Cliquer n'est plus un geste anodin (source Flickr)
La révolution numérique est
appréciable dans le secteur du BTP. Personne ne le conteste et déjà, en
2013-2014, certains exemples étaient mis en avant pour démontrer l’urgence à la
prendre en considération. La
maquette numérique était ainsi révélatrice des défis à venir et de la peur
du changement de la profession. Quant à l’exemple de la
domotique, il faisait état d’une appréciation à minima des enjeux,
notamment des stratégies des acteurs de la Silicon Valley.
Internet n’est pas seulement un
basculement technologique. Il implique surtout de nouveaux business models, des
changements dans les habitudes de consommation, des transformations sociétales
dans la relation producteurs-consommateurs. L’affirmation des plateformes de
conseil et de mise en relation B to C est un nouveau défi pour l’ensemble des
acteurs du secteur. Et certains l’ont très bien compris.
De la plateforme de
comparaison/conseil à celle de mise en relation
L’utilisation d’outils de
comparaison et de conseil s’est imposée comme une étape quasi-obligatoire avant
un achat. Confiné aux biens de grande consommation (vêtements, chaussures…), ce
réflexe s’est étendu à pratiquement tous les domaines (voyages, assurances,
hôtels, voitures…). Ainsi, dorénavant, trois
Français sur quatre auraient recours à des comparateurs de prix. Néanmoins,
cette généralisation s’est accompagnée d’une amélioration qualitative : les
premiers comparateurs établissaient une hiérarchie en fonction du prix
uniquement, avant d’évoluer vers une dimension plus humaine, notamment l’intermédiation.
Lafarge avait su, dès 2001, être
un précurseur en utilisant la révolution Internet, de manière indirecte, pour
renforcer son activité. L’entreprise avait alors lancé le site creargos.com.
Destiné aux professionnels, il offrait des outils de simulation mais aussi (et
surtout) des informations sur les matériaux. Creargos s’apparentait donc à une
plateforme de conseil mais ne mettait en avant que les produits Lafarge,
présentés sous différentes marques. Idée marketing géniale mais qui fut cependant
un échec, sans doute en raison du manque de maturité d’Internet à l’époque et
des habitudes de consommation figées.
Néanmoins, les évolutions
techniques d’Internet et la généralisation de son accès, couplées à l’intelligence
des entrepreneurs à même de voir des opportunités dans des marchés rigides, ont
fait du BTP, notamment l’immobilier, un cas d’école pour analyser ces nouveaux
acteurs et services : que cela soit les
petites annonces ou encore le
crowdfunding pour financer des projets.
Il existe actuellement un foisonnement
de start-ups, à la trajectoire ascendante d’autant plus rapide que leur
positionnement est original. Certains acteurs du BTP en ont pris la mesure
et aiguillent ces plateformes vers un modèle d’activité qui servira leurs
intérêts. La stratégie de Saint-Gobain est à ce sujet très porteuse à terme.
Saint-Gobain mise sur
l’intermédiation
Saint-Gobain a récemment investi
dans deux start-ups. En janvier 2017, en acquérant la majorité de Mon Maître Carré, entreprise créée
en 2014 qui connecte les particuliers avec les architectes. Pour chaque projet,
un
particulier sélectionne trois architectes parmi les 300 référencés,
lesquels soumettent chacun un projet au client.
Mais surtout, en juin 2016, avec
le lancement de la plateforme
d’intermédiation Homly You, initiative de Saint-Gobain Distribution
Bâtiment France qui permet aux particuliers d’entrer en relation avec des
professionnels (plombiers, carreleurs, poseurs, etc.).
L’intermédiation et le conseil
inhérent sont devenus des modèles d’activités à forte valeur ajoutée, dans un
contexte de numérisation croissante de l’économie. Ce que certains appellent
uberisation n’est rien d’autre que la mise en relation de ressources et/ou
de services à des clients, via Internet (ordinateur, tablette ou smartphone), à
tout moment et sans délai, pour un prix réduit par rapport au modèle classique.
Les particuliers peuvent trouver
l’offre qui leur convient le mieux quand les professionnels, en situation
d’oligopole, voient en un endroit unique une multitude de consommateurs
potentiels. La plateforme joue un rôle de rabatteur pour peu qu’elle soit
performante technologiquement et offre une vraie valeur ajoutée en termes de
produits, de services, etc.
Pour Saint-Gobain, investir dans
ce genre de plateformes répond à une question de survie : pas tellement à
court terme mais surtout à long terme. En effet, ces nouveaux acteurs sont
susceptibles à terme de capter la valeur ajoutée sur le segment de la construction/rénovation
au travers de leur base de données de clients potentiels, d’artisans affiliés
mais aussi – et surtout – dans leur capacité à conseiller ces acteurs vers tels
ou tels matériaux vendus par des concurrents de Saint-Gobain.
Aussi, investir dans une start-up
en 2017 permet, à moindre frais, d’encadrer l’émergence d’un concurrent potentiel
dans les matériaux de construction. Surtout, Saint-Gobain se pose en
« parrain » des artisans. Ainsi, avec Homly You, l’entreprise ne vise
pas seulement la clientèle actuelle des artisans mais cherche plutôt à « procurer
des clients aux professionnels qui achètent des matériaux dans ses dépôts ».
La plateforme s’appuie en effet sur l’expertise et les réseaux professionnels
de neuf partenaires… qui sont tous des filiales de Saint-Gobain !
Un risque pour les
artisans ?
De fait, la plateforme ne sert
plus à trouver « le meilleur artisan » (le plus apte, le moins cher…)
mais le meilleur artisan estampillé
Saint-Gobain, susceptible de se fournir dans une des filiales du groupe de
matériaux. Il existe donc un phénomène d’exclusion des artisans, entre ceux
abonnés à Homly You et les autres. Le particulier en a-t-il conscience ?
En outre, tout en reconnaissant
l’utilité de ce genre de plateformes, il faut néanmoins reconnaître qu’elles
créent à terme une certaine dépendance pour les artisans labellisés. Un bref
parallèle avec l’hôtellerie permet de mettre en lumière le problème posé. En
effet, 60%
de l’activité touristique en France transite par des sites de réservations en
ligne. Avec l’émergence de ces sites, les vacanciers ont accès à une offre
abondante, permettant de choisir leur destination au meilleur prix et selon
leurs critères. Pour les hôtels, les plateformes apportent une visibilité
indéniable et donc, un surcroît de clientèle. Néanmoins, le rapport de force s’est
graduellement déplacé au profit des comparateurs, qui peuvent dorénavant imposer
leurs conditions. Si bien que « les
hôteliers ont perdu la maîtrise de leur politique tarifaire ».
Une situation similaire est-elle
envisageable dans l’artisanat et la construction ? Avec Homly You, Saint-Gobain
canalise un volume d’activité et donc de ventes de matériaux au travers des
artisans labellisés. Mais ne pourrait-il pas favoriser les professionnels
achetant de gros volumes de matériaux, dans ses filiales, par rapport à un
autre professionnel plus modeste ? De plus, un artisan Homly You aurait un
accès privilégié aux enseignes Saint-Gobain, ce qui lui donnerait un avantage
comparatif par rapport à d’autres artisans hors système.
A l’heure actuelle, l’offre de
comparateurs dans le milieu du BTP est relativement large :
trouverunartisan.fr, helloartisan.com, artisans-du-batiment.com… De fait, les
risques posés ci-dessus, du point de vue de l’artisan, semble faible. Mais dans
l’économie numérique, tout va très vite. Ainsi, Uber a mis moins de trois ans
entre sa création, en 2009, et son arrivée en France. Avec les conséquences
économiques et politiques que l’on connaît. Allo, la CAPEB ?
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