mercredi 5 mars 2014

La garantie décennale garde légitimité et pertinence au regard des enjeux actuels

La garantie décennale en question ? (crédit : artisans-ales.fr)
Depuis plus de 35 ans, la loi Spinetta définit et encadre le dispositif d'assurance décennale, qui garantit tout bâtiment pour une durée de dix ans. Bien qu'étant un outil central de la qualité du bâti en France, la garantie décennale se trouve menacée aujourd'hui par la lutte contre l'inflation normative. Elle doit, par conséquent, justifier son existence face aux évolutions du secteur. Mais si elle se trouve limitée pour répondre à certaines problématiques, elle offre à l'inverse d'autres opportunités, en matière de développement durable ou de lutte contre la concurrence déloyale, que les acteurs du bâtiment sont loin de négliger. D'où cette question : face aux enjeux saillants du secteur de la construction, la garantie décennale est-elle en mesure de se réinventer ?

La garantie décennale due au client est une assurance contractée par les professionnels du bâtiment pour protéger leurs clients face à d'éventuels dommages. Elle couvre notamment les dégâts provoqués lors de la construction ainsi que les dommages de nature décennale, c'est-à-dire touchant à l'intégrité du bâtiment et à sa finalité. C'est le cas, par exemple, des vices au niveau des fondations, de la charpente, des canalisations ou encore des réseaux électriques. Sont exclus les vices apparents, qui doivent être dénoncés dès la livraison du bâtiment, les dommages causés de manière délibérée et les dommages dus à l'usure, en raison d'un mauvais usage ou d'un mauvais entretien.

L'assurance décennale a été rendue obligatoire en 1978 par la loi Spinetta (entrée en vigueur le 1er janvier 1979), considérée dès sa promulgation comme un progrès essentiel : "Toute personne physique ou morale, dont la responsabilité décennale peut être engagée [...], doit être couverte par une assurance. A l'ouverture de tout chantier, elle doit être en mesure de justifier qu'elle a souscrit un contrat d'assurance la couvrant pour cette responsabilité. Tout contrat d'assurance souscrit en vertu du présent article est, nonobstant toute stipulation contraire, réputé comporter une clause assurant le maintien de la garantie pour la durée de la responsabilité décennale pesant sur la personne assujettie à l'obligation d'assurance". La garantie décennale est ainsi devenue le dispositif central de l'amélioration de la qualité du bâti en France.

Un dispositif limité par les enjeux d'actualité

Cependant, et malgré plusieurs révisions, la loi Spinetta est aujourd'hui confrontée à certaines limites. Le récent cas d'un artisan qui s'est vu radié du jour au lendemain de son assurance décennale, l'empêchant de toute activité professionnelle, en illustre bien les difficultés actuelles. Pourtant assuré sans rupture depuis 2005, et malgré un litige de 3 000 euros en 2006, il se trouve confronté à un litige potentiel de 250 000 euros. Or, dans ce cas, tous les corps de métier sont en réalité responsable de ce sinistre, un phénomène typique des évolutions du secteur depuis 30 ans. Ce manque de coordination résulte en effet d'une profonde mutation des métiers de la construction, qui, du fait de l'innovation, de la progression et de la complexification des techniques, se spécialisent de plus en plus. L'inflation normative, ainsi que l'absence de plus en plus fréquente d'un maître d'oeuvre, contribue à renforcer cette perte de coordination et de dialogue entre les artisans, pourtant fondamentaux pour assurer l'unité de la construction et son fonctionnement. Face ces évolutions, l'assurance décennale se trouve dans l'incapacité de déterminer les responsabilités pour garantir les constructions.

De plus, cette situation place les artisans en situation de dépendance vis-à-vis des assureurs. Les coûts sont calculés à partir du chiffre d'affaires de l'entreprise et de la nature de l'activité, certaines entraînant des travaux plus lourds que d'autres. Selon le site decennales-artisans.fr, les prix s'échelonnent ainsi de 500 euros minimum par an pour un couvreur, à 2 000 euros pour un maçon (gros oeuvre). Or, du fait de la crise et des contraintes réglementaires du secteur, les sociétés d'assurances sont de plus en plus réticentes à renouveler les assurances automatiquement. Pour Guillaume de Mersuay, directeur commercial du groupe de courtage RCB, "les compagnies traditionnelles, c’est-à-dire établies en France et travaillant depuis la France, ont peu à peu resserré leurs conditions de souscription avec des hausses tarifaires. Certaines ont même procédé à des résiliations, ce qui reste peu au regard de leur portefeuille, mais constitue tout de même un phénomène nouveau". Tous les experts ne partagent pas ce constat, mais un changement récent semble l'attester : les artisans n'hésitent plus à s'adresser à des sociétés étrangères, plus souples et moins onéreuses, pour obtenir plus facilement ce type de prestation. Cette situation encore inédite entraîne selon la FFB des risques de dérives à surveiller.

Les opportunités de réinventer la garantie décennale

Pourtant, la garantie décennale est un outil qui offre plusieurs opportunités pour le secteur de la construction. Le 8 octobre 2013, la Cour de cassation a rendu un arrêt précisant que le défaut de performance énergétique devait être inclus dans la garantie décennale, étant donné que des "désordres d'isolation thermique, [...] susceptibles d’entraîner une augmentation de la consommation d’énergie et un certain inconfort, peuvent rendre l’ouvrage impropre à sa destination". De fait, la garantie décennale devient un outil de la lutte contre le gaspillage énergétique. Les travaux menés au sein du Plan Bâtiment Durable avait en effet abouti en juin 2013 à la rédaction du rapport Huet/Jouvent faisant la promotion de la "Garantie de performance énergétique intrinsèque (GPEI)". Ce concept, datant d'avril 2012, incite le prestataire à définir un niveau de performances énergétiques correspondant aux cinq segments de la RT 2012, qui soit intrinsèque au bâtiment, c'est-à-dire ne dépendant pas des usages de son utilisateur. La garantie décennale, au service de l'acheteur, est ainsi en train de devenir le fer de lance de la construction durable, outil commode contre l'écodélinquance aux côtés de l'éco-conditionnalité.

D'autre part, il faut bien reconnaître que la garantie décennale a été un dispositif incontournable dans le processus d'amélioration de la qualité du bâti en France. Or, la France est un des seuls pays européens à avoir rendu l'assurance décennale obligatoire. Pour la FFB, elle peut être alors un outil idéal pour limiter la concurrence déloyale venant des pays étrangers, mais provenant également des auto-entrepreneurs. En effet, l'article 8 de la proposition de loi n°1686, déposée par les parlementaires le 8 janvier dernier afin de lutter contre le dumping social et la concurrence déloyale, propose d'obliger les sociétés à contracter l'assurance décennale avant de répondre à un appel d'offres, plutôt que d'y souscrire une fois le contrat remporté. En ce qui concerne les auto-entrepreneurs, combien d'entre eux réalisent des travaux sans assurance décennale ? Sachant qu'elle coûte au minimum 1 350 euros pour un peintre, il est évident que des contrôles renforcés sur cette question, ainsi que la vigilance des particuliers, pourraient permettre de limiter le nombre de fraudeurs. Dans un contexte où la moindre contrainte réglementaire est scrutée à l'aune du "choc de simplification", l'assurance décennale dispose des moyens pour prouver sa légitimité et sa pertinence.

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