Les billes d'argile expansée, isolant efficace ou fausse innovation opportuniste ? (crédit : Samuel Grant) |
Avec le développement du concept de matériaux "naturels", la liste des produits isolants ne cesse de s'allonger. Mais si certains produits ont d'ores et déjà prouvé leur efficacité dans des projets d'ampleur, comme la paille ou la laine de bois par exemple, d'autres apparaissent pour le moins farfelus. Citons, pêle-mêle, la terre, l'argile expansée, la chèvenotte, le textile recyclé, les plumes de canards ou encore la laine de mouton. Réelle innovation (quand ce n'est pas la remise au goût du jour de matériaux dont les produits sont connus depuis toujours) ou éco-arnaque, la question se pose aujourd'hui de savoir si le terme de "naturel" n'a pas été galvaudé pour devenir plutôt un concept marketing qui flirte de plus en plus avec le greenwashing.
Le terme de "naturel" est en effet très ambigu et recouvre plusieurs concepts, comme le "biosourcé" ou les "éco-matériaux". Selon le Portail de l'énergie en Wallonie, le terme d'isolant "naturel" désigne les matériaux constitués à 85% minimum de fibres végétales, animales ou de cellulose. Toutefois, pour le Ministère français de l'Ecologie, du Développement durable et de l'Energie, cette définition est plutôt celle du biosourcé, qui désigne "les matériaux issus de la biomasse d'origine animale ou végétale" comme le chanvre, le lin, la paille, la laine de mouton, etc. Par extension, le terme "naturel" désignerait en France les matériaux non synthétiques, c'est-à-dire d'origine animale, végétale, mais aussi minérale, et qui auraient subi une transformation minime.
Un concept ambigu
Cette définition des matériaux de construction naturels pose plusieurs problèmes. Dans un premier temps, la frontière entre matériaux synthétiques et non synthétiques est assez mince. Par exemple, la fabrication d'un granulé d'argile expansée passe par plusieurs étapes afin de le doter de propriétés isolantes : extraction, séchage et réduction en poudre de l'argile brute, qui sera ensuite mélangée à de l'eau pour former un granulé chauffé à 1 200°C dans des fours rotatifs pour multiplier par cinq le volume des granulés. A l'inverse, la terre, tel qu'elle peut être utilisée dans l'isolation, ne nécessite qu'une bonne qualité de base et d'être mélangée à de la paille pour en exploiter les propriétés isolantes. Le terme naturel revêt ici plusieurs réalités bien distinctes.
Dans un deuxième temps, le concept de naturel sous-entend l'idée que le matériau est forcément sain et inoffensif pour la santé. Ce préjugé est largement contestable car de nombreux produits dits naturels contiennent des liants, notamment des formaldéhydes, dont la fonction est d'éviter le pourrissement de certaines fibres et d'assurer la densité du produit, indispensable à une bonne isolation. Si la laine de roche est effectivement fabriquée à partir de roche volcanique (basalte) vitrifiée à hauteur de 90 à 95%, elle nécessite chez certaines marques l'incorporation de 5 à 10% de liant à base de formaldéhyde. En ce qui concerne la ouate de cellulose, le produit concerné est le sel de bore ou d'ammonium. Le liège est lui recouvert de vernis pour éviter les infiltrations d'eau. Or ces produits sont connus pour dégager des COV (Composé Organiques Volatiles) qui peuvent être à l'origine de sérieux problèmes de santé, voire de cancer. Le formaldéhyde est d'ailleurs classé comme un produit cancérogène.
Enfin, les matériaux naturels ne sont pas forcément écologiques. En ce qui concerne les matériaux biosourcés d'origine animale ou végétale (laine de mouton, plumes de canards, bois, lin, coton, etc.), la problématique est semblable à celle des biocarburants, à savoir que le coût écologique de leur élevage ou culture est loin d'être nul, au contraire. D'autres matériaux naturels ne sont pas issus de ressources renouvelables, même si dans le cas de l'argile ou de la laine de roche, ces ressources sont présentes sur Terre en très grandes quantités. Il faut donc considérer l'ensemble de la chaîne de fabrication et du cycle de vie du produit (y compris le recyclage), pour saisir l'impact environnemental, et notamment en matière d'émissions de CO2. De ce fait, des matériaux plus traditionnels, comme le parpaing de béton, possèdent un bilan écologique bien plus satisfaisant que d'autres produits naturels. La fabrication d'un parpaing nécessite en effet 87% de granulats pour 6% d'eau et seulement 6% de matière synthétique (ciment).
La question polémique de la performance
La notion de naturel recouvre ici des réalités bien diverses. Pourtant, le nombre de produits marketés ainsi ne cesse de se multiplier, surfant sur la "valeur verte", sans qu'un réel contrôle n'existe aujourd'hui permettant d'objectiver les données. La question des performances est notamment au coeur de la problématique. Quel est intérêt des isolants naturels s'ils sont plus onéreux et moins efficaces que les produits traditionnels synthétiques comme le polyuréthane ou le polystyrène ? L'exemple de l'argile expansée est assez édifiant : présentée comme un de ces nouveaux produits, elle est en réalité relativement chère (5€ pour un sac de six litres) pour des performances moyennes sur le plan thermique (entre 0,10 et 0,16 W/m.K, soit l'équivalent de 10 centimètres de laine de verre, alors qu'une épaisseur de 20 cm est généralement recommandée pour une isolation efficace).
De fait, l'appellation "naturelle" n'entraîne aucune garantie. Pourtant, il existe une forte mobilisation des autorités et des organismes publics pour développer cette industrie "avec un potentiel de développement élevé pour l'avenir, notamment en raison de son rôle pour diminuer notre consommation de matières premières d'origine fossile, limiter les émissions de gaz à effet de serre et créer de nouvelles filières économiques". Les matériaux naturels biosourcés font ainsi partie des 18 filières vertes identifiées par le Ministère de l'Ecologie, du Développement durable et de l'Energie. L'ADEME focalise pour sa part son action sur la recherche et le développement commercial (en France et en Europe) de produits biosourcés. Cet effort de labellisation se traduit notamment par un effort de certification accru venant du CSTB, mais aussi de structures privées (d'aucuns diront de lobbying), à l'instar du Centre Technique de Matériaux Naturels de Construction (CTMNC), le laboratoire de certification du Syndicat National des Industries de Roches Ornementales et de Construction (SNROC), membre de l'UNICEM.
Isolation et couverture du toit, vers un même combat régionaliste ?
Si la notion de "naturel" dans le bâtiment reste un vaste fourre-tout, si les consommateurs peinent encore à s'y retrouver dans cette nébuleuse de produits plus verts les uns que les autres, si les fabricants continuent de pratiquer le greenwashing, en pariant sur la valeur verte, gageons que la situation devrait toutefois s'améliorer, sous l'action de l'Etat (voire le concept d'éco-conditionnalité), mais aussi grâce à l'information de plus en plus précise et complète des particuliers. Bien souvent, l'innovation dans les matériaux isolants naturels ne provient pas des produits en eux-mêmes, mais de cette capacité à faire des anciennes pratiques et traditions des outils d'isolation modernes encore plus performants. La multiplication des produits est une chance pour adapter au mieux l'isolation des maisons aux contraintes locales. Or, ne pourrait-on pas imaginer - à l'image de la toiture avec ses traditions régionales (tuile ou ardoise), esthétiques autant qu'adaptées au climat - une méthode et un matériau d'isolation de référence définis par chaque région en fonction, par exemple, de la proximité du lieu de production ? Une mesure comme une autre pour doter le marché du "naturel" de plus de lisilibité et de références afin de s'imposer face aux matériaux plus traditionnels.
Nous suivre sur Twitter : @bati2030.
Le terme de "naturel" est en effet très ambigu et recouvre plusieurs concepts, comme le "biosourcé" ou les "éco-matériaux". Selon le Portail de l'énergie en Wallonie, le terme d'isolant "naturel" désigne les matériaux constitués à 85% minimum de fibres végétales, animales ou de cellulose. Toutefois, pour le Ministère français de l'Ecologie, du Développement durable et de l'Energie, cette définition est plutôt celle du biosourcé, qui désigne "les matériaux issus de la biomasse d'origine animale ou végétale" comme le chanvre, le lin, la paille, la laine de mouton, etc. Par extension, le terme "naturel" désignerait en France les matériaux non synthétiques, c'est-à-dire d'origine animale, végétale, mais aussi minérale, et qui auraient subi une transformation minime.
Un concept ambigu
Cette définition des matériaux de construction naturels pose plusieurs problèmes. Dans un premier temps, la frontière entre matériaux synthétiques et non synthétiques est assez mince. Par exemple, la fabrication d'un granulé d'argile expansée passe par plusieurs étapes afin de le doter de propriétés isolantes : extraction, séchage et réduction en poudre de l'argile brute, qui sera ensuite mélangée à de l'eau pour former un granulé chauffé à 1 200°C dans des fours rotatifs pour multiplier par cinq le volume des granulés. A l'inverse, la terre, tel qu'elle peut être utilisée dans l'isolation, ne nécessite qu'une bonne qualité de base et d'être mélangée à de la paille pour en exploiter les propriétés isolantes. Le terme naturel revêt ici plusieurs réalités bien distinctes.
Dans un deuxième temps, le concept de naturel sous-entend l'idée que le matériau est forcément sain et inoffensif pour la santé. Ce préjugé est largement contestable car de nombreux produits dits naturels contiennent des liants, notamment des formaldéhydes, dont la fonction est d'éviter le pourrissement de certaines fibres et d'assurer la densité du produit, indispensable à une bonne isolation. Si la laine de roche est effectivement fabriquée à partir de roche volcanique (basalte) vitrifiée à hauteur de 90 à 95%, elle nécessite chez certaines marques l'incorporation de 5 à 10% de liant à base de formaldéhyde. En ce qui concerne la ouate de cellulose, le produit concerné est le sel de bore ou d'ammonium. Le liège est lui recouvert de vernis pour éviter les infiltrations d'eau. Or ces produits sont connus pour dégager des COV (Composé Organiques Volatiles) qui peuvent être à l'origine de sérieux problèmes de santé, voire de cancer. Le formaldéhyde est d'ailleurs classé comme un produit cancérogène.
Enfin, les matériaux naturels ne sont pas forcément écologiques. En ce qui concerne les matériaux biosourcés d'origine animale ou végétale (laine de mouton, plumes de canards, bois, lin, coton, etc.), la problématique est semblable à celle des biocarburants, à savoir que le coût écologique de leur élevage ou culture est loin d'être nul, au contraire. D'autres matériaux naturels ne sont pas issus de ressources renouvelables, même si dans le cas de l'argile ou de la laine de roche, ces ressources sont présentes sur Terre en très grandes quantités. Il faut donc considérer l'ensemble de la chaîne de fabrication et du cycle de vie du produit (y compris le recyclage), pour saisir l'impact environnemental, et notamment en matière d'émissions de CO2. De ce fait, des matériaux plus traditionnels, comme le parpaing de béton, possèdent un bilan écologique bien plus satisfaisant que d'autres produits naturels. La fabrication d'un parpaing nécessite en effet 87% de granulats pour 6% d'eau et seulement 6% de matière synthétique (ciment).
La question polémique de la performance
La notion de naturel recouvre ici des réalités bien diverses. Pourtant, le nombre de produits marketés ainsi ne cesse de se multiplier, surfant sur la "valeur verte", sans qu'un réel contrôle n'existe aujourd'hui permettant d'objectiver les données. La question des performances est notamment au coeur de la problématique. Quel est intérêt des isolants naturels s'ils sont plus onéreux et moins efficaces que les produits traditionnels synthétiques comme le polyuréthane ou le polystyrène ? L'exemple de l'argile expansée est assez édifiant : présentée comme un de ces nouveaux produits, elle est en réalité relativement chère (5€ pour un sac de six litres) pour des performances moyennes sur le plan thermique (entre 0,10 et 0,16 W/m.K, soit l'équivalent de 10 centimètres de laine de verre, alors qu'une épaisseur de 20 cm est généralement recommandée pour une isolation efficace).
De fait, l'appellation "naturelle" n'entraîne aucune garantie. Pourtant, il existe une forte mobilisation des autorités et des organismes publics pour développer cette industrie "avec un potentiel de développement élevé pour l'avenir, notamment en raison de son rôle pour diminuer notre consommation de matières premières d'origine fossile, limiter les émissions de gaz à effet de serre et créer de nouvelles filières économiques". Les matériaux naturels biosourcés font ainsi partie des 18 filières vertes identifiées par le Ministère de l'Ecologie, du Développement durable et de l'Energie. L'ADEME focalise pour sa part son action sur la recherche et le développement commercial (en France et en Europe) de produits biosourcés. Cet effort de labellisation se traduit notamment par un effort de certification accru venant du CSTB, mais aussi de structures privées (d'aucuns diront de lobbying), à l'instar du Centre Technique de Matériaux Naturels de Construction (CTMNC), le laboratoire de certification du Syndicat National des Industries de Roches Ornementales et de Construction (SNROC), membre de l'UNICEM.
Isolation et couverture du toit, vers un même combat régionaliste ?
Si la notion de "naturel" dans le bâtiment reste un vaste fourre-tout, si les consommateurs peinent encore à s'y retrouver dans cette nébuleuse de produits plus verts les uns que les autres, si les fabricants continuent de pratiquer le greenwashing, en pariant sur la valeur verte, gageons que la situation devrait toutefois s'améliorer, sous l'action de l'Etat (voire le concept d'éco-conditionnalité), mais aussi grâce à l'information de plus en plus précise et complète des particuliers. Bien souvent, l'innovation dans les matériaux isolants naturels ne provient pas des produits en eux-mêmes, mais de cette capacité à faire des anciennes pratiques et traditions des outils d'isolation modernes encore plus performants. La multiplication des produits est une chance pour adapter au mieux l'isolation des maisons aux contraintes locales. Or, ne pourrait-on pas imaginer - à l'image de la toiture avec ses traditions régionales (tuile ou ardoise), esthétiques autant qu'adaptées au climat - une méthode et un matériau d'isolation de référence définis par chaque région en fonction, par exemple, de la proximité du lieu de production ? Une mesure comme une autre pour doter le marché du "naturel" de plus de lisilibité et de références afin de s'imposer face aux matériaux plus traditionnels.
Nous suivre sur Twitter : @bati2030.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
N'hésitez pas à poster vos commentaires et avis !