Le travail détaché, responsable de la perte d'emplois dans le secteur du BTP en France ? (crédit : Johner Images/Getty Images) |
Le 16 avril dernier, le Parlement européen a adopté à
Strasbourg le projet de directive sur les travailleurs détachés au sein de l'Union européenne. Son objectif
: durcir les conditions d'accès à ce statut et renforcer les contrôles,
notamment dans le secteur du BTP. Une réponse attendue avec impatience par les
syndicats et les organisations professionnels du secteur, dont les doléances
portaient sur la concurrence déloyale et le dumping social qu'introduisait la fameuse directive de 1996. Pour autant, ce sujet aux
enjeux si lourds est loin d'être clos, tant les esprits se trouvent exacerbés
par une conjoncture économique difficile et par la campagne des prochaines
élections européennes de mai 2014.
La notion de travailleur détaché désigne, selon la directive 96/71/CE concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d'une prestation de services, "tout travailleur qui, pendant une période
limitée, exécute son travail sur le territoire d'un Etat membre autre que
l'Etat sur le territoire duquel il travaille habituellement". Le
travailleur détaché remplit donc une mission ponctuelle, et n'est pas considéré
comme étant un expatrié, qui lui travaille "habituellement" à
l'étranger. Seule réglementation : "les entreprises garantissent aux
travailleurs détachés sur leur territoire les conditions de travail et d'emploi
qui sont fixées dans l'Etat sur le territoire duquel le travail est
exécuté". Le système est alors avantageux pour l'employeur, car les
charges sociales appliquées sont celles du pays d'origine.
La France est, avec l'Allemagne, le principal pays
d'accueil de travailleurs détachés en Europe. Selon la Commission Nationale de Lutte contre le Travail Illégal, dépendant du
Ministère du Travail, de l'Emploi et du Dialogue social, le nombre de
travailleurs détachés était ainsi estimé à 210 000 personnes en 2013, soit une
augmentation de 23% par rapport à 2012. 37% d'entre eux travaillent dans le secteur du BTP, contre 19%
dans l'intérim et 15% dans l'industrie. Cependant, si ces chiffres peuvent
paraître importants, il est à noter que sur ce nombre, 47% des travailleurs
viennent de pays fondateurs de l'Union européenne (Belgique, France, Italie,
Luxembourg, Pays-Bas et Allemagne de l'Ouest) et seulement 41% en provenance de
nouveaux pays membres (Pologne, Roumanie, Estonie, Lituanie, etc.), et que la France elle-même comptait 300 000 Français détachés à l'étranger en 2011, dont 170 000 dans l'Union
européenne. Le dispositif de travail détaché est donc un phénomène relativement
limité, dont la France semble plutôt profiter.
Des fraudes et des abus
En réalité, le Ministère du Travail, de l'Emploi et du
Dialogue social estime, d'une part, que ces chiffres doivent être doublés. D'autre part, il évalue à 20%
de ce total le nombre de travailleurs détachés non déclarés par les
entreprises qui les emploient, soit 15 400 travailleurs détachés non déclarés
dans le seul secteur du BTP (calcul effectué sur la base des chiffres
officiels). Mais selon certaines sources, ce chiffre pourrait s'élever, dans ce
secteur uniquement, à 300 000 personnes ! En mettant en perspective la perte de 7 000 emplois
attendus dans le secteur en 2014 (et celle de 25 000 en 2013), on comprend
aisément l'exaspération des professionnels du milieu. D'autant plus que les
abus, qui recouvrent de multiples facettes du travail illégal (travail
dissimulé, travailleurs sans-papiers, etc.), résultent essentiellement de
l'imprécision de la réglementation : par exemple, aucune limite à la durée de
la mission n'est fixée par la directive de 1996.
Les conséquences de ces manquements se résument à deux
phénomènes : dumping social et concurrence déloyale. Le dumping social désigne
les distorsions de concurrence introduites par un coût du travail plus faible
entre plusieurs pays européens, permis par la faiblesse, voire l'absence, de
charges et contraintes sociales. La différence du coût de la main-d'oeuvre entre un ouvrier français et
polonais serait ainsi de 30%. De fait, les entreprises françaises dans les
régions proches des frontières se trouvent confronter à des sociétés étrangères
qui profitent de cette différence pour répondre à des appels d'offres de
manière très avantageuse, à l'image des sociétés espagnoles dans le sud-ouest de la France. Dans cette seule région, le
manque à gagner dû à la concurrence déloyale est évalué à 12 millions d'euros.
Un gouvernement de combat
Pour ceux qui cherchent le "gouvernement de combat" évoqué par François Hollande
lors de l'annonce du gouvernement de Manuel Valls, ils pourront en trouver un
exemple dans la lutte de la France contre les dérives de la directive de 1996.
Car cette dernière, sous la direction de Michel Sapin, a pris la tête du mouvement qui vise à renforcer la
réglementation du travail détaché. Le 9 décembre 2013, ce dernier a obtenu, aux côtés de l'Allemagne et avec le soutien in extremis de la Pologne, que la directive de 1996 voie
sa réglementation renforcer dans un accord, longtemps freiné par le Royaume-Uni
et la Hongrie, concernant les 28 pays membres de l'Union européenne. Dans le
même temps, et sous les pressions de la France, l'Allemagne a lancé une réflexion sur la mise en place d'un
salaire minimum et d'un encadrement des contrats de service, notamment
saisonniers, qui contribuaient au dumping social ambiant.
Ces efforts se sont vite traduits par des projets de loi
concrets. En France, les députés ont ainsi adopté le 25 février 2014 une proposition de loi motivée
par le PS "contre le dumping social", qui vise à renforcer les
contrôles et les sanctions contre les entreprises fraudeuses, y compris les
sous-traitants, et à établir une liste noire de ces dernières. Et le 16 avril
2014, les députés européen sont ratifié l'accord signé le 9 décembre 2013. Une
victoire complète pour le gouvernement français, à la veille des élections
européennes de mai 2014, et dans le cadre d'une certaine unanimité.
Un beau chiffon rouge en période
électorale
Car cet accord revêt bien évidemment une profonde
dimension politique. La directive de 1996, comme la directive Bolkestein, est en effet le symbole pour
certains partis des dérives de l'Union européenne. Une
telle mesure devrait ainsi couper l'herbe sous le pied (ou du moins quelques
brins) des détracteurs de l'UE qui en avaient déjà fait, et continuent à le faire, un thème de débat. Il y a en effet une certaine forme de démagogie
populiste dans l'attitude des partis politiques, comme des organisations
professionnelles du BTP, à se saisir de cette question, rendue opportunément sensible pour des raisons conjoncturelles et électorales. Car dans un pays qui cherche à construire 500 000 logements par an avec une pénurie d'entreprises et d'ouvriers, les
travailleurs détachés sont une ressource qu'il est impossible de négliger.
Reste à faire en sorte qu'en étant mieux encadré et contrôlé, ce dispositif
puisse devenir ce genre d'opportunités que peut offrir l'Union européenne.
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