Ecotaxe poids lourds, moyen de financements du BTP (source : DREAL Bretagne) |
Décidément jamais à court d’idées fiscales, le tout dans un
joyeux foutoir médiatique et communicationnel, le gouvernement a pourtant une
bonne occasion de démontrer un certain sens économique – et donc politique –
avec ce qui est une avancée fondamentale pour notre pays : l’écotaxe. En
effet, celle-ci doit s’analyser comme un transfert financier permettant d’impulser
de nouvelles habitudes, bénéfiques pour l’environnement, chez les acteurs économiques.
Problème : il faut un temps d’adaptation pour changer les comportements alors
que les principaux syndicats professionnels, dans un contexte économique très
tendu, voient l’écotaxe comme un nouveau tour de vis fiscal… Avec ses
vainqueurs et ses perdants… au détriment de l’environnement et de la
compétitivité nationale.
Il est dorénavant convenu que les enjeux environnementaux
doivent structurer notre manière de penser et de faire. Plus précisément, il
convient de s’interroger sur les manières d’amener l’acteur économique, qu’il
soit producteur ou consommateur, public ou privé, à prendre en compte l’environnement
dans sa prise de décision. La taxe est un de ces moyens, dont l’objectif est d’internaliser
les dommages engendrés par l’activité d’un agent qui en rejette le coût sur la
société. Ainsi, une écotaxe est une charge versée par les entreprises
dont les activités industrielles sont polluantes et nuisent à l’environnement.
De ce fait, on comprend aisément qu’elle puisse s’appliquer aux transports routiers. Elle fut ainsi un des projets adoptés par la Loi Grenelle
Environnement de 2009, sorte de redevance kilométrique qui vise à faire payer
aux véhicules de transport de marchandises – vides ou chargés, français ou
étrangers – de plus de 3,5 tonnes l’usage des 15 000 kilomètres de réseau
routier national non concédé.
Ce type de fiscalité a pour objectif final de favoriser des modes de transport plus respectueux de l’environnement (fret maritime, fluvial ou ferroviaire), de la part des chargeurs (propriétaire de tout ou partie d’un lot de marchandises transporté) mais également inciter les sociétés de transport à se doter de camions plus écologiques. Toutefois, comme toutes lois en France, des exceptions existent…
Le diable se niche
dans les détails.
Applicable au 1er janvier 2014, l’écotaxe a une
multitude de spécificités qui nuisent à sa compréhension et donc à son
acceptabilité, qui plus est dans un contexte économique tendu. Ainsi, comme le
rappelle Ecomouv’, la société en charge
de la conception du dispositif, « les
taxes sont calculées en fonction de la catégorie de véhicules utilisée. La taxe
est majorée entre 10 % et 20 % pour les véhicules les plus polluants et
minorées de 15 % pour les moins polluants ».
Certes, on peut comprendre cette nécessité de progressivité
de la taxe, afin de récompenser les acteurs vertueux. Mais que dire de l’abattement
sur le taux kilométrique obtenu par trois régions – Bretagne (50 %), Aquitaine
et Midi-Pyrénées (30 %) – au titre de leur éloignement de l’espace
européen ?! Y-aurait-il des parties de l’Europe plus utiles que d’autres ?
On rentre là dans des petits jeux bureaucratiques visant à faire payer le
voisin et qui est source de ressentiment et d’inflation bureaucratique. Ces
trois régions ne vont-elles pas recevoir une partie des fonds perçus par l’écotaxe ?
Existe-t-il un abattement dans ce cas-ci afin de plafonner l’argent
versé ? Évidemment non.
Qui paye ? Quel
rendement du dispositif ?
Qui dit taxe, dit payeur. Et à ce petit jeu, évidemment, les
consommateurs sont souvent les perdants. En effet, logiquement (tout est dans
ce terme), la taxe est payée par les transporteurs… mais sera répercutée sur
les chargeurs voire sur les consommateurs, mais de manière limitée selon le
gouvernement. Là, la complication commence. En effet, selon certains
calculs, l’écotaxe induira une augmentation du coût du transport de l’ordre
de 4,1 %. Or, le gouvernement estime que la part du transport dans le prix final est de 10 %. Par conséquent, toute hausse des coûts de transport aurait un effet minime. Quid ? Les consommateurs pâtiront-ils cette "légère" hausse ?
Par ailleurs, le coût
de la collecte de cette taxe fait débat : pas moins de 250 millions d’euros
(pose et entretien des portiques, collecte, système informatique, équipements
de contrôle, etc.), soit près de 22 % de la somme collectée s’élevant à 1,150
milliard par an. De quoi s’interroger sur l’efficacité (pour ne pas dire
rentabilité) du dispositif. Ecomouv’ va percevoir plus que les collectivités
territoriales, qui vont toucher 150 millions pour qu’elles entretiennent
chacune leur part du réseau routier. Le restant (750 millions d’euros) ira à l’Agence
de Financement des Infrastructures de France, afin de financer des
infrastructures de transport alternatives à la route.
Les syndicats de
transporteurs routiers contre les agriculteurs.
Bien évidemment, tout projet fiscal déclenche un battage
médiatique de la part des élus et des organisations professionnelles, avec
manifestations, prises de bec et propos bien sentis à la clef. Et le landerneau
breton, vent debout contre l’écotaxe, n’y échappe pas. Ainsi, le 22 octobre,
les syndicats agricoles, très présents dans la région, ont réalisé une démonstration
de force avec le soutien officieux et officiel des sommités politiques. Pour
eux, l’écotaxe n’est plus ni moins qu’une gabelle
des temps modernes. En effet, selon la FNSEA,
l’écotaxe poids lourds coûtera entre 1,3 et 1,8 milliard d’euros au secteur
agricole, au niveau national… quand le Ministère de l’Agriculture table sur 400
millions tout au plus. Quant au Ministre des Transports, Frédéric
Cuvillier rappelle « que grâce à un
système de péréquation, [la Bretagne] sera largement bénéficiaire de l’effet
redistributif de l’écotaxe : pour 42 millions d’euros de contribution chaque
année, elle recevra 135 millions chaque année et pendant les cinq prochaines
années pour l’amélioration de ses infrastructures de transport ».
Concernant les fédérations de transporteurs routiers (FNTR,
TLF et Unostra), qui savent assurément se retrouver pour défendre leurs
intérêts bien compris, elles se sont exprimées dans un communiqué commun. Bien
qu’opposées de façade à l’écotaxe, elles restent lucides sur la situation
budgétaire nationale et n’imaginent pas une seconde que le gouvernement se
prive de 750 millions annuels de financement des infrastructures. Aussi, leur
stratégie vise à contrôler la mise en place de l’écotaxe et éviter que le
secteur des transports soit le seul à en pâtir. De fait, elles cherchent à
préserver le mécanisme
de majoration forfaitaire de leurs prix, indissociable selon elles de l’écotaxe.
Par conséquent, la plupart des fédérations de transport (celle
proche des PME veulent un retrait de l’écotaxe) cherchent à prévenir tout
retournement du gouvernement en faveur des syndicats agricoles.
Et le BTP dans tout
ça ?
Bien entendu, la Fédération nationale des travaux publics
soutient la mise en place de l’écotaxe, en rappelant qu’elle n’est pas un
énième prélèvement destiné à renflouer le déficit budgétaire mais qu’elle
garantirait une source
de financement non négligeable et pérenne des infrastructures. Et de rappeler que celles-ci sont un fondement important de
la compétitivité française et qu’elles doivent être constamment modernisées et
entretenues. A la clé, 4 000 emplois générés… mais surtout un stimulant
salvateur pour un secteur
qui a largement décroché du reste de l’économie française, affichant une
baisse de son activité de 3,4 % en 2013 et la destruction de 6 200 emplois.
Dans cette bataille des intérêts catégoriels, le gouvernement a réaffirmé la mise en place de la taxe en janvier 2014. Il serait alors désastreux pour lui de reculer dans les prochaines semaines : pas en repoussant l'écotaxe, ce qui apparaît difficilement imaginable, mais en l'amendant et en la dénaturant. A vouloir ménager la chèvre et le choux, on se retrouve souvent le dindon de la farce... L'affaire Leonarda est là pour le rappeler.
Et qui va investir en Bretagne avec un coût de transport qui ne peut qu'évoluer à la hausse ? Si, dans les DOM-TOM l'octroi de mer favorisait le développement d'industriel, ca se saurait.
RépondreSupprimerMoi, on m'a proposé récemment un investissement à quelques kilomètres de Pont-de-Buis, j'ai refermé le dossier.
Courageux mais pas téméraire !