vendredi 21 mars 2014

La mobilité, un facteur de mutation urbaine

Mobilité et verticalité dans la ville de demain (crédit : noosfere.org)
Qui l'eût cru ? La mesure de circulation alternée, mise en place lundi à Paris et alentours, a été, si l'on reste au premier niveau d'analyse, un succès : 25% à 30% de bouchons en moins (voire même 60% sur certains axes aux heures de pointe) ; seulement 143 kilomètres d'embouteillage en Ile-de-France (contre deux fois plus habituellement) ; 90% de véhicules à numéro impair, 5 122 contraventions ; 61% et 33% de hausse respective des locations pour le Vélib' et l'Autolib'. Cette mesure (presque) nouvelle en France (elle existe par exemple à Sao Paulo sous le nom de "rodízio municipal") a modifié sur une journée la manière dont la population de Paris appréhende les transports quotidiens : transports publics, vélo, covoiturage et même congés exceptionnels. L'espace urbain lui-même s'en est trouvé modifié avec la réduction de la pollution, des nuisances sonores mais aussi de la pollution visuelle. Le signe que peu à peu, les "nouvelles" mobilités peuvent changer la ville.

Les campagnes électorales, et notamment celles pour la Mairie de Paris, sont révélatrices des enjeux qui entourent la question des transports en milieu urbain. Si ces derniers continuent de répondre à leur mission première, à savoir permettre le déplacement quotidien des habitants, ils sont aujourd'hui confrontés à des contraintes contradictoires : d'un côté, ils doivent être plus performants, plus rapides et plus denses ; de l'autre, ils sont censés être sûrs, rentables, peu onéreux tout en étant respectueux de l'environnement et silencieux. Un vrai casse-tête chinois ! Or, aujourd'hui, et c'est ce qui apparaît dans la plupart des programmes politiques, le débat sur les transports à Paris oppose les détracteurs de la voiture, qui considèrent que ses nuisances sont trop importantes par rapport à ses apports en milieu urbain, face à ses partisans, qui n'y voient pas d'alternatives crédibles.

L'absence de nouvelles solutions ?

Cette dualité peut surprendre. N'existe-t-il pas d'autres types de transports à même de concurrencer la voiture ? Les derniers exemples de projets innovants, faisant du neuf avec du vieux comme le tramway ou le téléphérique, ne convainquent guère que les élus qui trouvent commode d'en faire un outil de communication politique : ces fameux grands projets, relents d'un keynésianisme opportun en temps de crise. Mais bien souvent, si une bonne partie de la population y adhère - la coulée verte que génère la pelouse des tramways est particulièrement appréciée - ce type de projet ne résout que rarement les problèmes qui l'ont motivé : très faible (voire aucune) rentabilité, insensible hausse du nombre d'utilisateurs de transports en commun et peu de répercussions sur le trafic voiture, si ce n'est des nuisances supplémentaires en termes de bouchon, comme c'est le cas à Bordeaux.

Un projet typique de ce symptôme de l'illusion de faire du neuf avec du vieux a récemment connu un échec emblématique à Paris : Voguéo. A la base, l'idée est parfaite. Dans une zone urbaine où la place manque pour développer de nouveaux moyens de transport, la Seine apparaît comme un espace vierge relativement facile à exploiter, à l'image des réseaux de la CTRL ou du Mistral en rade de Lorient ou de Toulon. Un bateau, quelques débarcadères et vogue le Voguéo ! Mais voilà, alors que trois lignes devaient voir le jour fin 2013, l'appel d'offre est purement et simplement annulé. Des trois candidats intéressés, Veolia, les Bateaux-Mouches et Batobus, un seul a finalement proposé un dossier dont le budget prévisionnel faisait passer l'enveloppe prévue de 25 à 74 millions d'euros ! Pas assez rapide pour le trajet domicile-travail, dixit Laurence Douvin, administratrice au Stif.

L'innovation n'est pas dans les moyens, mais dans les mentalités

Si les politiques ne semblent pas toujours l'avoir compris, les urbanistes et spécialistes des transports sont eux bien conscients de la direction dans laquelle doivent se porter les efforts : la modification des comportements, et non la multiplication des infrastructures ou des types de transport. Comme le dit Jean-Christophe Chadanson, directeur d’études à l’Agence d’urbanisme de la Communauté Urbaine de Bordeaux, « il faut passer d’un modèle où on a investi beaucoup d’argent dans les infrastructures à un autre où on met aussi de l’argent dans ce qui favorise la marche, le vélo et les changements de comportement. Chacun doit devenir multimodal, prendre un jour la voiture, un autre le vélo, la marche, les transports en commun. Ce comportement, il faut l’aider à émerger, c’est une autre forme d’investissement ».

C'est pour cette raison que la circulation alternée mise en place le 17 mars dernier (et quelque part aussi l'écotaxe) est une expérience intéressante, à défaut toutefois d'être tout à fait concluante. Elle permet en effet à bon nombre d'utilisateurs quotidiens d'automobiles de considérer, par la force de l'action publique, qu'il existe d'autres modes de déplacement : marche à pied, vélo, métro, bus... pour citer les plus classiques. Et d'observer également l'émergence de nouveaux phénomènes, comme le covoiturage entre voisins ou bien le télétravail. Contrairement aux biocarburants ou à la voiture électrique, qui cherchent à conserver/prolonger le règne de la voiture en réduisant seulement son impact environnemental, la vraie innovation en matière de transport s'apparente en fait à une révolution des mentalités.

Economie de fonctionnalité, holoptisme et mobilité

Or, la mobilité est un enjeu considérable sur tous les plans, et encore plus en milieu urbain. Que se passera-t-il quand les ambulances seront incapables de rejoindre les hôpitaux, en raison des bouchons ou à contrario parce qu'ils ne restent plus que des pistes cyclables et des rues piétonnes ? L'enjeu social est aussi primordial : alors que les habitants les plus modestes s'éloignent des centres économiques pour chercher des loyers accessibles, ils subissent de plein fouet les mesures qui visent à limiter le nombre des voitures, seuls moyens efficaces de déplacement, quand certaines lignes de métro ou de RER se caractérisent par leurs soucis de fonctionnement.

L'équilibre à atteindre entre l'efficacité des transports et la limitation de leurs nuisances incitent à concevoir, plutôt que de nouveaux moyens de transport, de nouvelle façon d'appréhender la mobilité. En ce sens, de nouveaux concepts tendent à émerger, comme l'holoptisme, c'est-à-dire l'intelligence collective, qui permettrait de manière positive à chaque citoyen de mesurer son impact dans la société et son environnement et d'adapter ses comportements. Le covoiturage participe d'une certaine manière de ce concept, mais certaines sociétés ont développé des applications propres comme GoToo, qui permet à son utilisateur de gagner des points à mesure qu'il se déplace de manière responsable.

Autre idée en vogue, l'économie de fonctionnalité. Il s'agit ici de remplacer la vente pure et simple d'un produit par la vente d'un service, qui permet à la fois de réaliser des économies pour son utilisateur (vous ne payez que ce que vous consommez réellement) comme pour le prestataire. Elle propose soit un modèle serviciel centré sur l'usage (mise à disposition d'un véhicule que je paye en fonction du nombre de kilomètres), soit un modèle de solution intégrée (comme l'Autolib'). Les champs de l'innovation sont ici infinis et peuvent permettre de répondre, de manière subtile et équilibrée, aux enjeux de la mobilité aujourd'hui. La multiplication des stations de rechargement des fameuses BlueCars est déjà un signe visible de cette économie de la fonctionnalité.

La ville où il fait bon se déplacer ?

La mobilité est un facteur d'évolution urbaine prépondérant. Aux rues étroites et sinueuses qui permettaient aux habitants de Brest de se déplacer sans subir les désagréments du vent se sont substituées des artères larges permettant la circulation des véhicules individuels sur plusieurs fronts. Aujourd'hui, c'est la "sanctuarisation" de certains espaces, réservés aux piétons et transports en commun, qui modifie profondément le paysage urbain. Nécessité économique et sécuritaire, la mobilité concentre aujourd'hui un grand nombre des contraintes produites par l'urbanité : densité de population, taille des agglomérations (donc nécessité d'un réseau de transports rapides et denses), pollution, nuisances diverses, sécurité, etc. Mais les meilleures infrastructures ne peuvent entraîner de modifications des comportements si elles n'apportent pas de progrès visibles. Face à l'urgence des contraintes, et notamment la disparition programmée du pétrole, l'innovation en matière de mobilité sera à l'origine, ou au moins un facteur important, d'évolution rapide de nos villes. Reste à savoir quelle mobilité nous voulons et donc à quoi ressemblera la ville de demain. Verticale ?

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