Le Grand Paris n'est plus une utopie (crédit : societedugrandparis.fr) |
L'expression est présente dans les programmes de tous les candidats aux élections municipales à la mairie de Paris (et des autres communes concernées). Pour Nathalie Kosciusko-Morizet, le Grand Paris est "une nécessité d'élargir les frontières de notre capitale à un cadre plus vaste que celui qui est imposé par le périphérique". Anne Hidalgo en fait pour sa part une de ces thématiques de campagne, car selon elle, "le Grand Paris est l'échelle pertinente pour agir" sur des dossiers majeurs comme le logement, les politiques sociales, les transports, l'économie et la transition énergétique. Le point de vue de Wallerand de Saint-Just est sans quiproquo : une nécessité, mais pas sous la forme voulue par l'équipe municipale "qui s'avère dangereux aux noms des finances publiques et de la démocratie". Pour les élus d'EELV, le message se résume à "une métropole du Grand Paris : oui, mais restons vigilants !". Bref, le projet d'un Grand Paris ne fait plus vraiment débat aujourd'hui. Mais il reste toutefois à définir quel sera son vrai visage aux yeux de ses habitants, des Français et du monde.
L'idée d'un Grand Paris n'est pas si récente. Selon l'historien et économiste Patrice de Moncan, Napoléon III était le premier à évoquer le projet d'un Paris s'étendant de Saint-Germain-en-Laye à Marne-la-Vallée. Mais il a fallu plus d'un siècle de bouleversements urbains et d'évolution des mentalités pour que le projet prenne de la consistance. Le 19 décembre 2013, le Parlement adopte ainsi le Grand Paris dans le cadre de la loi du 27 janvier 2014 sur la modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles, qui prendra effet au 1er janvier 2016. Elle définit de fait le Grand Paris comme l'agrégation des communes de Paris et des trois départements limitrophes, la Seine-Saint-Denis, les Hauts-de-Seine et le Val-de-Marne, sous une seule et unique métropole.
L'idée initiale du Grand Paris est de créer une unité, par la mutualisation des moyens et des projets, tant sur le plan urbain qu'administratif, à même de concurrencer les grandes métropoles européennes, voire mondiales, telles que Londres, New York ou Shanghai. Selon Marylise Lebranchu, ministre de la Décentralisation, ce nouveau territoire permettrait ainsi, via différentes mesures et projets, de rééquilibrer les inégalités entre les communes pour rendre l'agglomération plus fonctionnelle et plus efficace face aux grands enjeux comme le logement, les transports, l'économie ou encore la transition énergétique. Dans les paragraphes 4 et 5 de l'article L. 5219-1 I du Code général des collectivités territoriales, les objectifs sont tout aussi clairs : "La métropole du Grand Paris est constituée en vue de la définition et
de la mise en œuvre d'actions métropolitaines afin d'améliorer le cadre
de vie de ses habitants, de réduire les inégalités entre les territoires
qui la composent, de développer un modèle urbain, social et économique
durable, moyens d'une meilleure attractivité et compétitivité au
bénéfice de l'ensemble du territoire national".
Créer l'unité territoriale et géographique
Le premier enjeu du projet concerne la construction des infrastructures nécessaires à la création de cette unité géographique de la métropole. Les transports sont bien-sûr primordiaux dans cette stratégie d'unification, avec notamment un projet d'envergure considérable : le Grand Paris Express. Mis en oeuvre par la Société du Grand Paris, il prévoit la création de quatre lignes de métro supplémentaires (plus les prolongements des lignes 11 et 14) permettant de lier des villes comme Versailles, Saint-Quentin, Chelles et surtout des équipements comme les aéroports d'Orly et Roissy-Charles de Gaulle ou encore la gare TGV de Massy Palaiseau. Au total, 205 kilomètres de lignes de métro automatisées pour 72 nouvelles stations devraient être construits pour un coût total de 24,5 milliards d'euros à l'horizon 2030. Un projet colossal pour transporter quotidiennement deux millions de personnes.
Dans ce contexte, les majors du BTP se frottent les mains. La FFB a d'ailleurs créé une section appelée FFB Grand Paris qui regroupe 27 chambres et syndicats professionnels de Paris et des départements limitrophes, représentant à eux-seuls 20 % de l'activité bâtiment sur le territoire français ! Parmi une liste des projets aussi vaste que l'imagination des architectes urbanistes, le recouvrement du périphérique de Paris fait office du symbole des difficultés à concevoir des projets de travaux publics de cette envergure. Soutenu en particulier par Nathalie Kosciusko-Morizet, le but du recouvrement est multiple : il s'agit autant de la suppression d'une barrière physique qui coupe Paris de sa banlieue que de la suppression et du contrôle de nombreuses nuisances (bruit, pollution, etc.), en passant par un gain de surface constructible loin d'être négligeable (à l'image de ce qui a été fait dans le "nouveau XIIIème", le fameux projet Paris Rive Gauche). Mais le coût du recouvrement fait grincer les dents : pour les uns, un recouvrement total n'est ni possible (techniquement et financièrement) ni souhaitable ; pour les autres il est intéressant sur certaines portions et pourrait être financé par la vente des espaces gagnés aux promoteurs. Mais le véritable clivage est ici politique et prend le pas sur le débat technico-financier.
La bataille politique du Grand Paris
En effet, il existe un débat de fond à dimension politique sur ce que doit être le Grand Paris. N'en déplaise aux détracteurs des deux grands partis (UMP et PS), droite et gauche divergent ici fondamentalement. Projet d'aménagement urbain pour la droite (le Grand Paris Express était au départ une volonté de Nicolas Sarkozy) destiné à intégrer physiquement les départements et communes limitrophes de Paris, cette intégration se fait, pour la gauche, par le biais de la gouvernance. Plutôt qu'un ensemble confédéral, hiérarchiquement supérieur aux départements, le Sénat a souhaité supprimer un échelon pour faire de la métropole parisienne un conseil des communes. Or, cette idée est très critiquée par l'UMP et le FN, qui y voit respectivement "un machin bureaucratique et paralysant" et un moyen pour la Seine-Saint-Denis (au hasard) de faire "redresser sa gestion et rembourser ses emprunts toxiques" par le contribuable parisien.
Débuté depuis la naissance de l'idée d'un Grand Paris - le baron Haussmann avait finalement réussi à convaincre Napoléon III que le projet était trop ambitieux, au moment où la ville subissait de profondes et visibles mutations - ce feuilleton urbain connaît de nombreux soubresauts de nature politique. Le 7 janvier dernier, Matignon a brutalement licencié le patron de la Société du Grand Paris, Etienne Guyot, nommé par le gouvernement précédent, pour y mettre un homme plus proche du parti au pouvoir, Philippe Yvin, ancien conseiller de Jean-Marc Ayrault. Le 6 février, c'est une étude de l'Observatoire Régional de l'Immobilier d'Entreprise (ORIE) en Ile-de-France publiée par Le Monde qui a révélé que le projet de Grand Paris Express était menacé par le manque de financement. Une révélation qui fait écho à une critique de l'architecte Roland Castro, qui considère que le projet manque d'ambition, plus par manque de densité (les actuels projets d'aménagements ne concernent que 20 % de l'espace) que d'étendue.
Un grand projet pour voir loin
Ces coups d'arrêts et polémiques sont de plus en plus incompréhensibles pour l'opinion publique, face à des enjeux comme la pénurie de logements ou les récents pics de pollution, qui nécessitent des stratégies et des réponses intégrées à une plus petite échelle que la seule ceinture périphérique. Les politiques en sont pourtant conscients. Ainsi, Anne Hidalgo avance : "Paris ne peut pas être arrogante en décrétant qu'elle ne veut plus des
voitures que ses voisins devront eux continuer à subir. Il y a donc une
discussion qui doit s'engager avec les villes limitrophes. Le Grand
Paris va justement nous permettre de prendre ce type de décisions". Conscients, mais malheureusement limités. A se demander si les élus locaux sont à même de saisir les enjeux de l'opération, comme le pensent certains commentateurs.
Car la naissance d'une métropole du Grand Paris pose des questions sur l'avenir du développement urbain et
de son pendant administratif en France. D'autres métropoles françaises, comme Lyon et Marseille, sont concernées, avec leurs propres problématiques, enjeux de pouvoir locaux et polémiques stériles. Plus que la plupart des grands projets
urbains, le Grand Paris revêt une dimension politique indéniable, qui le
dépasse largement et renvoie à un autre marronnier de la politique
française, la suppression des départements. Face aux réticences en tout genre, sous la pression des enjeux, le vote d'une loi créant le Grand Paris est déjà en soi une victoire. A force de répéter cette idée à travers les deux derniers siècles, elle a pris une substance qui l'a rendue évidente dans les consciences des politiques comme de l'opinion publique. Et certains politiques voient encore plus loin, en évoquant une conurbation urbaine Paris-Londres
qui deviendrait alors la capitale des capitales mondiales, créant un
modèle qu'on pourrait reproduire dans les régions transfrontalières. Une
idée qui n'est pas sans rappeler les contes futuristes du Béni sois l'atome de René Barjavel, dans lequel un Paris-New-York n'est plus qu'un trajet en RER de type travail-banlieue, dans une conurbation transatlantique permise par des transports à propulsion atomique. Finalement, avec le Grand Paris, en sommes-nous si loin ?
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