Jacques Chanut, président (très remonté) de la FFB
(source : http://adekwa-avocats.com)
Jacques
Chanut, qui vient d’être réélu à la tête de la Fédération française du bâtiment,
a fait de la lutte contre la fraude au travail détaché un axe majeur de son
mandat. Comment ? En actionnant différents leviers, qui devraient
permettre de boucher les angles morts de la directive européenne.
Carte
d’identité professionnelle, voulue par les acteurs du BTP depuis dix ans, et
clause Molière, ambitionnée par certains conseils régionaux, sont des réponses
intéressantes mais partielles. La vraie problématique concerne l’application réelle de la directive sur le
travail détaché ou, à défaut, sa redéfinition. Dans le premier cas, les
services de l’Etat sont en première ligne. Concernant la deuxième option, il s’agit
d’un problème européen, où les pays de l’Est freinent des quatre fers.
Toutefois,
derrière ces actions, les prises de position des uns et des autres sont
révélatrices, à la fois, d’un certain réalisme mais également d’une naïveté
concernant le travail détaché. Différentes perceptions qui transcendent les
partis politiques comme les acteurs du monde économique et syndical, et sur
lesquels Jacques Chanut, président de la FFB, tentent de manœuvrer.
La carte identité
professionnelle : enfin là !
La
carte identité professionnelle (ou carte BTP) est mise sous presse par l’Imprimerie
nationale, gage de garantie officielle, à sons de 20 000 carte par jour.
La carte, bien évidemment sécurisée, contient les données personnelles du
détenteur : nom, prénom, photo, sexe de la personne, nom de l’employeur…
Annoncée
pour début 2017, la carte BTP n’est en réalité obligatoire que depuis le 22mars pour les travailleurs détachés. Pour ce qui est des salariés et
intérimaires d’entreprises établies en France, le déploiement se fait par
zones, entre fin mars et le 30 septembre.
La
carte BTP permet ainsi de contrôler la régularité de la situation d’environ 2millions de salariés : « 1,5 million
d’ouvriers, chefs de chantier... mais aussi entre 60 000 et 80 000 travailleurs
issus des métiers du nettoyage, des ascensoristes ou des agents de sécurité ».
Sans oublier 60 000 intérimaires ainsi que 150 000 à 200 000 travailleurs
détachés.
Selon
Jacques Chanut, la carte BTP reste « un
bon début ». Pas seulement pour contrôler les personnes sur les gros
chantiers mais également chez les particuliers : « vous pouvez avoir un carreleur, un plombier
pour 50 euros de la journée ! Et tout cela évidemment en situation illégale ».
La
carte BTP n’est pas la panacée pour lutter contre la fraude. Les professionnels
du secteur le reconnaissent : la seule création de la carte est
insuffisante si, en parallèle, les contrôles ne sont pas renforcés. Et pas
seulement pour savoir si le salarié est bien autorisé à travailler sur un
chantier. Il faut également vérifier que son contrat de travail (rémunération…)
ou encore la sécurité au travail sont bien respectés. Il y a donc un contrôle
qualitatif, en profondeur, à réaliser. Car on ne compte plus les entreprises
françaises qui créent leurs filiales à l’étranger pour utiliser ces mêmes
filiales en fausse sous-traitance.
Jacques
Chanut précise en effet que « nous constatons une dérive forte sur la fraude au détachement, quelles que soit les
tailles des chantiers. C’est aussi le cas chez les particuliers ». Mais 2017 semble bien orientée. Selon le président de la FFB, « nous assistons à la fin de l’impunité, c’est la fin de l’open bar ».
Les moyens de la lutte
La
carte BTP est une des manières de lutter contre la fraude. Il y a également le
renforcement des contrôles. A ce titre, preuve est faite que le problème est –
enfin – pris à bras le corps par les services de l’Etat. En effet, la Secrétaire d’Etat à la formation professionnelle, Clotilde Valter, précisait récemment que
le nombre de contrôles est passé de 500 à 1 500 par mois en moyenne. Ainsi,
entre juillet 2015 et décembre 2016, 840 amendes ont rapporté 4,5 millions d’euros
et une trentaine de chantiers ont été arrêtés.
Toutefois,
ces diverses actions ne changent rien au problème originel, à savoir la
directive européenne de 1996 sur le travail détaché. Même si la volonté
française est réelle avec la proposition de révision l’année dernière, le
résultat final reste très aléatoire. En effet, il faut se mettre d’accord à 28
et ce, alors que les pays de l’Est sont vent debout contre toute modification.
En outre, la frontière entre la lutte contre le dumping social en Europe et le
principe de libre circulation est ténue. Où s’arrête l’un, où commence
l’autre ? Or, ce point est l’une des clés de voûte du projet européen
actuel.
De
fait, l’utilisation des pouvoirs régaliens de l’Etat, et de ses subdivisions
régionales, sont le meilleur levier à actionner. Problème : Etat et
régions ne jouent pas la même partition, au regard des atermoiements
politico-juridiques de ces dernières semaines concernant la mise en place d’une clause Molière dans certaines régions.
La pression mise sur l’Etat
Axe majeur de son
prochain mandat, Jacques Chanut met la pression sur l’Etat concernant le
travail détaché. Déjà, en soutenant les Régions dans la volonté d’appliquer la
clause Molière. Ensuite, en menant une guerre des mots pour cristalliser le
débat et montrer l’incurie des pouvoirs publics.
En mars 2017, tout juste réélu à la tête de la FFB, il déclare, de manière limpide : « le problème, ce n’est pas la directive européenne, qu’il faudra certes renégocier, mais c’est son application. Bref, ce n’est pas l’Europe qui est en cause, c’est l’Etat français, qui s’est révélé incapable de lutter contre la fraude. Pendant sept ans, il n’y a pas eu assez de contrôle banalisant ainsi la fraude. Ceux qui poussent des cris d’orfraie aujourd’hui sont les mêmes qui emploient trois Polonais pour refaire leur salle de bains le week-end ! Ceux qui en profitent, ce sont les maîtres d’ouvrage, qui placent nos artisans devant une alternative terrible : frauder ou crever... La stricte application de la directive peut suffire à régler 95 % des problèmes liés au travail détaché. C’est une question de volonté. D’ailleurs, l’entrée en vigueur de la carte d’identification que devront avoir les travailleurs détachés, assortie de contrôles et de la possibilité de mettre en cause la responsabilité des maîtres d’ouvrage, a déjà fait avancer les choses. La FFB et la profession ont pris leurs responsabilités. Que l’Etat prenne les siennes, sinon gare au populisme ».
En mars 2017, tout juste réélu à la tête de la FFB, il déclare, de manière limpide : « le problème, ce n’est pas la directive européenne, qu’il faudra certes renégocier, mais c’est son application. Bref, ce n’est pas l’Europe qui est en cause, c’est l’Etat français, qui s’est révélé incapable de lutter contre la fraude. Pendant sept ans, il n’y a pas eu assez de contrôle banalisant ainsi la fraude. Ceux qui poussent des cris d’orfraie aujourd’hui sont les mêmes qui emploient trois Polonais pour refaire leur salle de bains le week-end ! Ceux qui en profitent, ce sont les maîtres d’ouvrage, qui placent nos artisans devant une alternative terrible : frauder ou crever... La stricte application de la directive peut suffire à régler 95 % des problèmes liés au travail détaché. C’est une question de volonté. D’ailleurs, l’entrée en vigueur de la carte d’identification que devront avoir les travailleurs détachés, assortie de contrôles et de la possibilité de mettre en cause la responsabilité des maîtres d’ouvrage, a déjà fait avancer les choses. La FFB et la profession ont pris leurs responsabilités. Que l’Etat prenne les siennes, sinon gare au populisme ».
De prime abord, on
peut penser que la clause Molière est un combat Droite-Gauche, entre ceux qui
veulent défendre le travail des concitoyens, et ceux qui s’insurgent contre une
mesure raciste. Toutefois, avec du recul, il faut avouer que la clause met
plutôt en exergue des fractures entre le haut (les dirigeants) et le bas (les
opérationnels), au sein des partis comme des syndicats.
Ainsi, en s’appuyant
sur la volonté de la région Île-de-France, où la Droite est au pouvoir, d’appliquer
la clause, Jacques Chanut n’hésite pas à s’en prendre au MEDEF et à son président,
Pierre Gattaz, clairement opposés. On peut y voir là un combat entre un secteur,
aux marchés très localisés (la France), contre les grandes entreprises,
intégrées au marché commun européen.
Du
point de vue politique, les divergences sont autant au sein des partis qu’entre
eux. Par exemple, au sein du conseil régional d’Île-de-France, la Gauche
est contre la clause, y voyant des relents nationalistes et anti-travailleurs
concernant un projet porté par Valérie Pécresse (Les Républicains). Au niveau
national, Myriam El Khomri, ministre du Travail, estime que cette mesure n’a
aucune raison d’être, pendant que la ministre du Logement, Emmanuelle Cosse, déclare
que la clause Molière est discriminatoire et ne respecte pas la législation.
Mais au sein des
Républicains, la controverse est également réelle. L’Île-de-France
mais aussi Auvergne-Rhône-Alpes (avec Laurent Wauquiez) souhaitent la mettre en
œuvre, quand, en parallèle, la députée européenne Les Républicains, Elisabeth Morin-Chartier, y est opposée en parlant « d’enfumage populiste ». En outre, elle met en garde contre
d’éventuelles mesures de rétorsion contre les près de 200 000 travailleurs
détachés français dans l’Union européenne.
Et
le malaise n’est que plus grand au sein des syndicats de travailleurs, avec une
vision des choses très différentes entre la direction et la base : « Inacceptable » pour la CFDT, une « marche vers la préférence nationale »
pour la CGT… Son patron, Philippe Martinez, parle même de stigmatisation des
étrangers, « une mesure purement électoraliste dans le cadre d’une campagne présidentielle ».
Toutefois,
ceux qui avancent que la clause Molière n’est qu’une mesure au mieux
communautariste, au pire raciste, sont vite dépassés par la réalité du
terrain : l’emploi d’abord ! Les salariés, syndiqués ou non, ont vite
fait remonter leurs préoccupations.
La sécurité pour sauver l’emploi ?
La
sécurité est l’argument massue, constamment rappelé par Jacques Chanut :
parler français sur les chantiers permet de s’assurer que les règles de
sécurité sont comprises de tous, et donc qu’elles soient appliquées.
Toutefois,
même si l’argument est valable, il faudrait également s’interroger sur cet
habillage de sécurité (parler Français sur les chantiers) pour analyser les
stratégies des acteurs. En effet, le « parler français » est bien
cocasse pour un secteur habitué, historiquement, à embaucher des populations
immigrées (Portugais, Espagnols, Maghrébins)… et qui ne parlent pas la langue,
ou difficilement.
On
peut également se demander si la clause Molière n’est pas poussée par certaines
entreprises du BTP pour contrer les plus petites qui s’appuient sur ce type de
population pour s’assurer de leur compétitivité face aux plus grosses (et donc
remporter des marchés). Couplée à la carte BTP (traçabilité des
employés/employeurs), l’embauche au noir, de type « Place de Grève »
est alors sérieusement complexifiée.
Quoi
qu’il en soit, la lutte contre le travail détaché, de quelques manières que ce
soit, est une préoccupation majeure des salariés (français) du secteur. Elle
l’est également des dirigeants d’entreprises, leur grande majorité en tout cas,
Jacques Chanut en tête. Finalement, il n’y a que des responsables syndicaux ou
politiques bien loin de la réalité qui ne semblent pas encore en avoir pris
conscience. A l’image de François Bonneau, président de la région Centre-Val de Loire, opposé à la clause Molière… tout en proposant des mesures contre le
travail détaché qui s’appuie sur la bonne foi des entreprises
de BTP locales. Autant dire : un vœu pieux.
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