mercredi 17 septembre 2014

Qui veut de l’encadrement des loyers ?

L'encadrement des loyers : une bonne idée... mal fagotée 
(source : http://www.territoires.gouv.fr)

L’encadrement des loyers, proposé en 2012 dans le projet de loi sur le logement et l’urbanisme (ALUR), « seule politique de gauche » du quinquennat selon Cécile Duflot, a suscité une levée de boucliers de la part des professionnels et, inversement, une défense pied à pied de la part de la précédente ministre du Logement. Bien évidemment, les professionnels du secteur ont tiré à boulets rouges, parlant d’une élucubration de plus de la part du Gouvernement Ayrault, incitant les gouvernants à arrêter de succomber aux charmes de leurs muses idéologiques.

A regarder les arguments des uns et des autres, force est de constater que les personnes et organismes les plus acharnés (en soutien ou en opposition) ont continuellement biaisé le débat avec des arguments idéologiques voire dépassés. Arrivera-t-on un jour à faire une analyse réaliste de la situation, quel que soit la problématique, et à proposer des solutions justes et efficaces pour le bien de tous ? Vaste programme comme dirait l’autre. Pis, la loi est-elle pertinente dans un contexte de baisse des prix immobiliers ? En effet, selon certains spécialistes, nous serions à l’aube d’une phase de retournement, durable et significative.

Une loi à contretemps ? Bloquer les loyers alors que les prix baissent…

Il est une question qui taraude beaucoup de personnes : sommes-nous au début d’un grand retournement du marché immobilier national, et particulièrement dans les grandes villes ? En effet, certains, comme l’économiste Jean-Luc Buchalet, n’hésitent pas à prédire une baisse d’au moins 30 % des prix par rapport au pic de 2011, dans cinq à dix ans. « A Paris, on pourrait avoir une baisse de 5 à 6% en 2014, de 10% en 2015, puis de 4% dans les années qui suivent » (soit 40% sur la période !).

Cette analyse fait écho à l’indice Notaires-Insee des prix des logements anciens, pour le deuxième trimestre. Même si la stabilité prévaut sur les trois derniers mois, la tendance baissière est confirmée. En effet, les prix continuent de baisser sur un an (-1,2%, après -1,9% au premier trimestre) : cela concerne à la fois les appartements (-1,1%) et les maisons (-1,3%). Mêmes résultats tirés de l’étude semestrielle de la Chambre des notaires de Paris, pour le marché immobilier francilien cette fois.

A l’inverse, la dernière étude de Clameur avance des chiffres différents concernant les loyers à Paris : on assiste à une stabilisation, avec une hausse de 0,7% sur les 12 derniers mois (soit le niveau d'inflation). Toutefois, cela pourrait déboucher sur leur baisse dans les prochaines années, pas seulement dans la capitale. En effet, selon Clameur, ils sont en baisse dans 37,5% des villes de plus de 10 000 habitants. Bonne nouvelle ? Difficile à dire tant le marché de la location est lui aussi sinistré et hétérogène. Certes, la mobilité résidentielle des locataires est la plus faible depuis 1998. Mais les petites surfaces (un ou deux pièces) connaissent une (toute petite) progression des loyers…

Par ailleurs, Clameur s’intéresse aux effets de l’encadrement des loyers, notamment à Paris, et il s’avère que les résultats sont quelque peu explosifs. En effet, le dispositif profiterait surtout aux ménages aisés, soit l’inverse de l’objectif recherché par la loi Alur ?! Ainsi, 20,7% des loyers de la capitale seraient concernés, ceux-ci connaissant une baisse moyenne de 23,1 %. Inversement, 12,8% des logements parisiens aux loyers en dessous du loyer de référence seraient revalorisés d’environ 10,5 %.

Aussi, pour l’économiste Jean-Claude Driant, « cette régulation des loyers n’aura pas un impact considérable sur le marché, elle intervient trop tard : les loyers sont déjà élevés ». Et en baisse, à priori.

Une autre loi est possible…

Le débat sur l’encadrement des loyers a gagné en clarté lorsque le Conseil d’analyse économique (CAE), rattaché auprès du Premier ministre, a publié une note intelligente et tempérée sur le sujet, en octobre 2013. Certes, selon les deux auteurs, Alain Trannoy et Etienne Wasmer, « l’encadrement des loyers tel qu’il est conçu dans le projet de loi sur le logement et l’urbanisme est inopérant et pas très efficace ». Mais ne la condamnent pas pour autant. Ainsi, ils font réellement une analyse d’un sujet complexe, ô combien politique et marqué idéologiquement (malheureusement…).

En effet, selon Etienne Wasmer, le logement locatif connaît deux problèmes : un manque de stock (des logements à louer) et un manque de mobilité (chômage et loyers élevés n’incitent pas le locataire à changer de logement et/ou à acheter). Et de proposer la mise en place de la flexi-sécurité dans le logement. En effet, le propriétaire-bailleur n’a pas à supporter les problèmes de chômage et de précarité du locataire (baisse des revenus…). Par conséquent, et parce que l’encadrement des loyers n’est pas la meilleure solution, il est nécessaire de mettre en place une institution paritaire (une régie du logement), avec des élections permettant la représentation des locataires et propriétaires, et qui interviendra en première instance sur les contentieux locatifs.

Par ailleurs, les contrats de location devraient être assouplis dans le sens d’une plus grande protection des propriétaires-bailleurs. Les motifs permettant au bailleur de récupérer son logement à la fin du bail seraient plus nombreux et un droit de visite annuel du logement serait institué, permettant, en cas de dégradations lourdes, de mettre fin au bail.

… tout en encadrant les loyers

L’encadrement des loyers proposé par la loi Alur symbolise-t-elle l’échec des politiques publiques, ces dernières années, sur la question du logement ? En effet, en arriver à vouloir encadrer les loyers signifie bien qu’il y a un problème non résolu et criant. Et bien évidemment, chacun aura sa solution pour le résoudre. Via l’encadrement des loyers ?

Selon la note du CAE, cette solution ne fonctionne pas. Pas du fait du sabotage de la loi par certaines professions et de la démagogie/revirements des politiques mais plutôt pour des questions techniques. En effet, pour connaître la médiane des loyers pratiqués localement, servant de référence pour ajuster le loyer, il est nécessaire de disposer des données nécessaires. Or, les variables sont trop nombreuses (taille du logement, situation dans une ville voire dans l’immeuble même…). Pis, l’encadrement, s’il est généralisé tel quel, accélère la raréfaction de l’offre. Problème central, nous l'avons vu.

D’où la nécessité d’expérimentations tout en sortant du modus operandi habituel en politique « j’impose une loi » qui va générer plus d’effets négatifs que de résolution au problème pour laquelle elle a été votée. Ainsi, l’encadrement des loyers ne doit pas être abandonné mais expérimenté. Les Français le souhaitent car le logement, avec l’emploi, est une de leur préoccupation première. Cet enjeu est particulièrement criant dans le monde étudiant et l’UNEF ne s’y trompe pas en interpellant les différents maires.

Aussi, comme le rappelle justement La Tribune, « entre promesse présidentielle, vote par le Parlement et rétropédalage à Matignon […] un compromis semble se dégager sur ce volet de la loi Alur en l’attente de décrets : il sera appliqué sur la base du volontariat des communes ». Certains y verront un nouvel exemple de l’impéritie française. Mais voyons le bon côté : et si, en définitive, la bonne solution était une expérimentation locale, au cas par cas, en se donnant le temps de voir ce qui fonctionne ou pas. Bref, de la retenue et de l’intelligence dans un débat politique alternant la crispation et l’exaltation (autoritarisme et idéologie si vous préférez) sur ce sujet. Comme le marché de l’immobilier sur la dernière décennie finalement…

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* Les agglomérations concernées sont : Ajaccio, Annecy, Arles, Bastia, Bayonne, Beauvais, Bordeaux, Draguignan, Fréjus, Genève-Annemasse, Grenoble, La Rochelle, La Teste-de-Buch-Arcachon, Lille, Lyon, Marseille-Aix-en-Provence, Meaux, Menton-Monaco, Montpellier, Nantes, Nice, Paris, Saint-Nazaire, Sète, Strasbourg, Thonon-les-Bains, Toulon, Toulouse.


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