mardi 15 juillet 2014

UFC-Que Choisir où l’art de taper là où ça fait mal (2ème partie)

UFC-Que Choisir choisit l'offensive (source : http://www.quechoisir.org)


L’enquête d’UFC-Que Choisir a le mérite de la clarté : une mention RGE résumée à « rien ne garantit l’efficacité » mais surtout une proposition qui mérite débat. En effet, la mise en place d’un architecte-énergéticien, qui deviendrait le garant d’une rénovation énergétique bien tangible permettrait de minimiser les coûts financiers, et inversement, maximiser les bénéfices environnementaux. [la première partie de l'article est disponible ici]

Toutefois, cette proposition revient à établir un nouvel acteur, ayant un rôle central dans les travaux de rénovation. Pour le dire autrement, UFC-Que Choisir, en constatant la faillite du système, propose un acteur qui viendrait contrecarrer la place centrale de certains professionnels historiques actuels, et donc sévèrement vérifier la valeur ajoutée qu’ils retirent du business de la rénovation. Ainsi, en ayant un rôle de contrôleur de toute la chaîne de valeur, l’architecte-énergéticien fusionne les fonctions de maître d’œuvre et de coordonnateur des acteurs en présence, et ce au profit du consommateur.

En effet, c’est l’une des conclusions de l’enquête : certains (beaucoup) professionnels abusent de la complète méconnaissance des clients pour en tirer avantage. La rénovation énergétique semble être ainsi un nouveau champ d’action d’escrocs en tout genre. Comme le note Nicolas Mouchnino, l’auteur de l’étude, « la majorité des devis des indépendants était supérieure de 10% à 15% aux prix de marché ».

Ainsi, les bonnes idées ont le don de révéler le dessous des cartes de systèmes où chacun y trouve son avantage (souvenez-vous de l’écotaxe). Autant dire que l’enquête et les propositions de l’association de consommateurs ont été diversement appréciées par les acteurs en présence… Et certains l’ont dit de manière peu diplomatique. 

La Fédération Française du Bâtiment sort de ses gonds… maladroitement 

Enquête contestable, conclusions erronées, exercice dévastateur… La FFB n’y est pas allée de main morte, moins d’une semaine après la sortie de l’enquête. Pis, UFC-Que Choisir n’aurait même pas eu la courtoisie « d’échanger avec la profession » (sous-entendu, la FFB) alors que « les pouvoirs publics et les organisations professionnelles du secteur conjuguent leurs efforts pour redonner progressivement confiance aux particuliers ». Bref, à travers son enquête, UFC-Que Choisir jette « l’opprobre sur toute la profession ».

Et après cette salve ? Et bien, plus rien. La FFB a-t-elle pensé que l’affaire était entendue et que tout le monde pouvait vaquer à ses occupations ? Mystère… Pour venir à la rescousse du syndicat professionnel, il faut noter que les efforts de la FFB concernant les enjeux de la rénovation sont louables : 
  • Création de la marque « les Pros de la performance énergétique » en 2009, gérée par Qualibat, afin de structurer la filière (la CAPEB promeut le label Eco-Artisan).
  • Mise en ligne d’un serious game, SIMUrénov, afin de sensibiliser aux travaux de rénovation énergétique les clients et les acteurs de la profession.
  • Séminaires, rencontres départementales, assises régionales… A l’image de la FFB Rhône-Alpes et son Eco BTP Tour, les différentes fédérations s’activent autour de la performance énergétique.

Néanmoins, la forme a tendance à prendre le pas sur le fond. En effet, le travers français de faire dans le quantitatif se retrouve dans la démarche de la FFB. Quel crédit accorder aux formations proposées quand on sait que la première étape est de signer la charte « Bâtir pour l’environnement » ? Les qualifications s’obtiennent-elles en deux jours, à visionner des présentations power-point ?

Un devoir d’exigence est plus que nécessaire, avec une focalisation sur les résultats. On peut critiquer l’enquête d’UFC-Que Choisir mais pas comme le fait la FFB en mettant en avant son plan com’. Où sont les chiffres ? Pas du nombre de professionnels formés mais un véritable audit de la pertinence des travaux de rénovation que ceux-ci réalisent après avoir obtenu le label « les Pros de la performance énergétique » ?

La défense de la FFB est à l’image de ces acteurs historiques qui, quand ils sont mis devant les résultats de leur politique, cherchent à décrédibiliser leurs adversaires en invoquant le fait qu’ils ne sont pas du milieu. Les arguments sont vides de sens alors que, dans le cas de l’association de consommateur, la méthodologie de l’enquête semble robuste, donnant ainsi de la force aux résultats et aux propositions. Ce que la FFB, au regard de son argumentaire, prend pour de la calomnie.

De plus, personne n’est dupe du fait qu’en proposant la création d’un architecte-énergéticien, UFC-Que Choisir propose en réalité de retirer le pouvoir jusque-là détenu par les professionnels du BTP. Ce que la profession des architectes a très bien compris. 

Les architectes à la rescousse 

Au sein du Conseil national de l’Ordre des architectes, l’enquête d’UFC-Que Choisir est du pain bénit. Par la voix de sa présidente, Catherine Jacquot, le CNOA est en parfait accord avec les résultats montrant les effets « désastreux de la politique actuelle en matière de rénovation énergétique ».

Plus précisément, la mise en exergue de professionnels corpocentrés relaie le discours des architectes arguant qu’il est nécessaire que ces derniers aient une place – sous-entendu centrale – dans le système actuel de promotion de la réhabilitation énergétique des bâtiments pour en assurer le succès. Selon le CNOA, aucun acteur n’est mieux placé que l’architecte (et la maitrise d’œuvre) pour réaliser l’analyse globale du bâti, cet audit nécessaire avant tout travail.

Et d’enfoncer le clou, en écho aux critiques de l’association de consommateur : « le recours à l’architecte constitue une véritable garantie de qualité pour le consommateur : garantie de compétences, d’assurance, de déontologie, d’indépendance et de transparence des honoraires ». N’en jetez plus…

Les bisbilles et lutte de pouvoirs entre le BTP et les architectes sont monnaies courantes, mais de plus en plus excessives ces derniers mois, l’entrée en vigueur de l’éco-conditionnalité approchant (rentrée 2014). Chacun a bien compris que cette grande problématique de la transition énergétique, notamment dans le bâtiment, était l’occasion rêvée de faire valoir ses intérêts, de mener des actions de lobbying afin d’accroitre ses prérogatives. La transition énergétique est aussi une lutte de pouvoir entre les acteurs, au sein d’enjeux économiques et environnementaux plus que conséquents.

En faisant valoir leur rôle de concepteur du bâti, d’auditeur légitime, les architectes cherchent à se placer en amont des professionnels du BTP – ceux réalisant les travaux – afin de les orienter, les contrôler et les évaluer. Pour le syndicat des architectes, « le seul professionnel compétent, capable d’une approche globale et responsable pour son client, est l’architecte ». Ainsi, la RGE, portée par les professionnels du bâtiment, n’a jamais été acceptée par les architectes, pourtant partie prenante de la problématique.

Inversement, la remise en cause de celle-ci (et donc l’enquête d’UFC-Que Choisir) est une perte de pouvoir inenvisageable pour la FFB. Au risque de faire perdurer un système qui ne fonctionne pas.  

A noter que l'Union nationale des économistes de la construction (UNTEC) et le CINOV Construction ont également pris position... en ne prenant pas position : besoin d'enquêtes complémentaires, nécessité de renforcer les dispositifs existants tout en amenant une certaine dose de pragmatisme... Ils amènent une diplomatie nécessaire là où UFC-Que Choisir et la FFB font dans le brutal. 

Encore le modèle allemand… 

Décidément parée de toutes les vertus, à l’image de la certification Passiv’Haus, l’Allemagne est encore au centre des discussions. En effet, UFC-Que Choisir prend l’exemple de la mise en place d’experts thermiciens en charge de l’audit, du suivi des travaux et du contrôle a posteriori de l’objectif de performance. Celui-ci, s’il est atteint, donne le droit à une subvention. Une vraie obligation de résultats. La culture allemande dans toute sa splendeur, là où en France, on donne des aides pour faire de vagues travaux de rénovation (peu importe s’ils sont pertinents). En outre, ce système a permis la création de 4 000 emplois en 7 ans.

Ainsi, l’Allemagne a su conjuguer enjeux énergétiques/environnementaux et créations d’emplois tout en évitant la gabegie budgétaire de ce genre d’aides financières, comme le rappelle Andreas Rudinger, qui a étudié les politiques de rénovation thermique en France et en Allemagne.

Et Nicolas Mouchnino de rajouter : « en France, en 2011, de l’ordre de 7 milliards d’euros d’aides de l’Etat, notamment en TVA réduite et en crédit d’impôt développement durable, sont allés à la rénovation énergétique et 2,7 millions de travaux ont été effectués, pour seulement 134 000 rénovations jugées performantes par l’Ademe. En Allemagne, par comparaison, l’Etat verse 650 millions d’aides ».

Bref, la RGE semble symboliser ces grands machins à la française, d’une complexité organisationnelle et bureaucratique folle, mis en place pour gérer les prébendes d’acteurs historiques plutôt que de préparer l’avenir (si possible à moindre frais). Pourtant la résistance s’organise autour du RÉSEAU Écobâtir et l’association Approche-Écohabitat, les cyberactions et pétitions en ligne se mettent en place… et les arguments sont percutants ! Autant dire que la FFB a intérêt à (se) bouger. 

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