Transport multimodal Voiture / Bus / Vélo – Crédit : ville de Münster – Allemagne
(source : http://tout-metz.com/)
Métro et tramway, depuis la fin des années 1970, vélib’ et
autolib’ dans les années 2000… Depuis une quarantaine d’années maintenant, l’offre
globale de transport se diversifie fortement dans les villes. Si, au départ,
cette politique volontariste impulsée par l’Etat vise à désengorger les
hypercentres et fluidifier la circulation, elle s’est peu à peu transformée en
lutte pure et simple contre la présence de voitures dans les villes. Moins de
pollution, d’accidents, de bouchons… A première vue, cela peut sembler
bénéfique à tous les niveaux. Cependant, la problématique est beaucoup plus
compliquée qu’il n’y parait, car la voiture participe également au dynamisme
économique des villes, d’autant plus depuis l’apparition des zones commerciales
en périphérie. Retour sur l’imbrication complexe entre confort de vie, mobilité,
économie et urbanisme.
La voiture, un moyen de circulation pointé du doigt en
ville
« Les véhicules mécaniques sont
devenus à la fois une gêne pour la circulation et l’occasion de dangers permanents. Ils ont, de plus,
introduit dans la vie citadine de nombreux facteurs nuisibles à la santé ».
Dès 1933, le célèbre architecte Le Corbusier pointe du
doigt les nuisances de la voiture en milieu urbain. Si son usage ne va pas
décroitre au fil des ans, les critiques vont, quant à elles, se faire de plus en plus nombreuses à l’encontre de ce qui reste le moyen
de transport préféré des Français pour les courts trajets.
Pollution
atmosphérique, sonore, kilomètres de bouchons, stress... Les critiques à l’égard des voitures en ville sont nombreuses. En
plus de ces gênes physiques, les bouchons représentent un coût économique non
négligeable, à en croire une étude réalisée par Inrix, un cabinet d’info trafic. Selon cette étude, les embouteillages
auraient coûté la bagatelle de 17
milliards d’euros à la France en 2013 ! Ce chiffre correspond à la somme des heures de travail
perdues, du prix du carburant gaspillé et aux hausses de prix consécutives à la
hausse des coûts de transport pour les entreprises.
Dans
un tel contexte, il apparait logique de vouloir fluidifier le trafic. Pour cela
deux méthodes non exclusives existent : multiplier les offres alternatives
et/ou décourager les automobilistes de prendre leur véhicule.
Elargir l’offre : diminuer le
nombre de voitures sans diminuer la mobilité ?
Comme
évoqué en introduction, les années 1970 et 1980 ont vu l’émergence dans les grandes villes de nouveaux
moyens de transports : le métro et le tramway. L’installation d’un métro est chère mais présente le double avantage
de ne pas perturber la circulation en ville et d’être rapide : depuis quarante ans, Lyon,
Marseille, Lille, Toulouse et Rennes se sont dotées d’un tel réseau, transportant entre 113 000 et
740 000 passagers par jour.
Quant aux tramways, ils sont moins chers et donc
plus accessibles aux villes de tailles moyennes. Ils ont cependant le défaut de
se substituer (la plupart du temps) à des voies de circulation, et ont donc un
potentiel de désengorgement plus faible. Il s’agit là d’une critique récurrente concernant le tram
de Bordeaux, qui a été préféré au métro après un feuilleton de plusieurs années. Depuis
1985, année d’inauguration du premier
tramway depuis 1909, 25
villes ont été conquises par ce moyen de transport. Désormais les
entreprises du secteur, notamment Alstom, tentent d’étoffer leur offre et se tournent vers les petites
communes grâce à un mini-tram. D’ici 2020, l’entreprise espère séduire
une quinzaine de villes de 100 000 habitants. A l’heure actuelle, Aubagne
est la seule ville équipée de ce « tram-compact », tram dont elle gère
seule le coût en optant pour la gratuité totale du service.
Enfin,
les nouveaux arrivants dans le paysage des transports : les vélos et
voitures en libre-service. Du fait de leur effectif encore peu élevé, les
voitures n’ont pas encore d’impact significatif sur le trafic routier, mais
leur apparition dans le paysage urbain permet à un nombre toujours croissant d’utilisateurs de s’accoutumer aux voitures électriques. Pour leur
part, les vélos remplacent les trajets courts et, à plus long terme, permettent de
prolonger l’esprit d’une « génération
sans permis » qui ne voit plus l’intérêt d’apprendre à conduire. Il convient cependant de
préciser que vélos et voitures en libre-service se trouvent principalement dans
les grandes villes, soit celles ayant le moins à craindre de la diminution du
nombre d’automobilistes.
Décourager les automobilistes en ville pour fluidifier le trafic
Comme
le souligne le journaliste Franck Gintrand, les grandes agglomérations ont
voulu limiter l’accès de la voiture non
« pour y rendre la vie des piétons plus agréable et l’air moins pollué, mais pour éviter
l’asphyxie de la circulation automobile ». Le problème étant que cette volonté de
fluidifier le réseau s’est parfois transformée en
une volonté de bannir autant que possible les voitures, à l’image de collectifs tels que vélorution
ou Carfree.
Afin
de décourager l’usage de la voiture en
ville, plusieurs solutions plus ou moins punitives ont été élaborées, en France
mais aussi chez nos voisins européens, preuve que ce phénomène dépasse le cadre
national. La première initiative d’envergure est originaire
de Grèce, où Athènes
a instauré une circulation alternée dès 1982, afin de lutter contre la pollution
principalement. Peu efficace au final car contourné par bon nombre de citoyens,
le système a permis d’ouvrir la voie et se
montre utile de façon ponctuelle (lors du dernier pic
de pollution à Paris par exemple).
L’autre moyen pour diminuer la circulation est de
jouer sur la corde la plus sensible : le portefeuille des usagers.
Originaire de Singapour, le péage urbain a fait des émules en Europe où
plusieurs villes l’ont adopté : parmi
celles-ci, des villes modestes (Bergen, 180 000 habitants) mais aussi des grandes
métropoles comme Stockholm ou Londres. Mis en place en 2003 dans la capitale
britannique, le
péage urbain a permis de réduire de 18% le nombre de voitures et de camions
dans la zone
et les embouteillages de 28%. De plus, les recettes induites, d’un montant de 85 millions d’euros en moyenne, servent intégralement à améliorer
les transports publics et la voirie. Autre effet bénéfique, les bus affichent
une ponctualité record, devenant ainsi plus attractifs. En revanche, l’impact
environnemental reste quant à lui négligeable.
Enfin,
deux autres types de mesures existent pour éloigner les automobilistes de la
ville. D’une part, il peut s’agir de réduire leur espace : à Paris, par exemple, 20 000 places de stationnement
ont disparu depuis dix ans, au profit des piétons, cyclistes ou des bus. Moins
de place, donc plus de mal à se garer et une incitation à utiliser un autre
type de transport pour les courts trajets. Dans la même logique, l’instauration
de « zones 30 », voire même de « zones 20 » (à Mâcon par exemple) a aussi pour but de
décourager les automobilistes frustrés de rouler si lentement.
En termes de bilan, en
reprenant l’exemple parisien et toutes
les mesures mises en place depuis le début des années 2000 (tramway, vélib’, réduction des places de stationnement…), le
trafic intra-muros a diminué de 23%. Paradoxalement, les bouchons en Île-de-France ont
progressé de 26% sur les quatre dernières années. Des trajectoires contraires
qui s’expliquent en partie par
le regain d’activité en périphérie.
Les zones commerciales en périphérie désengorgent les villes… et
assèchent leur économie
Depuis
quarante ans donc, l’offre de transport s’est considérablement diversifiée et la plupart des villes
offrent la possibilité de se rendre d’un point A à un point B par un moyen autre que la voiture. Seul problème, s’il existe des moyens de
transport variés, qu’en est-il quand le voyageur fait ses emplettes ? Il est par exemple malaisé de
ramener ses courses en métro, ou son armoire Ikea en tram. A cela se couple un
phénomène nouveau : la multiplication de zones commerciales en périphérie.
Apparues
à la fin des années 1960, les zones commerciales en périphérie grandissent d’année en année : pour la période 2014-2015, plus
d’un million de m² de projets commerciaux sont d’ores et déjà annoncés. Si ces zones
apparaissent à première vue comme un cadeau pour les villes proches, il s’agit en réalité de cadeaux empoisonnés pour elles.
Dans le cadre d’une grande métropole, l’impact économique est marginal, car il existe un
vivier important de consommateurs. En revanche, les conséquences sont plus
graves pour des villes petites ou moyennes, car les zones commerciales
concentrent un grand nombre de services qui viennent concurrencer ceux du
centre-ville. L’exemple du projet « Carré
d’Or » près de Perpignan est tout à fait révélateur de cette logique : le promoteur a
tout d’abord assuré qu’il ne proposerait que des vitrines spécialisées
dans l’ameublement. Finalement
50% des surfaces seront réservées à de l’habillement.
Certains
élus ont bien conscience du danger qui plane sur leur ville : une
périphérie qui offre Ikea et Carrefour passe encore, une périphérie qui offre
dans un espace concentré des salons de coiffures, des magasins de vêtements,
des cinémas… cela signifie la mort des commerces locaux. Et, par conséquent,
des rues moins dynamiques, donc moins attractives et une chute de l’immobilier. Un cercle vicieux qu’il faut donc empêcher, à l’image du maire de Metz, Dominique Gros, qui est
revenu sur son approbation d’un centre commercial en
périphérie, arguant que « ce
projet met en péril direct le centre-ville de Metz et déséquilibrera toutes les
villes de l’agglomération ». Et, s’il est trop tard pour stopper les zones commerciales, certains élus
tentent de relancer l’attractivité de leur
ville, en se servant notamment du levier automobile.
Vers un retour de la voiture ?
D’abord omniprésente et quasi-indispensable, puis peu à peu
éclipsée et décriée, la voiture aurait donc de nouveau le vent en poupe dans
les villes ? Oui, mais dans certains cas seulement. Car s’il est vrai que
la voiture est directement liée au dynamisme d’une zone et à son activité
économique, son importance dépend grandement de la taille des villes. Un raisonnement
par l’absurde consisterait à comparer les situations de Paris et Carcassonne
par exemple : voiture ou non, le centre-ville, et donc les commerces de la
capitale (il en va de même pour Lyon ou Marseille), seront toujours fortement
fréquentés. A Carcassonne en revanche, les commerçants ont fait pression sur la
mairie afin de lever l’interdiction de circuler dans les zones piétonnes du
centre.
En réalité, comme le résume Franck Gintrand, les
petites et moyennes villes ont commis l’erreur de suivre l’exemple des grandes,
alors que les enjeux n’étaient pas les mêmes. Les grandes villes cherchent à
éviter l’asphyxie du parc automobile, les petites ont interprété cela comme des
mesures pour favoriser les piétons et l’environnement. Mais si pour les grandes
villes l’impact économique est très faible voire nul, il est bien plus important
pour les plus petites.
Afin d’inverser la tendance, certains élus tentent de
nouveau de séduire les automobilistes, quitte à revenir sur les promesses de
leurs prédécesseurs. A Saint-Etienne par exemple, le nouveau maire Gaël
Perdriau a pris la décision de supprimer
certaines pistes cyclables ainsi que des zones piétonnes pour les
retransformer en zones à 30. A Angers, le nouvel élu a décidé de rendre
gratuite la première heure de stationnement afin « de
casser l’image d’un centre-ville inaccessible ». Si cela
représente une perte de revenus directs, la mairie espère compenser par le
surcroit d’activité impulsé. Comme le souligne le président de la CCI de Nantes, il
existe « une
clientèle à fort pouvoir d’achat qui n’utilise que sa voiture ». Il
convient donc de se la réapproprier.
« La ville doit s’adapter à la voiture »,
déclarait Georges Pompidou en 1970. S’il garde une certaine pertinence, ce
propos mérite deux nuances 44 ans plus tard : premièrement, les villes ne
doivent pas se plier aux exigences de la voiture, mais lui trouver une place,
au milieu des autres offres de transport. Deuxièmement, la voiture doit
également s’adapter à la ville d’aujourd’hui et à l’environnement
actuel : être à la fois connectée, sûre, propre, silencieuse et
économique. En cela, les voitures électriques en libre-service apparaissent
comme une étape intéressante.
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