Jean-Yves Le Déaut, Député PS et rapporteur du rapport de l'OPECST sur
les freins réglementaires à l'innovation en matière d'économies
d'énergie dans le bâtiment (source : lemoniteur.fr)
A l’heure où la parole politique semble décrédibilisée, où
le manque de confiance sape notre économie, où les hommes et femmes politiques
se retrouvent vilipendés pour des tas de raisons (n’oublions jamais que nous
avons le personnel politique que nous méritons…), il est nécessaire de mettre
en avant certains mécanismes ou institutions qui, par leur travail et leur
rôle, permettent d’entrevoir une évolution positive pour notre pays, tant au
niveau politique, économique que sociétal. Le méconnu Office parlementaire d’évaluation
des choix scientifiques et technologiques (OPECST) est un de ses phares qui
devrait briller un peu plus.
En effet, quelque chose est en train de changer au sein des
instances de normalisation françaises en charge du secteur de la construction.
Impossible de dire combien de temps cela prendra et quel en sera le résultat.
Mais deux choses peuvent d’ores et déjà être précisées :
- Ce sera à la fois des changements institutionnels mais également psychologiques.
- L’OPECST aura joué un rôle des plus appréciables, par ses études et recommandations.
Mis en place en 1983, l’Office part du constat que la
représentation politique (Sénat et Assemblée nationale) n’avait pas toujours
les moyens d’apprécier la portée des projets gouvernementaux dans des domaines
très techniques. Organe bipartisan, composé par 18 députés et 18 sénateurs, il
est sans doute ce qui se fait de mieux, actuellement, comme groupe d’évaluation
et de proposition. Pour finir, l’OPECST est présidé alternativement par un
sénateur et par un député, tout en étant assisté par un conseil scientifique
formé de personnalités choisies en raison de leurs compétences.
Le bâtiment : un
conservatisme très dommageable
Depuis maintenant cinq ans, l’OPECST s’intéresse à une
question cruciale : la problématique des économies d’énergie dans le
bâtiment et le cadre institutionnel afférent. Ou, pour être plus direct, les
jeux d’acteurs autour de la certification des procédés d’économies d’énergie
ainsi que la définition et l’application des lois sur ce sujet. Et autant dire
que le dernier
rapport de l’OPECST, en juillet, a été un véritable coup de canon, avec une
cible toute désignée : le Centre Scientifique et Technique du Bâtiment.
Et pour bien montrer sa volonté à faire partie du débat,
avec en ligne de mire la loi sur la transition énergétique discutée cette
automne, l’OPECST prend soin de rappeler, dans l’introduction du rapport, toute
sa légitimité pour instruire ce genre d’étude et la robustesse de sa démarche. Ainsi,
comme le dit Jean-Yves Le Déaut, premier vice-président de l’Office et
rapporteur, il s’agit d’ « un pavé dans la mare d’un secteur du bâtiment
très conservateur ».
En effet, l’OPECST précise
dans son rapport : « ce ne sont
pas des freins à la rénovation thermique que nous avons détectés, ce sont des
barrières infranchissables. En France, une administration trop tatillonne tue
l’innovation ». Tout en rappelant deux affaires qui ont défrayé
la chronique dans le secteur du bâtiment ces dernières années, mettant en
exergue le jeu trouble d’acteurs institutionnels et de certaines entreprises.
Tout d’abord, le micmac
de la ouate de cellulose et la question des additifs (sels de bore ou sels
d’ammonium). Ensuite, le
cas Actis et la difficulté pour un petit acteur de faire normaliser un
produit innovant : les isolants minces.
« Notre enquête dans le monde du contrôle et
de la réglementation énergétique du bâtiment nous a fait découvrir un système
similaire à celui qui régissait le domaine nucléaire il y a une vingtaine
d’années : mélange des genres entre recherche, évaluation, conseil, expertise
et contrôle ; combinaison désordonnée entre une centralisation à outrance des
instances décisionnaires et une multiplicité d’opérateurs institutionnels
travaillant plus en concurrence qu’en coopération ; endogamie des acteurs
décisionnels avec les responsables industriels ; distance marquée entre les
universités, les écoles d’architecture et les centres techniques en charge des
technologies du bâtiment ; aucune place dans le monde de la recherche pour la
physique des bâtiments en tant que telle ; pas de réelle stratégie pour traiter
la priorité absolue de la rénovation. Le bâtiment est considéré comme une
discipline subalterne ».
Selon l’OPECST, « nous continuons à gérer l’innovation de
manière technocratique », sans parler des « effets destructeurs des à-coups réglementaires ». « Une thérapie de choc s’impose ». « Il faut pour cela simplifier,
débureaucratiser, rendre le système plus transparent, soutenir la formation de
tous les acteurs, du maître d’œuvre à l’artisan en passant par l’architecte et
l’ingénieur de bureau d’études, ouvrir le système vers les universités,
organiser l’audit et l’expertise et évaluer a posteriori les techniques mises en œuvre ».
Une révolution des mentalités s’imposent
Autant le dire clairement :
bien rédigé, ne faisant que 100 pages et étant une mine d’informations, le rapport
de l’OPECST est LE document à lire en cette rentrée. Et il fera date. En
effet, l’Office analyse de manière systémique le marché des matériaux et équipements de la construction
et en arrive à la conclusion que celui-ci connaît trois niveaux de freins
réglementaires.
- Tout d’abord, au niveau des procédures évaluant la sécurité et la qualité des produits, réalisées par le CSTB, les organismes de certification, et l’Agence de la Qualité de la Construction (AQC). Ces mêmes acteurs cités dans les affaires « ouate de cellulose » et Actis…
- Le deuxième domaine touche aux règles de la construction en général et à la réglementation thermique en particulier, notamment le fameux outil de simulation appelé « moteur de calcul » de la RT 2012. Selon l’OPECST, celui-ci est particulièrement opaque et biaisé (1377 pages du Journal Officiel tout de même !) : « ce logiciel reste une boîte noire, dont le CSTB conserve la maîtrise exclusive ». Et de pointer une « ambiance de mystère ». A noter qu’UFC-Que Choisir, dernièrement, a également soulevé une problématique connexe à la RT 2012 : la mention RGE qui ne garantit pas l’efficacité énergétique. Etude qui fait écho à celle du Commissariat général au développement durable, dépendant du Ministère de l’Écologie et datant de juillet 2014, sur la pertinence des plans de rénovation thermique.
- Pour finir, le troisième domaine pouvant produire des freins réglementaires à l’innovation est celui des aides publiques, directes ou indirectes. Ce qui est recommandé est le conditionnement des aides à l’établissement préalable d’un plan global de rénovation du bâti, comme cela est le cas en Allemagne. Là aussi, l’UFC-Que Choisir demande la mise en place de ce système afin de limiter les abus.
Ainsi, l’OPECST avance que « les obligations qui compliquent le parcours des produits innovants
proviennent du besoin d’obtenir une couverture d’assurance, de la nécessité de
se voir reconnaître par la réglementation thermique, et du désir d’accéder aux
aides dont bénéficient les solutions similaires, voire concurrentes ».
Avec, au cœur du système, un acteur décrié : le CSTB.
Le CSTB dans la ligne
de mire : le démantèlement programmé ?
Ce n’est pas la première fois que l’OPECST cible le Centre
Scientifique et Technique du Bâtiment mais auparavant, l’Office veillait à
garder une position au-dessus de la mêlée, un rôle d’arbitre entre le CSTB et
certains professionnels du secteur qui le critiquaient. Les critiques,
d’ailleurs, sont connues, plus ou moins recevables et rappelées dans le rapport :
procédure aux délais trop longs et au coût élevé, barrière de facto imposée aux produits étrangers, un système trop centralisé
ne valorisant pas ou peu les compétences techniques en région, une méthode datée
d’expérimentation des produits en laboratoire sans la compléter d’une analyse
in situ…
Mais le fait marquant avec ce rapport est qu’il semble
marquer le passage de l’Office dans le camp des anti-CSTB. En effet, celui-ci
semble prendre dorénavant ces griefs à son compte. Ainsi, Jean-Yves Le Déaut, député
PS de Meurthe-et-Moselle, n’a jamais caché sa vigilance
sur le fonctionnement du CSTB. Il rappelle d’ailleurs dans le rapport,
qu’en mai 2012, il a interpellé Benoist Apparu (Ministre du Logement) et Eric
Besson (Ministre de l’Industrie et de l’Energie) : « le conflit d’intérêts évident entre les experts membres des commissions
du CSTB et les postulants aux avis techniques sont la source de problèmes
graves. Ils pénalisent le développement de produits innovants ».
Aussi, la grande idée de l’OPECST est de mettre fin à une
situation malsaine, un mélange des genres qui n’a plus lieu d’être,
c’est-à-dire le rôle de prescripteur-prestataire du CSTB. En prenant exemple
sur le secteur du nucléaire et la création de l’Autorité de Sûreté
Nucléaire (ASN) et de l’Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire (IRSN),
que l’OPECST avait promu en son temps, ce démantèlement programmé permettrait
de recentrer le CSTB sur ses activités d’évaluation technique des produits
innovants tout en transférant ses activités de recherche et de prestation
technique – associées à l’utilisation des équipements des laboratoires – à une
nouvelle entité : « les laboratoires de la physique du bâtiment ».
Ceux-ci seraient dès lors intégrés dans un vaste réseau des
centres français de recherche sur les matériaux, les techniques et les systèmes
du bâtiment alors que le CSTB verrait son activité recentrée sur ses missions d’évaluation
technique, d’expertise et d’information. Quant à son financement, contrôlé par
le Parlement, garant de son autonomie, il serait assuré par une contribution
prélevée sur les primes d’assurance versées dans le cadre de la responsabilité
décennale.
Une démarche séduisante qui reçoit même le soutien d’Yves Farge, ancien président du conseil
scientifique du CSTB et entendu par l’OPECST : « le CSTB est bien au cœur du
sujet avec une schizophrénie certaine, puisqu’il contribue à élaborer des
normes, et qu’il vit de leur vérification… Il faudrait sans doute séparer ces
deux missions ». Posé ce constat, la démarche ne peut être
qu’énergique : « nous ne pouvons plus nous contenter de
changements à la marge. Il faut jeter de gros pavés dans la mare. Pour cela, il
faut une volonté politique forte, capable de mettre au pas une administration
vivant de la complexification règlementaire… ».
Reste à savoir si Etienne Crépon, nouveau patron du CSTB et en provenance de la DHUP (endogamie, quand tu nous tiens...), participera à
la révolution…
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