jeudi 3 juillet 2014

UFC-Que Choisir où l’art de taper là où ça fait mal (1ère partie)

Selon UFC-Que Choisir, il y a urgence à réformer le système (source : geoplc.com)

La rénovation énergétique aurait pu être une des portes de sortie de crise du bâtiment. Malheureusement, trop peu a été fait jusque-là malgré des déclarations péremptoires. Pour le président du Plan bâtiment durable, Philippe Pelletier, deux ans ont été perdus après l’annonce faite par François Hollande de porter à 500 000 le nombre de logements rénovés. « Jusqu’en septembre 2013, le sujet n’a pas été traité de manière très active. Nous en sommes aujourd’hui au stade de la mise en mouvement ». Mais au-delà du volontarisme politique, c’est tout le système qui est en cause. Ce qu’a démontré clairement la dernière enquête d’UFC-Que Choisir. 

UFC Que-Choisir, le trublion de la consommation  

Est-il nécessaire de présenter UFC-Que Choisir ? Association loi de 1901 créée en 1951, ses objectifs sont immuables : informer, conseiller et défendre les consommateurs. Réunissant près de 154 associations locales et plus de 150 000 adhérents, elle tient 350 points d’accueil répartis sur l’ensemble du territoire. Autant dire que sa force de frappe est bien réelle. Chaque année, elle sort des guides d’achats, des analyses sur les innovations produits, des tests et comparatifs grandeur nature, propose des lettres types afin de faire valoir ses droits, mène des enquêtes de terrain, des actions en justice sur la base d’analyses technico-économiques…

Ses derniers combats ont fait la une de la presse : tarifs bancaires, facturations téléphoniques, pollution de l’eau… Pourtant, ce professionnalisme, la pertinence des actions et des arguments déployés restent sous-estimés par les acteurs en présence : en premier lieu desquels les industriels ciblés. Cette réorientation de l’association, on la doit à Alain Bazot, président depuis 2003 et chantre d’un « lobbying à ciel ouvert ». Il milite également pour la mise en place d’une class action à la française. Selon lui, l’association doit être un acteur du changement : pas seulement critiquer ou proposer mais agir sur les corps constitués et les différentes parties prenantes.

Vraie caisse de résonance des consommateurs, UFC-Que Choisir devient un prescripteur de tendances, voire une efficace machine de guerre et d’influence, comme le montre sa dernière saillie sur la mention RGE (Reconnu Garant de l’Environnement). 

Une surprise qui n’en est pas une 

Cette enquête est-elle une surprise ? A vrai dire non car en novembre 2012, UFC-Que Choisir a vilipendé le chauffage électrique et ses impacts économiques désastreux. Or, derrière cette critique à peine voilée du complexe électro-nucléaire français se cache la question des politiques incitatives liées à l’efficacité énergétique des logements.

En début d’année 2014, l’association met en exergue le micmac autour de la simplification du système de certificats d’économie d’énergie, déjà obscur et complexe.

Pour finir, la tribune d’Alain Bazot sur son blog, en janvier 2014, laisse peu de doute à ce que cette problématique soit un des objectifs prioritaires d’UFC-Que Choisir : « nous entendons bien débroussailler la jungle tarifaire et informative du marché de la rénovation énergétique ».

Autant dire qu’en annonçant aussi clairement sa stratégie, il est surprenant des réactions de certains acteurs du secteur du bâtiment. 

Rénovation, piège à cons ? 

Le constat est très sévère pour la politique actuelle de rénovation énergétique des logements : des milliards investis pour des résultats médiocres. En 2011, ce sont 21 milliards d’euros dépensés (14 milliards par les particuliers, 7 milliards de fonds publics) pour seulement 5% (134 000) de logements rénovés de façon performante. Ubuesque.

Pour comprendre cette gabegie, UFC-Que Choisir choisit de s’intéresser aux personnes en charge de réaliser les diagnostiques énergétiques, c'est-à-dire à leur professionnalisme et aussi à leur performance, ce qui fait tout l’intérêt de l’enquête.

En effet, la rénovation repose actuellement sur deux types d’acteurs : d’une part, les professionnels labellisés « RGE », ce label étant une garantie de compétences des techniciens ; de l’autre, les partenaires d’EDF et GDF-Suez, les deux mastodontes qui s’orientent graduellement vers les services énergétiques (marchés très dynamiques).

Sans revenir sur la totalité de l’étude (mais lisez-la, elle vaut vraiment le coup d’œil), quelques conclusions méritent d’être avancées. Comme le dit l’association, un audit énergétique total du bien immobilier est indispensable pour la fiabilité des recommandations. Or, « à peine 58% des prestataires ont visité l’ensemble des lieux. Pire, sur les 29 déplacements, seuls 8 rapports personnalisés et exhaustifs ont été remis aux propriétaires. 15 professionnels se sont contentés de devis standards contenant essentiellement des recommandations sommaires de travaux, quand 6 n’ont même pas pris la peine d’envoyer le moindre document. Au final, seul un quart [25% ??!!] des prestataires respecte l’exigence d’audit préalable ».

De fait, qui dit mauvais audit, dit propositions de travaux fragmentaires, voire absurdes. Ainsi, « seul un professionnel sur les 23 ayant adressé des recommandations écrites, a proposé des travaux sur les 3 critères exigés en matière de rénovation énergétique : enveloppe du logement, ventilation, production de chaleur ». Quant aux aides financières, c’est à l’avenant. 

Pas d’évaluation globale, un professionnalisme aléatoire 

Sur les trois critiques présentées par l’association, la dernière peut être minorée. En effet, il faut remarquer que le système incitatif est tel qu’il faudrait que les professionnels deviennent également expert-comptable… La critique est donc directement imputable au législateur.

Toutefois, concernant les deux premières, les professionnels sont en plein dans l’œil du cyclone. Selon UFC-Que choisir, le corporatisme et le manque de professionnalisme prévalent. Ce qu’avait déjà évoqué Bâti 2030 en juillet dernier (en pointant la nécessité absolue d'une montée en gamme des artisans)… En effet, la logique corpo-centrée des techniciens – et donc leur expertise sur un seul segment de la rénovation – les conduit à ne proposer que des travaux/conseils sur leur expertise personnelle. Le client, par définition non expert, se trouve donc induit en erreur. Or, celle-ci (s’il réalise les travaux et que les économies d’énergie ne sont pas au rendez-vous) n’est pas opposable juridiquement.

Par ailleurs, même s’il existe des cas malintentionnés (souvenez-vous de l’écodélinquance), UFC-Que Choisir met surtout en avant le mal qui mine le BTP français : une inadaptation chronique des salariés et entreprises pour faire face aux enjeux de notre temps. On l’a déjà vu pour le numérique ou encore dans la filière bois. Le cas de la filière rénovation est encore plus criant. Pour l’association, la formation RGE est l’accusée car « caricaturale et trop théorique assortie d’un contrôle hypothétique tous les quatre ans qui n’a rien de pédagogique ». Et d’enfoncer le clou : « pour nous RGE, signifie pour l’instant « rien ne garantit l’efficacité » ». 

Un bilan désolant qui pousse à l’action : pour un « architecte-énergéticien » 

Pour reprendre une analogie footballistique, on joue comme on s’entraîne. Or, avec une formation FEEBat en 5 modules de deux jours en moyenne, il ne faut pas se leurrer sur la compétence des professionnels de la rénovation. Pis, la formation des artisans indépendants pour décrocher le label RGE ne dure que deux jours. De plus, comme toute formation, n’est crédible que ce qui est sanctionné. Aussi, UFC-Que Choisir propose de la renforcer et de contrôler l’attribution de la mention RGE.

Mais le plus intéressant reste la proposition de développer une filière d’experts indépendants (sous-entendu, autonome des professionnels du BTP et des géants de l’énergie). Ainsi, ces architectes-énergéticiens (pages 26-29) seraient en mesure :
  • De réaliser un audit complet et non biaisé (volontairement ou non) du logement : évaluations financières, proposition de travaux, chiffrage de l’objectif d’économie d’énergie.
  • Coordonner les travaux : interlocuteur unique entre les professionnels et le client. Garantir effectivement les économies d’énergies, via un audit de fin de travaux. 
  • De mener les audits de fin de travaux : ceux-ci serviront de preuve contre les professionnels si ces derniers n’ont pas réalisé les objectifs assignés mais également d’outil d’analyse de la pertinence des politiques publiques (et de l’octroi des aides financières).
Or, cette proposition – et l’enquête d’UFC-Que Choisir en général – n’est pas sans froisser le microcosme du bâtiment. Certains tirent à boulets rouges sur l’association et sa méthode quand d’autres y voient une opportunité de pousser plus loin leurs intérêts. Ce que nous verrons dans un prochain article.

Pour lire la deuxième partie consacrée à la RGE et l'opposition entre les acteurs du BTP, cliquez ici

Nous suivre sur Twitter : @Bâti2030

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