jeudi 19 décembre 2013

Vacance des bureaux : une solution à la crise du logement ?

3,8 millions mètres carrés de bureaux vides en Île-de-France en 2013 (crédit : Robinson75, Virusphoto.com)
Le 1er février 1954, l'appel de l'Abbé Pierre avait ébranlé les Français, qui prenaient alors conscience des réalités du mal-logement. Presque 60 ans plus tard, alors que 3,6 millions de personnes sont considérées comme mal logées par le dernier rapport de la Fondation Abbé Pierre, moins de 340 000 logements ont été construits en 2013, quand Cécile Duflot, ministre de l'Egalité des territoires et du Logement, en promettait 500 000. Comparée aux millions de mètres carrés de bureaux vides en France, la performance décevante devient un véritable scandale. Certes, ce déséquilibre n'est pas nouveau, mais comment l'expliquer et l'accepter quand tous les acteurs du secteur, y compris les pouvoirs publics et les élus, en sont conscients et annoncent chercher à y remédier ?

Pour le cabinet de conseil en immobilier Immo G Consulting, il y aurait près de 7 millions mètres carrés de bureaux vacants en 2013 dans la seule région parisienne, alors que durant la dernière décennie, près de 12 millions de mètres carrés sont sortis de terre. Selon ses prévisions, 10 millions mètres carrés de bureaux devraient encore être construits d'ici dix ans, faisant de Paris, avec 60 millions mètres carrés, le plus grand parc d'immobilier de bureaux en Europe, le double de Londres ! Si les chiffres varient selon les sources (le cabinet DTZ dénombre quant à lui 3,8 millions de mètres carrés vacants en Île-de-France), le constat est le même : le nombre de bureaux est largement excédentaire alors qu'il faudrait construire en région parisienne 70 000 logements par an, et que l'on en a construit seulement 37 000 en 2013.

Bureaux contre logements

Ce déséquilibre entre la construction de logements et de bureaux a des conséquences importantes sur le marché immobilier français. Ce dernier est d'ailleurs le seul en Europe où les prix des logements n'ont cessé de grimper. Si les prix des logements anciens ont reculé de seulement 1 à 2 % en 2013, ils ont augmenté de 155 % depuis 1998, une hausse à peine ralentie par la crise économique de 2008, et renforcée par une surévaluation du prix de l'ordre de 10 à 20 %. Ces prix s'expliquent par plusieurs facteurs : faibles taux d'intérêt sur les crédits à l'habitat, présence de subventions à l'achat dans le neuf, mais surtout tension importante du marché entre forte demande et faible offre (note : la question des prix de l'immobilier est particulièrement complexe et mériterait un article complet).

Dans ce contexte, l'excédent de bureaux aggrave considérablement cette hausse des prix. Car dans ce domaine, les prix, eux, connaissent une baisse beaucoup plus marquée, de l'ordre de 20 % depuis 2007 pour les bureaux neufs, de 15 à 25 % pour les loyers. Dans un premier temps, ils représentent une concurrence importante sur le foncier, notamment dans des zones urbaines particulièrement tendues, comme les Hauts-de-Seine par exemple. D'autre part, les promoteurs immobiliers, les plus à même de déployer des efforts d'envergure pour le logement, préfèrent se tourner vers la construction d'immeubles de bureaux. 800 000 mètres carrés de bureaux ont ainsi été déjà vendus pour 2014 en Île-de-France.

A qui profite le crime ?

Comment expliquer cet intérêt des promoteurs de bureaux ? Les raisons sont multiples. Dans un premier temps, et malgré le nombre de bureaux vacants, la demande de bureaux neuf, à l'achat comme à la location, demeure très forte. Pour les entreprises, un siège social neuf, moderne et répondant aux dernières normes en vigueur est un enjeu de prestige et d'image, mais aussi de confort (et donc d'efficacité) pour les salariés. La plupart des bureaux vacants sont d'ailleurs abandonnés pour des raisons de vétusté, et leur réhabilitation coûte cher. Pour des sociétés du BTP par exemple, il peut s'agir d'un vitrine considérable de leur savoir-faire.

D'autre part, la question des normes est centrale dans ce phénomène puisqu'elles accélèrent la péremption des immeubles de bureaux. L'entrée en vigueur de la RT 2012 a notamment accentué ce phénomène et de nombreuses entreprises ont fait le choix de bâtiment répondant aux normes BBC, BREEAM, LEED ou HQE pour anticiper l'intensification de ces réglementations. De même, le durcissement des réglementations à l'encontre des propriétaires par rapport à leur locataire a incité les promoteurs immobiliers à ralentir les projets de logements à louer, alors que d'un autre côté, la baisse du niveau de vie des ménages les a poussé à différer leurs projets de logements collectifs, destinés à l'achat. Les conjonctures défavorables aux logements se conjuguent ainsi.

Enfin, le rôle des élus locaux est prépondérant dans ce phénomène. En effet, la décision en ce qui concerne le développement urbain se fait au niveau des communes. Or, pour un maire, l'installation d'une société avec ses locaux est plus intéressante qu'un ensemble de logement : cela signifie une taxe foncière et des impôts locaux plus élevés, en plus d'une certaine attractivité de la commune, que ce soit pour les salariés de l'entreprise eux-mêmes ou pour les services associés (éducation, commerce, etc.). De fait, les promoteurs ont plus de marge de manoeuvre pour négocier des conditions d'installation plus favorables. Cette compétence des élus est d'ailleurs très contesté, et le gouvernement a récemment proposé un texte de loi afin de déplacer cette compétence au niveau régionale et éviter ces arrangements. Bien-sûr, le Sénat, composé d'un certain nombre de maires, a rejeté ce texte. On sait désormais à qui profite l'excédent de bureaux.

La conversion des bureaux en logement ne suffit pas

Face au déficit de logements et l'excédent de bureaux vacants, la solution la plus souvent entendue a été d'amménager ces derniers en locaux habitables. C'est notamment une des priorités évoquées par Christophe Najodvski, candidat à la mairie de Paris pour EELV. Il souhaite ainsi convertir 500 000 mètres carrés (sur un million de mètres carrés de bureaux vides de la capitale) en logements. Pour Anne Hidalgo, l'objectif est plutôt 200 000 mètres carrés. Une mesure déjà évoquée à plusieurs reprises par Cécile Duflot, qui souhaitait notamment prendre des ordonnances pour faciliter la transformation des bureaux vides.

Ces mesures ont pourtant tout de la fausse bonne idée : séduisante en théorie, la reconversion des bureaux vides est particulièrement difficile à appliquer. Premier écueil, ces bureaux sont souvent abandonnés car trop vétustes ou mal placés et nécessitent donc des travaux de réhabilitation qui peuvent s'avérer très coûteux : de l'odre de 2 000 à 2 500 euros par mètres carrés, dans des zones qui sont généralement peu attractives et loin des transports en commun. Un investissement risqué donc, car sans garantie de revente. Pourtant, des alternatives existent pour éviter ces travaux lourds, à l'image de ce que réalise la société Camelot, mais il s'agit de solutions de logements provisoires et précaires, soumis à de nombreuses contraintes. Deuxième écueil, les normes et les contraintes réglementaires allongent considérablement les délais pour obtenir les autorisations nécessaires à la réhabilitation. C'est pourquoi ces mesures, malgré les déclarations du gouvernement, demeurent inefficaces.

Les bureaux vacants, le vrai problème ?

La question des bureaux vacants est-elle si fondamentale pour résoudre la crise du logement en France ? Rien n'est moins sûr. Selon le cabinet DTZ, le taux de vacance des bureaux en Île-de-France n'est que de 7,2 %, alors que la moyenne européenne se situe à 11 %, et certains pays à près de 25 % ! Pour certains commentateurs, ce taux, proche de celui des commerces, serait même considéré comme normal. Les fameux 800 000 logements manquants, évoqués par les professionnels du milieu, ne sont-ils pas à chercher ailleurs ? Pour Guillaume Fonteneau, du site Leblogpatrimoine.com, les logements manquants existent déjà et sont plutôt à chercher du côté des logements vacants, au nombre de 240 000 en 2011 selon l'INSEE.

Alors certes, il existe toujours un déséquilibre entre le nombre de logements construits et le nombre de bureaux, en comparaison de la demande dans chacun des segments. Mais si scandale il y a, il vient plutôt de l'inconséquence des élus locaux. La reconversion des bureaux n'est qu'une "mesurette" qui ne résoudra en rien la pénurie de logements. Cécile Duflot semble d'ailleurs l'avoir bien compris, puisqu'elle a décidé de mobiliser tous les acteurs du bâtiment autour d'un projet ambitieux, appelé plan "Objectifs 500 000". Espérons qu'elle sera en mesure de tenir cette promesse, et les autres...

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1 commentaire:

  1. la transformation de bureaux en logement revient à la mode en 2015 : http://votreargent.lexpress.fr/immobilier/transformer-des-bureaux-vides-en-logements-a-paris-un-voeu-pieu_1673868.html
    votre article était précurseur on dirait ...

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