La crise du logement oblige Manuel Valls à réagir... et Sylvia Pinel à regarder (source : lejdd.fr)
Ne nous le
cachons pas. Le départ de Cécile Duflot a été plus qu’apprécié par une (grande)
partie de la profession. Politiquement, l’ex-secrétaire d’EELV
avait un certain poids et donnait du fil à retordre aux organisations
patronales. Certes, un ministre fort pour une question aussi cruciale, sur fond
de crise, est très important. Il peut ainsi porter les enjeux du secteur au
plus haut niveau de l’Etat et négocier à son avantage les crédits budgétaires.
Néanmoins, si ce poids politique est utilisé pour mettre en œuvre des lois qui
ne répondent qu’à une petite partie des difficultés du secteur, à quoi cela
sert-il ? La problématique centrale du BTP depuis deux ans, c’est la
dynamique de croissance (construction de logements, rénovation du bâti). Pas l’encadrement
des loyers (même
s’il y a çà et là des abus).
Ainsi, on
peut débattre à l’envi du bilan
de Cécile Duflot au Ministère du Logement. Selon les arguments, on sera
classé à gauche ou à droite, de plus ou moins de bonne foi, etc. Mais les faits
sont têtus et il n’est pas usurpé de dire que la dure réalité du secteur
aujourd’hui est un désaveu complet de la politique mise en œuvre depuis 2012. Certes,
on peut toujours marteler que la loi
ALUR est l’une des seules lois « de gauche » du quinquennat – on
en est à ce niveau-là… – le mal est fait.
En effet, on
s’achemine tout de même, en 2014, vers un plus
bas historique dans la construction de logement neuf !! Or, selon
les spécialistes, il en faudrait au moins 350 000 pour absorber le
choc démographique. Sans parler du marché
de la rénovation, plus que faiblard alors que les enjeux sont tout aussi
conséquents.
Il s’avère
ainsi que la défiance entre la ministre et les acteurs prédominants de la
construction ne s’est jamais estompée depuis 2012, voire s’est accrue avec la
volonté absolue de mettre en œuvre la loi ALUR. Or, la confiance est à la base
de tout…
Toutefois,
là où François Hollande et Manuel Valls avaient la possibilité de montrer leur
prise de conscience des enjeux économiques réels du pays (et donc à sacrifier
les ministres EELV), ils se sont finalement résolus à poursuivre une stratégie
politique – (r)assurer les alliés radicaux de gauche – en nommant Sylvia Pinel au
Ministère du Logement. Mais même si la surprise fut énorme, il apparaît en
filigrane une reprise en main de ce ministère. A vous de juger.
Sylvia Pinel, les us et coutumes du monde
politique ou le déni des réalités
Le monde
politique – et encore plus les journalistes politiques – est cruel. Dans un
article la descendant en flèche, Hélène
Bekmezian, du Monde, avance que la nouvelle ministre est "loin de faire l’unanimité, et rares sont les
collègues prompts à la défendre. A l’évocation de son nom, les uns font la moue
quand d’autres se mettent carrément à rire ; pour tous, il est simplement
évident que Sylvia Pinel ne doit son portefeuille – ou presque – qu’au fait d’être
femme, radicale de gauche et proche de Jean-Michel Baylet, le président de son
parti [radical de gauche]. Et au fait
que ce dernier a été mis en examen la veille du remaniement, empêchant son
entrée au gouvernement".
Précédemment
ministre déléguée (Ministère de l’Artisanat, au Commerce et au Tourisme), elle
n’a pas laissé un souvenir impérissable. Et nombre de s’interroger sur sa
montée en grade au sein d’un ministère de plein exercice sur un enjeu
économique et politique essentiel.
La politique
nous réserve décidément bien des surprises et, sans rentrer dans le poujadisme
ni dans l’exécution médiatique, il est tout de même consternant de ne pas avoir
des personnes compétentes à des postes clés. On a le personnel politique qu’on
mérite, dit-on…
En outre, il
est intéressant de noter qu’il n’a pas fallu trois mois après sa nomination
pour lire ce genre d’articles… ni ceux concernant Cécile Duflot. La profession
se lâche, par journalistes interposés.
Une campagne qui va crescendo
Les
responsables politiques ont vite saisi l’urgence politique et économique de
redresser un secteur très moribond. Mais comment desserrer l’étau sans remettre
en cause la loi ALUR – et se mettre à dos une bonne fois pour toute EELV – ni
passer pour des libéraux et des traîtres aux idées de la campagne de 2012…
Dilemme politique, nécessité économique.
Le tam tam
médiatique s’est accéléré avec l’article de Cyrille
Lachèvre dans L’Opinion, traitant de l’excès de réglementation dans le
secteur du logement ces dernières années. Finalement, la loi ALUR, ce "monstre juridique de plus de 85 articles
porté à bout de bras par Cécile Duflot", n’est qu’un exemple parmi d’autres
de ce mal français : la complexification
à outrance. Au lieu de proposer des lois, l’urgence est de simplifier au
risque de surcoûts dommageables pour la construction… et d’une incidence
négative sur la création d’emplois. Or, comme le dit le journaliste, le gouvernement
s’en inquiète et étudie des mesures correctrices.
A partir de
ce moment, les salves anti-ALUR (Duflot, devrions nous-dire) se sont faites
plus nombreuses. Alors que personne n’osait publiquement parler de ce sujet –
le courage journalistique nous étonnera toujours –, une moisson d’articles est
venue vilipender l’ex ministre… et surtout faire passer la pilule : la
volonté du gouvernement, devant une conjoncture
toujours morose, de sérieusement
corriger la loi, voire de ne pas passer certains décrets. Bien sûr, les
mots sont choisis méticuleusement : ce n’est pas une remise en cause mais
une adaptation.
Néanmoins, la
sortie de Manuel Valls fait mouche : "il faut une loi sur le logement, elle existe, mais si nous avons une
loi sur le logement qui ne permet pas le redémarrage du logement, cela veut
dire qu'il faut apporter un certain nombre de modifications". Inversement,
en avançant que sa loi est "de gauche", Cécile
Duflot joue la confrontation avec le Premier ministre. Or, au travers de
ces échanges pointent les enjeux de pouvoirs dans le monde politique. 2017
n’est pas très loin…
Certes, la
réalité est complexe et les
freins à la construction sont plus nombreux et insidieux qu’il n’y paraît.
De même, certains prennent la défense de l’ex-ministre, quand d’autres jouent
la démagogie
et les analyses à l’emporte-pièce. Pourtant, la conclusion semble
entendue : la faute est celle de Cécile
Duflot et de sa loi ALUR.
Et si finalement, la construction était LA
priorité du gouvernement ?
Concernant
Sylvia Pinel, sa nomination pourrait constituer finalement une heureuse
surprise : sans charisme, ayant peu de poids politique, elle ne viendra
pas s’opposer aux industriels. D’ailleurs, ceux-ci préfèrent directement s’en
remettre à Matignon – via les conseillers de Manuel Valls en charge du
logement, Loïc
Rocard et Frédérique
Lahaye – pour se venger de Cécile Duflot en flinguant la loi ALUR. L’ex
ministre du logement ne s’y trompe d’ailleurs pas. Les
lobbies exercent une "pression délirante".
Le
déclassement de Sylvia Pinel est pourtant acté, rien qu’à lire l’interview de Manuel
Valls le 25 juin dans le Parisien. Sachez dorénavant qu’en France, le
Premier ministre s’occupe des questions de logement. Il annonce les mesures, à
charge de Sylvia Pinel de faire l’intendance : une communication
en conseil des ministres pour la forme.
Idem quelques
jours plus tôt lorsque Ségolène Royal présente les grands axes du nouveau
modèle énergétique français. Le bâtiment a pourtant une place centrale dans
la problématique de la transition énergétique mais le sujet est
porté par le Ministère de l’Ecologie, du Développement durable et de l’Energie.
Ségolène Royal a d’ailleurs coprésidé la conférence
bancaire et financière sur le financement de la transition énergétique, au
côté de Michel Sapin, Ministre des Finances. Certes, en présence de la Ministre
du Logement Sylvia Pinel. Il faut bien sauver les apparences…
Pour finir,
le Ministère de l’Economie est également de la partie. Arnaud Montebourg,
auréolé de ses résultats à la hauteur des enjeux concernant l’affaire Alstom, garde
une écoute attentive des problématiques des industriels. Ces derniers ne s’y
trompent d’ailleurs pas. Avec l’éviction de Duflot, ils ont compris que la
défense de leurs intérêts payait, notamment via le travail de leurs syndicats
professionnels. Comment comprendre, dès lors, la nomination de Paul Jallon, directeur
de la recherche et développement de Knauf, à la présidence de l’Association
française de l’isolation en polystyrène expansé dans le bâtiment (AFIPEB) ?
Ainsi, il ne
faut pas se tromper sur la place de la construction dans l’agenda politique et
économique du gouvernement. L’urgence impose des choix et la reprise en main par
Matignon augure de bonnes choses pour le secteur. De toute manière, on ne peut
pas tomber plus bas. Quant à l’éviction de
facto de Sylvia Pinel, est-elle si cruelle ? Réaliste plutôt, au regard de
l’urgence de redynamiser un secteur essentiel pour l’emploi.
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