Le financement participatif est-il adaptable au marché immobilier ? (source : www.latribune.fr)
A écouter
certains observateurs dans les conférences sur le sujet, le financement
participatif serait une révolution qui va changer non seulement la manière de
faire mais aussi les manières d’interagir entre les protagonistes. Concernant le crowdfunding appliqué à l’immobilier,
les nouveaux acteurs véhiculent déjà leur storytelling charmeur et charmant
quand d’autres y voient d’ors et déjà le fossoyeur de leurs rentes.
Nouvel avatar
de ce Web social qui émerveille
ou affole, le crowdfunding immobilier mérite de s’y intéresser, de se saisir du
phénomène et de leur faire fructifier. Mais il ne faut pas non plus oublier qu’au
geste « participatif » vient se greffer la notion de retour sur
investissement… Aussi, à l’origine proche de la sphère religieuse et caritative, le
financement participatif est devenu un business qui pourrait remodeler les
différents périmètres d’activités des acteurs historiques et leur place dans la
chaîne de valeur.
Idée ancienne, développement nouveau
Le
crowdfunding ou financement
participatif est un mode de financement de projets par le public. Les fonds
récoltés, généralement de faibles montants et auprès de nombreuses personnes,
permettent de financer un projet artistique ou entrepreneurial. Historiquement
apparu en Angleterre au XVIIIème siècle, dans les communautés souhaitant
financer des actions de charité, le financement participatif s’est fortement
développé ces dernières années grâce à Internet et au développement des réseaux
sociaux.
En effet, le
financement participatif prend surtout la forme, au milieu des années 2000, du microcrédit, pratique
consistant à attribuer des prêts de faible montant à des entrepreneurs ou à des
artisans qui ne peuvent accéder aux prêts bancaires classiques. Généralement observés
dans les pays en développement ou bien ne concernant qu’une catégorie très
déshéritée de la population des pays occidentaux, le microcrédit est revenu au
goût du jour avec les actions de Muhammad
Yunus, soutenu par le géant de l’agroalimentaire Danone.
Se sont
alors développés des plateformes de microcrédit comme Kiva, fondé en 2005, ou
encore le Français Babyloan, créé en 2008. Néanmoins, ces sites sont
majoritairement dédiés au financement d’actions (petite activité d’élevage,
agricole, etc.) dans des pays en développement. Ainsi, des Occidentaux prêtent
de l’argent à des personnes habitants des pays pauvres et qui souhaitent
développer un projet, c’est-à-dire que l’argent est récolté par la plateforme
Internet qui transfert les fonds vers le partenaire local (institutions de
microcrédit) qui, à son tour, prête l’argent à la personne à qui il est dédié. Celle-ci
rembourse le capital versé par mensualités d’un faible montant, assorti d’un
taux d’intérêt faible.
Toutefois,
le financement participatif est beaucoup moins restreint que ne peut l’être le
microcrédit.
Un foisonnement d’acteurs touchant diverses
problématiques
Internet
facilite la circulation de l’information et permet l’extension de l’économie du
troc et du don. Ainsi, une personne avec un projet mais des difficultés pour
réunir des fonds d’amorçage peut alors le proposer sur des sites dédiés.
Historiquement, la musique fait office de laboratoire expérimental, plein d’artistes
manquant d’argent pour lancer leur groupe ou produire leurs chansons. Le site de
financement participatif My Major Company est ainsi créé en 2007.
Néanmoins,
la période contemporaine est à la quête de sens, à l’engagement dans une
aventure. Rien de bien novateur, certes, mais Internet révolutionne les
manières et l’intensité de le faire. En quelques clics, on peut s’informer,
échanger sur ses goûts, ses idées… et financer des projets. Les sites de
crowdfunding « généralistes » comme Indiegogo ou Kickstarter fondés
en 2008-2009 aux Etats-Unis, ou encore KissKissBankBank (France, mars
2010) surfent sur cette vague. Sans oublier que le contexte de l’époque – et toujours
prégnant actuellement – est à la défiance vis-à-vis des intermédiaires
bancaires et financiers traditionnels.
Toutefois,
ce n’est pas seulement le caritatif qui est ciblé mais aussi et surtout le
projet entrepreneurial. Le financeur est attiré par le projet qui lui plaît
mais son argent n’est pas donné (ou plutôt proposé) en pure perte. Ainsi, au-delà
du don, où il n’y a pas de rémunération du donneur, le financement participatif
englobe également :
- La participation aux fonds propres de la société créée : l’investisseur devient actionnaire et se rémunère sur les dividendes ou la plus-value réalisée lors de la cession des titres ;
- Le prêt : obligatoirement sans intérêts pour les particuliers, ceux avec intérêts ne pouvant être faits que par des établissements bancaires agréés par la Banque de France.
En clair, le
crowdfunding serait un capitalisme
de proximité, dont la croissance est très importante comme en témoigne le doublement
des fonds collectés par financements participatifs, en France, entre le premier
semestre 2013 et celui de 2014, soit
66 millions d’euros : les prêts représentent 37,4 millions, les dons
19,2 et le capital près de 10 millions.
Un encadrement nécessaire pour renforcer la
dynamique
En France,
la prise de conscience des potentialités permises par le financement
participatif n’est que récente et les principales mesures concernent surtout la
crédibilisation des acteurs via la création d’un statut d’intermédiaire en
financement participatif (ordonnance
n° 2014-559 du 30 mai 2014 et décret
n° 2014-1053 du 16 septembre 2014).
Ainsi, les
plateformes de crowdfunding obtiennent un agrément officiel pour opérer en
contreparties d’obligations de transparence et d’information envers leurs
investisseurs. Des limites sont également posées. Par exemple, les prêts
rémunérés consentis par des particuliers à des personnes morales ou
physiques sont plafonnés à un million d’euros par prêt et 1 000 euros par
prêteur. Concernant les prêts sans intérêt, le plafond est porté à 4 000 euros
et pour dépasser ces plafonds, il faut obtenir
un agrément d’établissement de crédit délivré par l’Autorité de contrôle
prudentiel et de résolution (ACPR) et un agrément de prestataire de service d’investissement
délivré par l’Autorité des marchés financiers (AMF).
Et ces
instances de régulation de rappeler les risques liés au crowdfunding, notamment
la perte totale ou partielle du capital investi, le risque d’illiquidité (la
revente des titres n’est pas garantie, il est difficile d’en connaître la
valeur exacte) et un retour sur investissement aléatoire.
Concernant
les services de levée de fonds proposés aux entreprises, les plateformes doivent
adopter le nouveau statut de conseillers en investissements participatifs (CIP)
ou bien exercer en tant que prestataires de services d’investissement.
Toutefois, les entreprises souhaitant lever moins d’un million d’euros par ce
biais sont exemptées de publication d’un prospectus financier.
Le modèle d’affaires des acteurs du
crowdfunding immobilier
Les
plateformes pariant sur l’immobilier restent encore marginales : Anaxago,
Wiseed, Crowd-Immo, Lymo et Hipipipimmo (quoique celui-ci reste purement
focalisé sur le locatif) sont généralement les plus connues. Leur
rôle est simple : elles présélectionnent des promoteurs immobiliers et
proposent ensuite les projets aux particuliers afin qu’ils participent au
financement. Une fois celui-ci achevé et les lots vendus, ils se partagent les
bénéfices.
Ainsi, les
plateformes, comme tout site Internet BtoB, sont plus qu’un simple vecteur de
commercialisation. Elles permettent une meilleure circulation de l’information
et la création d’une relation de confiance (en combien de temps toutefois ?),
ce qui est toujours appréciable dans un marché immobilier en crise et d’une
grande complexité.
Cette mise
en avant du côté humain des projets à financer s’accompagne d’un storytelling
en direction des investisseurs : elles sont une nouvelle façon de
diversifier ses investissements et de faire fructifier son épargne. En outre,
elles se posent en facilitateur
des promoteurs, ceux-ci ayant de plus en plus de mal à trouver les fonds
propres nécessaires pour lancer leurs projets ou pour faire face à l’allongement
des délais de commercialisation. En effet, dans ce métier, la banque tout comme les ventes sur plan financent chacun
40% du programme. Le promoteur
doit alors apporter les 20 % restant pour que le projet se réalise.
Les plateformes
permettent alors la rencontre entre particuliers et promoteurs en manque de
liquidités, au travers de montages
sûrs et rémunérateurs.
Le crowdfunding immobilier : une
chimère ?
Anaxago et
Lymo se risquent à avancer 10
% de rentabilité avant impôts. Comment ? En empiétant directement sur
les plates-bandes des promoteurs immobiliers, là où se réalisent la création de
valeur et donc, la plus-value à capter. Néanmoins, à y regarder de plus près,
on s’aperçoit qu’il y a des déterminants à prendre en compte. Par exemple, l’investissement
est immobilisé entre deux et trois ans, selon les plateformes. En vérité, ce
type d’investissement n’est que trop récent pour en tirer des conclusions en
termes de rentabilité.
Quant à l’universalité
du crowdfunding dans l’immobilier, c’est le grand paradoxe. L’exemple
généralement mis en avant pour montrer son efficacité concerne la
société
montpelliéraine Kalelithos dont Anaxago a permis de lever 1,8 million d’euros
en 40 jours (mars 2014), auprès d’une cinquantaine de personnes. Mais faites le calcul : cela fait environ 35 000 euros par
investisseur…
Aussi, l’immobilier
comme nouvelle frontière de l’investissement participatif est à sérieusement
tempérer. Selon le dernier baromètre reprenant les chiffres
compilés par diverses plateformes de crowdfunding, réalisé par l’agence conseil en innovation CompinnoV, l’immobilier ne représenterait
que 6 % des investissements réalisés, essentiellement sous la forme de
participations au capital d’une société. Or, le taux de succès des projets (quels
qu’ils soient) sous cette forme n’est que de 56 %, bien moins que lorsque les
projets sont financés grâce à des dons ou prêts (98 % de réussite).
Par ailleurs, quand le projet est financé sous la forme de fonds
propres (capital), ils sont généralement avancés par des entreprises et
seulement à 3 % par des particuliers. Et dans ce cas, sans surprise, les
financeurs par apport de capital sont surtout des personnes entre 35-49 ans (50
%) tandis que les 25-34 ans et les 50-64 ans ne représentent que 25 % chacun.
Cela peut s’expliquer par la faible appétence pour les nouvelles technologies
pour les derniers et les moindres ressources financières pour les seconds. De
fait, seuls les 35-49 ans ont la possibilité d’investir, en moyenne, 2000 euros
dans le capital d’une société.
Aussi, le crowdfunding
immobilier reste une idée intéressante mais le secteur est encore jeune. Par exemple, il n'est pas inutile de s'interroger sur les méthodes de rémunération de ces
nouveaux acteurs : on pense souvent que le coût d’utilisation des
plateformes est nul ou presque mais c’est aussi oublier que celles-ci sont des
entreprises commerciales qui doivent avoir une rémunération adéquate de leurs
services. Quid de leur pérennité ? Sans oublier qu’elles sont en concurrence directe avec d’autres
produits financiers, tels que les SCPI, les OPCI, les fonds immobiliers de l’assurance-vie
voire les sociétés foncières cotées en bourse.
Toutefois,
les acteurs historiques du secteur se garderaient bien de tout snobisme à l’égard
des Anaxago, Wiseed, Crowd-Immo, Lymo et autres. A l’image de Google
ou Apple pour la domotique, ces derniers sont les nouveaux trublions de l’immobilier,
certes avec un modèle économique à prouver. Ce qui n’empêche pas certains de
voir dans le financement participatif le futur
bâtisseur des villes. A suivre…
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sur Twitter : @Bati2030
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