Oui, les infrastructures, ça peut être moderne... (source : Le Moniteur)
Les infrastructures, à l’image du BTP, véhiculent leur flot
de clichés et d’anachronismes. A tort ou à raison mais qui ont la vie d’autant
plus dure que les acteurs représentatifs du secteur (syndicats professionnels,
grands groupes mais également les pouvoirs publics) ont du mal à faire preuve
de pédagogie, d’une part, mais surtout à comprendre les évolutions de notre
monde. Les enjeux du numérique et de l’environnement sont de ceux-là.
De fait, les différentes parties prenantes se retrouvent à
manœuvrer, discuter ou négocier « à la petite semaine » du fait d’un
logiciel d’analyse et d’action complètement éculé. Bref. Les chocs conceptuels
s’entrechoquent alors qu’une ligne directrice concernant les infrastructures
est facilement identifiable : financement, transparence et modernité.
Choc
conceptuel #1 : « oui, les infrastructures, c’est pas sexy mais c’est
important »
Bien qu’elles soient des installations nécessaires à une
collectivité, les infrastructures n’en sont pas moins une variable d’ajustement budgétaire, quel que soit l’échelon politique, quels que soient les pays.
Cela peut paraître un choc conceptuel pour certain mais il
doit être répété : les infrastructures (routes, autoroutes, ports,
aéroports, voies ferrées, canalisations d’eau, réseaux électriques, Internet…)
doivent être construites et entretenues. La vision de long terme, et ses
déterminants qualitatifs et quantitatifs – quelles infrastructures, pour faire
quoi, etc. – s’imposent.
De fait, l’effritement des infrastructures n’augure rien de bon,
comme un avant-goût d’effondrement économique. On peut disserter sur la
contrainte budgétaire, les caisses vides… Arrive un moment où il faut investir.
Et souvent, la facture est bien plus conséquente que si les investissements d’entretien
sont réalisés régulièrement. L’exemple italien est parlant. Après des années de
sous investissements, les ponts de la péninsule tombent les uns après les
autres. Sans parler de ceux récemment inaugurés !
Ainsi, les 26 400 kilomètres du réseau routier italien nécessiteraient,
selon l’Azienda Nazionale Autonoma delle Strade (Société
nationale autonome des routes), 2,5 milliards d’euros par an. « Or, son plan 2016-2020, dont les deux tiers
seulement sont pour l’instant financés, prévoit de n’y consacrer que 1,04
milliard en moyenne. Mais pour sa première année, la dépense effective n’a été
que de 450 millions d’euros. Et cette année elle ne montera qu’à 650 millions ».
Quant à la période 2007-2013, la société publique italienne n’a dépensé que180 millions d’euros par an.
Choc
conceptuel #2 : « les infrastructures, c’est pas que du béton et du
pognon »
Parler de construction ou de maintenance d’infrastructures
revient à raisonner dans une globalité qui est souvent oubliée de la part des décideurs politiques. Les infrastructures nécessitent de penser en amont l’aménagement
du territoire, de réfléchir en termes de cohésion nationale et sociale… mais
également de s’intéresser aux aspects microéconomiques : quid de l’emploi
généré ? Quelles compétences disponibles (salariés et entreprises) et
comment accompagner la montée en compétences ? Etc.
L’exemple du Grand Paris est éclairant sur ces sujets. Des
chantiers sur deux décennies, concernant le transport, le logement et plus
globalement l’aménagement socio-économique de ce territoire… et des
responsables politiques bien obligés de s’accorder pour ne pas tout faire
dérailler. Ainsi, comme le conclue très bien cet article, « pour la banlieue, le Grand Paris est bien davantage qu’un changement de décor ».
Choc
conceptuel #3 : « privatiser, c’est pas si pertinent »
En mars 2017, un rapport sénatorial intitulé « Infrastructures routières et autoroutières : un réseau en danger » fait état d’une
dégradation continue et importante du réseau français, qu’il soit non concédé
ou concédé au privé (autoroutes).
Le constat est sans appel. D’un point de vue général, il y a
la « nécessité d’octroyer dès à
présent des moyens suffisants à l’entretien du réseau routier, et cela de façon
pérenne. A défaut, on ne pourra que constater un renchérissement significatif
des coûts d’entretien au cours des prochaines années ».
Toutefois, la seconde critique concerne la définition et la
mise en œuvre des plans autoroutiers passés. Ceux-ci reflètent les relations entre
l’Etat et les sociétés d’autoroutes, un deal bien compris où le premier concède
une prolongation des concessions sous réserve d’investissements et de création
d’emplois par les entreprises. En 2015, un certain Emmanuel Macron, alors ministre de l’Economie, avait poussé en ce sens.
Néanmoins, les critiques à ces plans ont été rudes :
rapport de la Cour des comptes (juillet 2013) pointant la décrédibilisation de
l’Etat dans sa relation avec les groupes de BTP, avis de l’Autorité de la
concurrence (septembre 2014) pointant la rente retirée par les sociétés d’autoroutes
privatisées, sans oublier la volonté de 152 députés (novembre 2014) de
nationaliser ces mêmes sociétés.
En clair, l’Etat privatise, retire de l’argent et se croit
libéré de lourds engagements. Mais il est en fait dans une relation asymétrique
avec les concessionnaires dont les études économiques démontrent la rente
générée par leur activité. D’un côté, l’Etat voyait les autoroutes comme un
coût. De l’autre, les sociétés font des infrastructures une tirelire bien
commode. Jusqu’à quand ?
Choc
conceptuel #4 : « hé ho ! Le monde a changé… »
Les infrastructures, certains l’auraient oublié, s’inscrivent
dans un monde dorénavant écologique et numérique. De fait, ces deux composantes
doivent être absolument prises en compte dans la construction/rénovation des
infrastructures. Ce qui est loin d’être le cas parfois.
Concernant la première, un récent rapport sénatorial
intitulé « Compensation des atteintes à la biodiversité : construire le consensus » met en avant le manque d’application de la séquence « Eviter –
Réduire – Compenser », pourtant inscrite en droit français depuis la loi du 10
juillet 1976 relative à la protection de la nature. Pourquoi ? Du fait de
régimes juridiques multiples, la segmentation des procédures, le manque d’anticipation,
etc.
Ce dernier point est essentiel, au regard de l’explosion du nombre de projets ZADifiés. Une bonne connaissance du milieu écologique mais
aussi sociétal et socio-politique permet d’éviter bien des écueils par la
suite. Un grand projet doit s’analyser à travers de nombreux critères, mis en
avant par différentes parties prenantes. Inversement, la définition et la
décision d’un projet ne sont plus – et ne peuvent plus être – prises selon le
bon vouloir d’un baron local ou d’un ministère. La concertation est
indispensable. Encore faut-il ne pas avoir un apriori négatif pour la « plèbe » !
Concernant le second critère à prendre en compte, le
numérique, il s’intègre dans une vision large des infrastructures comme une des
composantes du système de mobilité. En effet, routes et autoroutes vont être
graduellement des objets connectés à d’autres objets, par exemple les voitures
autonomes. Certes, on n’en est actuellement qu’au début de cette révolution
mais, à l’image du numérique, celle-ci va vite et va bouleverser les modes de vie, les modèles d’activité…
Les constructeurs et gestionnaires d’infrastructures, privés
ou publics, forts de leur vision de long terme et d’une nécessaire modernité,
ont donc un rôle à jouer dans la définition et la mise en œuvre du monde de
demain. Mais encore faut-il en avoir conscience… A bon entendeur.
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