La contrefaçon, une nouvelle plaie pour le BTP (source : carrement-artisans.fr)
La
contrefaçon est un mal connu même s’il est difficile d’en estimer les effets. D’après
une estimation de l’Organisation de coopération et de développement économiques,
la contrefaçon génèrerait 250
milliards de dollars de revenus criminels par an. Elle représente ainsi 10%
du commerce international contre 5% en 2000, selon le Comité
national anti-contrefaçon. Pour la France, elle entraîne un manque à gagner
de 6 milliards d’euros de recettes fiscales. Chiffre effrayant… alors que le
phénomène a du mal à être évalué.
Que vient
faire le BTP là-dedans ? En fait, on pense souvent que la contrefaçon
touche principalement les secteurs grand public comme les produits
pharmaceutiques, le luxe, l’habillement… Mais pas le BTP. Et pourtant ! La
crise a mis en exergue ce mal insidieux, certains s’en servant comme levier
afin de sauvegarder leurs marges et/ou gagner des marchés. Les donneurs
d’ordre, indirectement, sont également en cause. Retour sur une problématique
qui va crescendo… et dont nous n’avons pas encore pris la pleine mesure.
La contrefaçon dans le BTP
Selon la FFB,
la
« contrefaçon » renvoie à tout matériau, produit ou équipement de la
construction non conforme pouvant, soit :
- Tromper l’acheteur sur sa qualité, ses performances techniques attendues et/ou son origine, avec pour conséquence principale un risque de porter atteinte à la sécurité et à la santé du compagnon ou de l’utilisateur final ;
- Utiliser abusivement des marquages d’excellence et/ou de conformité (NF, CE, UL...) ;
- Etre accompagné de certificats de conformité et/ou d’origine falsifiés et/ou contrefaits ;
- Attenter à l’intérêt des titulaires de droits en matière de propriété intellectuelle et industrielle.
En 2008, dans
le BTP, le chiffre d’affaires du marché de la contrefaçon était estimé à 3%.
Mais le chiffre reste une supposition. Les matériaux contrefaits se retrouvent
de plus en plus souvent sur le marché des équipements et, par extension, sur
les chantiers. Que ce soit les outils
ou les produits, provenant généralement d’Asie : équipements
électriques (prises de courant, interrupteurs ou disjoncteurs), matériaux de
construction (portes, isolants, vitrages, détecteurs de fumée), sans oublier l’outillage
(postes à souder, tronçonneuses, compresseurs à air…) et les éléments de
sécurité (chaussures, casques). Pour ne prendre qu’un exemple, les douanes ont
saisi 122
000 contrefaçons de câbles électriques en janvier 2013, qui, au lieu d’être
en cuivre, étaient composés d’alliage de fer.
Pour Legrand,
entre 2006 et 2013, ce sont 400 000 petits disjoncteurs ainsi que 2 millions d’interrupteurs
et prises de courant qui ont été saisis par les douanes. Par ailleurs, 1 000
pages Internet proposant de la vente de contrefaçons ont été fermées à la
demande de l’entreprise. Dans la vidéo ci-dessous, on parle de 10% des
disjoncteurs en France qui seraient contrefaits et qui donc, ne rempliraient
pas/plus leur rôle.
Test d'interrupteurs
Même si la
contrefaçon en tant que phénomène est difficile à évaluer, cela l’est encore
plus pour ses conséquences. Ainsi, en avril 2014, la FFB estime que si la
contrefaçon de matériaux représente en France plus d’un milliard d’euros, elle
est susceptible
d’engendrer 10 milliards d’euros de sinistres à très moyen terme ! Toute la
chaîne
de valeur du bâtiment est impactée, en termes de sécurité, de risque pénal
et civil, d’image, de conformité des produits ou de durée de vie des ouvrages.
De plus, la
contrefaçon concerne également les engins de chantier. Ainsi, récemment, le
fabricant de grues Terex Cranes a mis en garde ses clients – et les professionnels
en général – contre ce phénomène. Des versions contrefaites des grues sur chenilles Terex ont été identifiées en Corée du
Sud.
Comment expliquer ce phénomène ?
Bien sûr, la
contrefaçon renvoie avant tout à des schémas mafieux, c’est-à-dire à des
réseaux organisés qui fabriquent des produits contrefaits et qui les écoulent. Ainsi,
avec Internet et le développement fulgurant du e-commerce, il est très facile
d’être en relation avec des grossistes, certains voulant écouler des produits
contrefaits. Mais « l’offre » ne doit pas faire oublier le côté
« demande ». Il y a donc des personnes ou des entreprises dans le BTP
qui souhaitent acheter des produits contrefaits : ne nous le cachons pas.
Ainsi, la crise pousse certains à user de la contrefaçon afin de sauvegarder
leurs marges… au détriment de la sécurité.
Certes, il y
a des cas où la personne ou l’entreprise se fait duper : soit par mégarde,
soit par le « talent » du vendeur. Pourtant, il est facile de s’en
rendre compte, pas seulement grâce à un œil averti (marquage technique,
normes…) mais aussi via des signaux aisément identifiables, à l’image du prix
du produit contrefait, anormalement bas par rapport aux produits « normaux ».
Toutefois, certains appels d’offre sont remportés par des groupements
promettant un prix imbattable de la prestation : en ayant recours aux
produits contrefaits en plus du travail
détaché ? De plus, qui est fautif ? Le groupement ou le donneur d’ordre
qui accepte ?
Aussi, la
contrefaçon est à la fois une question de vigilance de la part des
professionnels… et d’honnêteté. Et pour cela, la loi veille et a été renforcée.
Une prise de conscience ?
La
contrefaçon est diversement appréhendée selon les pays et les secteurs d’activité.
Pour ce qui est des pays, le
sénateur Richard Yung, président du Comité national anti-contrefaçon depuis
juillet 2013, rappelle bien les facteurs historiques et culturels qui induisent
des perceptions différentes de la problématique : « l’Allemagne se
distingue, en raison de son histoire industrielle ancienne, en matière de
culture de la protection des brevets. La France est plus active sur le terrain
des marques, car elle est soucieuse de protéger ses produits du luxe, son vin,
ses appellations d’origine ».
Quant aux
secteurs, autant ne pas se mentir : le BTP a du chemin à parcourir pour
arriver au niveau de vigilance et d’efficacité dans la lutte que peuvent
connaître les professionnels du luxe, de l’habillement ou de l’industrie
pharmaceutique. La prise de conscience est récente et la contrefaçon n’est pas
encore une problématique importante pour le secteur, à l’image du site de la
FFB où il n’y a que quatre
occurrences du terme contrefaçon.
Toutefois,
les choses évoluent. Le dernier
salon Batimat, en 2013, a dédiée une
conférence à ce thème : « Trafics illicites de matériaux et d’équipements
du BTP : comment les détecter et quelles précautions prendre ? » Le site
de la Fédération
française du bâtiment reprend certains propos entendus lors de ce salon et
il est notable de constater que tous les corps de métier sont touchés : de
l’architecte à l’entreprise d’électricité, en passant par le gros œuvre.
Devant cet
état des lieux encore embryonnaire, la FFB et la fondation d’entreprise
Excellence SMA décident de mener, en octobre 2014, une enquête
nationale pour mesurer le phénomène et sensibiliser les acteurs. Ainsi, la
situation est contrastée : 16 % des entrepreneurs s’estiment touchés
directement ou indirectement par la contrefaçon, sans distinction de taille.
Plus précisément, 10 % des entreprises de gros œuvre, 19 % de
menuiserie-charpente, 31 % d’électricité et 75 % de couverture, plomberie,
génie climatique. Or, les réponses à adopter face à ce fléau restent
parcellaires.
Comment déjouer la contrefaçon ?
Selon l’enquête,
70 % des sondés considèrent qu’une politique d’achat sécurisée est le rempart
le plus efficace pour éviter tout risque de contrefaçon : la fidélité
vis-à-vis de leurs fournisseurs historiques est une garantie de fiabilité
suffisante.
La réponse
est certes honorable, elle n’en reste pas moins paradoxale. Il suffit d’écouter
les griefs des acteurs du BTP à l’encontre de donneurs d’ordre qui veulent
absolument des devis réduits, à l’encontre de cette concurrence généralisée et
déloyale, notamment en provenance des travailleurs détachés, etc. La période
est marquée par la crise et beaucoup tentent de s’en sortir de manière
frauduleuse. Certains avancent même un discours convenu : « on n’a
pas le choix. D’autres le font. Pourquoi pas nous ». Et d’utiliser des
produits contrefaits en toute connaissance de cause.
Se développent
alors des réponses techniques. Par exemple, des marqueurs
invisibles et uniques, qui sont incorporés aux produits et/ou matériaux
pour lutter efficacement contre le vol et la contrefaçon. De même, et il faut
souvent le rappeler, la pédagogie reste une solution efficace. Ainsi, la
FFB Haute Savoie a mis en ligne deux quizz – plutôt réussis – sur le sujet.
Au niveau national, le CNAC, plateforme
informelle de rencontres créée en 1995 et placée sous l’égide du Ministre chargé
de la propriété industrielle, réunit des acteurs publics (administrations) et
privés (fédérations industrielles et artistiques, des associations
professionnelles) concernés par le respect des droits de propriété
intellectuelle (brevets, marques, dessins et modèles, indications
géographiques, droits d’auteur, etc.) et la lutte contre la contrefaçon. Son
rôle est de renforcer l’échange d’informations, faciliter le partage de bonnes
pratiques, coordonner des actions concrètes (campagnes de sensibilisation,
etc.) et formuler des propositions de réforme.
Pour finir, la
lutte contre la contrefaçon est consolidée par la
loi du 11 mars 2014. D’une part, la loi renforce les dédommagements civils
accordés aux victimes de contrefaçon. Ainsi, si les professionnels du BTP
utilisent malgré eux des produits contrefaits et que ceux-ci mettent en danger
la vie d’autrui, ils peuvent très bien être responsables… à la place du vendeur
de produits de contrefaçon (qui plus est si celui-ci est à plusieurs milliers
de kilomètres). Sans oublier l’utilisation de la
garantie décennale contre le professionnel.
En outre, la
procédure de
saisie-contrefaçon applicable au droit d’auteur est alignée sur celle en
vigueur en propriété intellectuelle. Ainsi, l’un des moyens de preuve de la
contrefaçon les plus utilisés – et le plus efficace – est généralisé. Autrement
dit : à quand une armada d’huissiers de justice sur les chantiers pour
faire constater l’utilisation de produits contrefaits ?
La
contrefaçon est donc un sujet important pour le BTP, qui peut le gangréner
comme cela peut se produire dans le cas de l’habillement ou les produits
pharmaceutiques. Les professionnels n’en ont qu’une vague idée pour le moment
et, à
l’image des travailleurs détachés, certains en profitent en toute
conscience. Le réveil sera rude. Mais le plus tôt sera le mieux.
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