haussier sur le
prix du foncier et des constructions neuves… tout en étant une manne pour les intermédiaires
spécialisés dans la défiscalisation. Un marché donnant-donnant serait alors
souhaitable : abaisser la réduction d’impôt de 18 à 13% tout en augmentant
le plafond de loyer autorisé.
- Le Plan d’épargne logement (PEL).
Pour les
auditeurs, et à juste titre, « l’épargne logement est désormais
massivement utilisée comme un dispositif d’épargne sans risque très peu
converti en crédits immobiliers (moins de 5% des PEL et CEL) ». Et de proposer
la suppression de la prime offerte par l’Etat car « la dimension
incitative apparaît désormais marginale et non susceptible de déclencher un
projet d’achat ou de travaux ».
- Les aides à la rénovation.
Les deux
dispositifs, le taux à 5,5% et celui à 10%, représentent respectivement 1,7
milliards et 3 milliards par an. Or, le rapport pointe leur non pertinence car
ne ciblant ni les publics qui y ont droit, ni les travaux dédiés.
Ainsi, le
rapport préconise une simplification des outils existants sur la production d’une
offre adaptée et une incitation à la mobilité. De même, les leviers non
budgétaires doivent être valorisés tels que la simplification
normative ou le renforcement de la transparence de l’information. Le
rapport pointe d’ailleurs un manque criant d’analyse fine sur le sujet, faute
d’outil statistique pertinent. Critique qui convient également aux problématiques
immobilières.
Pourquoi cette gabegie ?
Le rapport
met en évidence une gabegie, principalement dû à l’éclatement des
responsabilités, entre l’Etat, les communes, les opérateurs publics (organismes
HLM, la CDC, l’ANRU, les CROUS…) et organismes privés, sans oublier la branche
famille de la sécurité sociale (qui verse des aides). Cela est dû, aussi, à la
multiplication des outils d’aides et d’incitation : subventions,
prestations sociales, outils fiscaux et juridiques, prêts...
Le rapport
pointe les objectifs multiples, contradictoires et qui ne correspondent pas
nécessairement à la vocation réelle des dispositifs. Par exemple, les
dispositifs de soutien à la construction ne visent pas à accroitre l’offre de
logements neufs où les besoins sont avérés… mais à soutenir un secteur dont l’emploi
est non délocalisable et dont les inputs sont généralement français. Autre
exemple : l’Etat
promeut la décentralisation... tout en maintenant une politique active du
logement.
Ce manque de
logique de la politique du logement est le résultat de décennies de pilotage à
vue, où chacun apportait sa pierre à l’édifice, pour en faire in fine un ouvrage bancal. Pis, alors
que l’Etat se fixe pour objectif la construction de 500 000 logements, le
rapport avance plutôt que la demande potentielle est aux alentours de
332 000 logements sur la période 2015-2020. Cette absence de connaissance
précise de la situation induit par conséquent un biais dans la politique
publique. Ainsi, l’Etat ne se focalise que sur la construction neuve, évacuant
maladroitement la question
de la rénovation/réhabilitation. Sans oublier que l’Etat ne connaitrait même
pas le nombre précis de logements construits chaque année. Le rapport avance
ainsi la sous-estimation à 28% en 2011 et 18% en 2012 ?!
Le rapport qui n’a rien compris :
vraiment ?
Bien
évidemment, les propositions du rapport sont décriées par divers acteurs. Par
exemple, concernant les APL, cette proposition passe mal dans l’électorat dit «
de gauche », à l’image des allocations familiales pour la droite : les APL
restent un casus belli pour certains responsables politiques. Inversement,
peut-on reprocher aux Français de valoriser leurs PEL/CEL comme placements
rémunérateurs, dans une période de crise et de baisse des rendements d’autres
produits financiers ?
Ainsi, selon
l’Humanité,
« au lieu de chercher des pistes pour sortir le secteur de la construction
de l’impasse, le rapport ne suit qu’une logique : l’austérité ». Toutes
les propositions vont dans le même sens : coupe dans les aides, surtout celles
aux classes moyennes et défavorisées. De fait, le rapport ne propose rien pour
résorber la pénurie de logement.
Consciente
de la bombe politique qui risque d’exploser, la ministre
du Logement Sylvia Pinel s’est vite désolidarisée du rapport, seulement « un
document de travail » qui « n’exprime pas la position du gouvernement
mais il vient contribuer à sa réflexion ». On a connu plus courageux…
Alors
certes, le rapport ne voit que les coûts d’une telle politique et les économies
qui peuvent être réalisées. Même Alain Dinin, patron de Nexity, qui n’a
pourtant pas la langue dans sa poche, le reconnaît, dans une excellente
interview dans Les Echos : « on nous dit toujours, en nous pointant du
doigt, que le logement coûte plus de 40 milliards d’euros à la collectivité au
travers des différents mécanismes d’aides publiques. C’est vrai. Mais le
logement génère aussi plus de 60 milliards d’euros de rentrées fiscales. Le
solde est largement positif ».
Toutefois, Alain
Dinin rajoute également que le système d’aides est à la fois pervers et trop
complexe : il « tire les prix vers le haut en solvabilisant via
certaines aides une partie des locataires et des acheteurs ». Et de proposer
un « pacte de constructibilité », plus que jamais d’actualité. Celui-ci verrait
un accord entre les pouvoirs publics, principaux détenteurs de terrains
constructibles dans les zones urbaines où la demande est forte, et le privé qui
comprimerait ses marges. Ce que propose plus ou moins le rapport… Or, ce type d’accord
suppose une confiance réciproque. Une chimère actuellement.
Les organisations
professionnelles, telles que la Capeb, ont également réagi à certaines
propositions. En clair, pas touche aux aides/subventions, à un moment où le
secteur est plus que convalescent. Augmenter le taux de TVA sur les travaux
de rénovation énergétique revient à signer l’arrêt de mort d’un segment qui
tient le bâtiment à bout de bras et provoquerait la perte de 10 000 à
12 000 emplois.
Un (bon) rapport pour confirmer le statu
quo ?
Quelques
jours après la sortie « non officielle » du rapport de la mission
d’évaluation de la politique du logement, la Fondation Abbé Pierre, dans
son vingtième rapport annuel sur le mal-logement en France, dresse le constat
équivalent, certes sur un segment particulier du logement. « Les
dispositifs publics destinés à favoriser l’accès au logement des ménages en
difficulté se sont empilés depuis un quart de siècle », diluant les
responsabilités de chacun. Dès lors, il ne faut pas s’étonner que la complexité
alimente un système qui génère « l’incompréhension, la frustration,
voire le désarroi des personnes et des professionnels ».
Aussi, le rapport de
la mission d’évaluation peut être critiqué, évidemment. Les auteurs, dans leurs
préconisations, pointent d’ailleurs le manque de données pour évaluer certaines
propositions. Ils peuvent être taxés de « libéraux »,
« d’adeptes de l’austérité »… Mais la réalité fait mal. Les dernières
décennies ont vu la mise en place d’un système qui ne fonctionne pas. Les
responsables politiques, de gauche ou de droite, ne sont pas les seuls fautifs, les professionnels également : qui demandent les aides,
subventions et autres dérogations ?
Mais le
rapport doit amener des explications franches entre ces acteurs du logement
afin de trouver des décisions les plus consensuelles possibles mais également les
plus effectives et efficaces. Or, les prochaines semaines verront si ce
rapport, comme beaucoup d’autres, va être prestement enterré dans des
commissions parlementaires ou dans un « comité Gustave, un comité
Théodule ou un comité Hippolyte ».
Pourtant,
les solutions existent, à l’image d’une localisation territoriale plus poussée des
outils dédiés au logement et de l’organisme attitré. Qui plus est que les
situations locales sont très hétérogènes, avec, pour certaines, des
déséquilibres durablement installés. En clair, la France ne peut faire
l’économie d’une VRAIE réforme en termes de gouvernance, de fiscalité et de
réglementation concernant le logement. A suivre (avec vigilance) !
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