NOTRe + baisse des dotations de l’État = sale temps pour le BTP (source : JDD/Louison)
En France, l’économie
est souvent présentée comme de la magie noire, des éléments qui s’imposent à
nous et sur lesquels nous n'avons, malheureusement, aucune prise. Les fatalistes
aiment à poser des diagnostics, avec morgue et pessimisme. Ceux-là en sont
réduits à attendre la croissance (ou l’innovation, c’est au choix) comme le
marin attend le vent. Ceux-là devraient se rappeler cette phrase de William
Arthur Ward : « le pessimiste se plaint du vent, l’optimiste espère
qu’il va changer, le réaliste ajuste ses voiles ».
Ces derniers
mois, les fatalistes ont vu d’heureuses
surprises économiques : baisse du prix du pétrole, politique monétaire
accommodante de la BCE, baisse de l’Euro… Pourtant, ces évènements ne sont que
la conséquence de stratégies mises en œuvre par des acteurs (ou agents, pour
rester dans la vulgate économique), certes étrangers et non français. Pourtant,
en prenant exemple sur ces acteurs, la France pourrait agir. Elle le fait déjà,
disent les fatalistes : regardez le crédit d’impôt compétitivité emploi, le
pacte de responsabilité, le processus de simplification…
Néanmoins,
le drame français est de deux ordres. D’une part, la complexification : il
aurait été bien plus simple de baisser les charges et impôts plutôt que de
créer de nouvelles procédures pour redistribuer aux entreprises ce qu’il leur a
été pris par ailleurs. D’autre part, le goût pour la prise de décision de
manière unilatérale et dans l’urgence : l’intendance suivra. Il en va de
même pour deux actions gouvernementales majeures, impactant directement un secteur
du BTP fortement fragilisé : la Nouvelle Organisation
Territoriale de la République (NOTRe) et la baisse des dotations de l’État
aux collectivités.
Collectivités : que d'insouciance... et de clientélisme
La faillite
de Dexia et les emprunts
toxiques via les subprimes ont fait prendre conscience aux contribuables de
la légèreté de certains hommes politiques et responsables d’établissements financiers.
Toutefois, on pensait que leurs agissements, en fragilisant la santé financière
de certaines communes et la vie des citoyens, avaient servi de leçon. Que
nenni ! Des collectivités ont continué à utiliser ces procédés pour se
financer, notamment via des prêts
en francs suisses ?! Pourtant, la Caisse des Dépôts et l’Agence France Locale n’ont-elles
pas ce genre d’attributions ?
Du côté des
dépenses, un récent rapport
confidentiel sur l’état des finances publiques locales jette le
trouble : « l’excédent de dépenses des collectivités s’est creusé,
passant de 3,7 milliards d’euros en 2012 à 9,2 milliards en 2013 ». Et de
rappeler qu’en 2013, « la masse salariale des collectivités territoriales
a progressé de 3,1% après avoir déjà augmenté de 3,5% en 2012, en raison de
recrutements nouveaux mais également et surtout du poids de régimes
indemnitaires particulièrement favorables ».
Autant de
laisser aller alors que les collectivités représentent 21% de l’ensemble des
dépenses des administrations publiques, soit 252 milliards d’euros… Cela laisse
songeur. En 2014, l’État a bien réduit de 1,5 milliards les dotations mais peu
s’en sont inquiétées. Jusqu’à ce qu’on entre dans le dur de la réforme territoriale
et de la baisse des dotations de l’État. En effet, entre 2015 et 2017 la
réduction doit atteindre 11 milliards d’euros, soit 3,7 milliards par an. Ce
qui donne des sueurs froides aux élus locaux. Et pour cause : d’un côté,
leurs prérogatives augmentent (rythmes scolaires, personnes âgées,
voiries…) ; de l’autre, les ressources financières se font plus rares et
ne peuvent être compensées par la hausse des impôts.
Collectivités : une modernisation à marche forcée
Collectivités : une modernisation à marche forcée
Récemment,
le rapport
du Commissariat général à l’égalité des territoires est venu rappeler un
des objectifs de la NOTRe : une intercommunalité doit regrouper
20 000 habitants minimum, afin d’en avoir pas plus de 1 000 en France
(contre un peu moins du double actuellement). Or, cette contrainte
institutionnelle, vue comme une modernisation de la gestion des collectivités
locales, pose un enjeu démocratique bien légitime. Existe-t-il une
acceptabilité réelle de la part des citoyens à voir différentes communes
regrouper leurs forces ? Dans notre vieux pays, les querelles de clochers
sont légions, posant une première limite – logique ou absurde – au
regroupement. Mais il existe aussi de nombreuses questions sur le partage du
fardeau financier, du périmètre des compétences fusionnées, des fonctions
politiques de chacun des élus, de la représentativité des citoyens, etc.
Néanmoins, l’État,
au travers de la nouvelle réforme territoriale, ne laisse que peu de
place au conservatisme : les
communes doivent se regrouper et sont donc forcées de négocier. Et de jouer
de la carotte, en plus du bâton : les dotations pourraient être bonifiées
en fonction de l’effort de mutualisation des compétences.
Or, cette
mutualisation doit conduire à une rationalisation de l’activité des
collectivités et donc de leurs dépenses. Ce qui n’a pas été forcément le cas ces
dernières années. Pourquoi ? Car les communes se regroupent pour partager
le coût de dépenses nouvelles, comme la création de crèches ou l’amélioration
de services publics. Avec la baisse des dotations, l’objectif est avant tout de
faire pareil… mais avec moins. D’où les suppressions de postes attendues, la
baisse des salaires de certains fonctionnaires ou encore… la mise
en œuvre effective des 35 heures (sic !), ce qui passe parfois par des
négociations
à rallonge et des compromis donnant-donnant.
Ainsi, les
collectivités, sur les deux ou trois prochaines années, rentrent dans un tunnel
de contraintes politiques et financières qui tendent à les focaliser sur leurs
priorités… au dépend du BTP.
Métropoles, régions, départements : un
tâtonnement inévitable
L’architecture
territoriale institutionnalisée depuis trente ans en France, par
différentes lois, est plus ou moins remise en question par la Nouvelle
Organisation Territoriale de la République, celle-ci attribuant aux régions
de nombreuses compétences historiques des départements (routes, collèges,
transports scolaires et transports interurbains).
Toutefois, le
renforcement des régions et des métropoles régionales* est encore au stade du
marchandage, qui plus est dans un pays foncièrement centralisateur. En outre, il
y a plutôt à s’inquiéter de la manière dont est réalisé le transfert de
compétences. En effet, actuellement, le flou est total alors que pour Alain
Rousset (Président PS de l’Association des régions de France), les régions
doivent être confortées sur le développement économique et le service public d’accompagnement
de l’emploi sur les territoires. Sous-entendu, les départements disparaissent.
Ce qui ne semble pas
le cas actuellement.
Une idée
partagée par Jean-Christophe Fromantin, député des Hauts-de-Seine et Président
de Territoires en Mouvement, pour qui la France « doit adopter une
structure et un mode de gouvernance qui épousent de façon plus harmonieuse les
échelles et le temps qui rythment dorénavant nos territoires dans la
mondialisation ». Aussi, selon lui, les 22 régions françaises devraient laisser
la place à huit pôles territoriaux combinant grandes métropoles connectées au
monde avec des territoires à vocation productive. « Ces pôles répondent à
des principes d’efficacité très précis comme le financement, l’innovation ou
les mobilités ; à des effets de seuil, notamment en terme de mixité économique
; et à la volonté de couvrir de façon cohérente l’ensemble du territoire
français ». Et de proposer le transfert de compétences, notamment des
dispositifs d’aide à l’emploi permettant d’articuler formation et besoins des
entreprises : l’apprentissage
et la formation professionnelle seraient alors intégrés dans les politiques
régionales. Avec pas moins de 60 milliards d’économies estimées grâce à ce
processus de transformation, étalé sur une décennie.
Et le BTP dans tout ça ?
La
fragilisation actuelle du secteur de la construction et des travaux publics
fait craindre le pire à la profession pour l’année à venir. Les donneurs d’ordre
que sont les
collectivités sont impactés par le manque de visibilité de la NOTRe et par
la baisse des contributions de l’État. Or, la hausse des impôts est
inenvisageable politiquement (élections cantonales et régionales obliges) et le
recours à l’emprunt reste tout aussi insensé.
Lors du dernier congrès des maires,
en novembre 2014, les interrogations des maires sur tous ces sujets étaient nombreuses
même
si conscientisés. Ainsi, dans une période de flou et d’instabilité, la
priorité va aux dépenses courantes… et de court terme. Les entreprises de TP ne
peuvent que constater les dégâts et manger leur pain noir encore longtemps,
malheureusement.
En effet, la
problématique du logement, maintes fois évoquées dans les médias, pousse les
acteurs locaux à agir et à prendre des décisions légitimes. Ils se sentent
soutenus par l’État. A l’inverse, la remise en état des routes ou les travaux
plus conséquents sont renvoyés aux calendes grecques (sans mauvais jeu de mot).
Les infrastructures sont mal aimées et il n’y a pas une semaine sans que des remises
en cause de projets divers fassent la une des médias.
Reste que
certaines collectivités défient le fatalisme ambiant et « ajustent les
voiles ». En Bourgogne,
le conseil régional a décidé d’avancer son plan d’investissement, injectant des
millions d’euros dans l’économie locale. Idem en Aveyron
où la FBTP 12 et le Crédit agricole Nord Midi-Pyrénées ont imaginé un système
innovant de préfinancement des travaux des communes de moins de 5 000 habitants.
Le cas
de l’Ariège peut également servir d’exemple.
Bref, la
crise impose des changements et de l’audace. La fatalité n’a plus sa place et
ceux qui attendent encore le « retour à la normale », les niveaux d’avant
la crise, feraient mieux de se réveiller. Et le plus tôt sera le mieux.
Nous suivre
sur Twitter : @Bati2030
* Depuis le
1er janvier 2015, il existe les métropoles
suivantes : Nice-côte-d’Azur, Rennes, Bordeaux, Toulouse, Nantes,
Brest, Lille, Rouen, Grenoble, Strasbourg, Montpellier et Lyon. Celle d’Aix-Marseille-Provence
et le Grand Paris verront le jour au 1er janvier 2016.
Sans compter la problématique des" Travailleurs détachés": http://blogs.mediapart.fr/blog/claude-testaniere/060315/33-le-btp-plombe-par-lutilisation-des-travailleurs-detaches
RépondreSupprimer