mercredi 8 octobre 2014

Bâtiment et transition énergétique : se trompe-t-on de stratégie ?

Une loi, à elle seule, enclenche-t-elle une prise de conscience ? 
(source : mon-immeuble.com)


Alors qu’actuellement a lieu, à l’Assemblée nationale, l’examen des différents articles du projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte (PLTECV pour les intimes…), certains commentateurs, députés et experts s’accordent à dire que le bâtiment est le principal gagnant des dispositions discutées. Il faut néanmoins reconnaître que pour le béotien, le spectacle est tout autre.

En effet, la couverture médiatique – raccourcis médiatiques devrait-on dire – privilégie plutôt l’analyse de courte vue de certaines personnalités politiques, le pseudo-débat sur la part du nucléaire dans le mix énergétique ou encore la taxe carbone... La bataille d’amendement fait rage, les noms d’oiseaux pleuvent, les « obscurantistes » de droite s’opposent aux « sectaires » de gauche (pour résumer)… La faiblesse du débat parlementaire n’a d’égal que la compétence de certains députés et sénateurs dans les commissions : merci l’OPECST

Or, derrière les articles du PLTECV se cache en réalité une faiblesse originelle dans la manière de poser la problématique de la transition énergétique, notamment concernant le bâtiment.

De l’importance du moment

La transition énergétique, tout le monde comprend l’urgence (changement climatique, raréfaction des ressources, précarité énergétique, préservation de l’environnement…) mais chacun a sa solution. Le problème est tellement complexe qu’une hauteur de vue est obligatoire. Nicolas Hulot le rappelle à juste titre : nous sommes à un « moment de vérité, excessivement important » qui « donnera un signal soit d’ambition, soit de frilosité ».

Ainsi, il ne peut y avoir d’échec dans ce qui sortira du débat politique sur la PLTECV. Au niveau national, les enjeux socio-économiques sont trop importants. Au niveau international, la France, qui accueille la grande conférence climat de l’ONU en décembre 2015, ne peut se permettre d’envoyer un mauvais signal. Toutefois, le problème est de savoir quand la politique se mettra au niveau des enjeux. En effet, 3 ministres en deux ans, ce n’est pas très sérieux

Transitionnons ! Oui… mais de quoi parle-t-on ?

La transition énergétique, tout le monde est d’accord sur le terme mais personne n’a la même définition. Selon Wikipédia, c'est le passage d’un système énergétique utilisant des ressources non renouvelables – ou carbonées, c’est-à-dire les combustibles fossiles – vers un bouquet énergétique basé principalement sur des ressources renouvelables. Or, cette définition est d’ores et déjà biaisée.

En effet, la transition énergétique peut indiquer moins de consommation de ressources combustibles. Par exemple, un pays (Chine, Inde, Allemagne, Danemark…) peut réduire drastiquement sa dépendance au charbon pour produire de l’électricité et se tourner vers le gaz : il réalise alors une transition bénéfique pour le climat. Mais quid financièrement ? L’Allemagne s’en mord déjà les doigts.

De même, les pro-nucléaire soutiennent que l’atome est une solution pour réussir la transition énergétique puisqu'il est une énergie décarbonée. D’autant plus que le parc français étant rentabilisé, l’énergie est à meilleur coût. A l’inverse, développer l’éolien et le solaire oblige à « dépenser de l’énergie » pour extraire les ressources nécessaires à leur production (acier, terres rares, nickel, etc.). Aussi, certains avancent que la France a déjà fait sa transition énergétique.

Le bâtiment est bien la pierre angulaire de la transition énergétique

Au-delà de ce débat conceptuel, mais qui reste nécessaire, tout le monde aura compris qu’il y a urgence. Et au regard des 140 pages du PLTECV présentées en commission, la rénovation énergétique de l’ancien apparaît comme une problématique centrale. Comme le rappelle Ségolène Royal, Ministre de l’Ecologie, du Développement durable et de l’Energie, « l’énergie la moins chère est celle qu’on ne consomme pas ». Ainsi, le titre II de la PLTECV propose des articles de lois qui vont modeler, sur le long terme, le secteur de la construction-rénovation. Une deuxième marque de confiance de la part du gouvernement Valls, après la séquence Duflot.
 
Sans revenir en profondeur sur le texte, les principales mesures sont relatives à la simplification des lois (plan d’occupation des sols, plan d’aménagement et plan local d’urbanisme) et leurs implications sur les travaux d’isolation. De même, les financements sont facilités et amplifiés, mais s’accompagnent d’une obligation à améliorer significativement la performance énergétique à chaque fois que des travaux importants sont réalisés. Le parc public fait bien évidemment figure d’exemplarité, entièrement rénové à l’horizon 2050 afin d’atteindre le niveau basse consommation, voire plus (Bepos). Pour finir, à l’initiative des députés, la performance énergétique est inscrite dans les critères de décence d’un logement, de même que la création d’un carnet de santé du logement.

Des fragilités dans le mode de raisonnement

Néanmoins, le PLTECV souffre de fragilités. Certes, aucune loi n’a l’ambition d’être parfaite mais Delphine Batho, prédécesseure de Ségolène Royal et actuellement l’une de ses meilleures ennemies, rappelle à juste titre les faiblesses financières du texte alors que, dans le même temps, la loi de finances 2015 table sur une baisse de 5,8 % des crédits du ministère de l’Ecologie.

Pour Ségolène Royal, le problème n’est pas là. Il faut, au contraire, voir les vertus du PLTECV : baisse des factures, création d’emplois… Avec même des conséquences positives sur les qualifications des salariés : « réussir la transition énergétique, c’est aussi réussir cette transition professionnelle ». Mais même sur ces points, les critiques sont légitimes.

Ainsi, concernant la question de la compétence du personnel, il faut dire que le secteur part de loin. En effet, la récente enquête d’UFC-Que Choisir a montré les fragilités de la mention RGE et donc du système de qualifications des ouvriers spécialistes de la rénovation. Un réel effort est donc à faire.

Pour ce qui est de l’emploi, les entreprises estiment à 75 000 emplois les conséquences de la mise en chantier rapide de la rénovation énergétique des bâtiments. Or, comme l’avance l’architecte Marika Frenette, « il y a eu 300 000 emplois perdus dans le secteur. Il ne peut pas y avoir de création d’emplois puisqu’il n’y a pas de boulot. Ceux qui sont un peu dégourdis changent de métier et se tournent vers la rénovation. Mais ça, ce ne sont pas des créations d’emplois, ce sont des transformations ».

De même, concernant les économies d’énergie, les spécialistes préfèrent raisonner en termes de retour sur investissement plutôt qu’en valeur absolue. Dans le meilleur des cas, la baisse des factures est de 15 % (quelques centaines d’euros par an)… quand l’investissement initial est de 25 000 à 30 000 euros. Les propos d’Hervé Graton, ingénieur thermicien et directeur de Kypseli, sont révélateurs d’un mirage de la rénovation bien ancré chez nos politiques… mais aussi chez les acteurs du secteur qui poussent dans ce sens pour développer leur chiffre d’affaires.

Pourquoi faire des travaux ?

Ubuesque pour certains, la question suivante fait alors sens : pourquoi faire des travaux ? En effet, il est nécessaire d’intégrer la problématique des économies d’énergie dans celle, beaucoup plus large, du confort. L'Institut Français pour la Performance des Bâtiments (IFPEB) avance même que la rénovation doit s'inscrire dans une création de valeur extra-énergétique, c'est-à-dire une valorisation immobilière du bien rénové dans laquelle se retrouvera le propriétaire (dans son patrimoine ou lors de la revente).

Autrement dit, il est nécessaire de passer du logement au bâti dans son ensemble et de se focaliser sur sa durée de vie. Une vraie révolution qui ne sera pas déclenchée par le seul PLTECV mais via une prise de conscience citoyenne synonyme de responsabilisation. Comment ? Là est la vraie question… et un vrai challenge politique.

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