mercredi 27 août 2014

Le politique en soutien à l’innovation : le rôle constructif mais méconnu de l’OPECST


Jean-Yves Le Déaut, Député PS et rapporteur du rapport de l'OPECST sur les freins réglementaires à l'innovation en matière d'économies d'énergie dans le bâtiment (source : lemoniteur.fr)

A l’heure où la parole politique semble décrédibilisée, où le manque de confiance sape notre économie, où les hommes et femmes politiques se retrouvent vilipendés pour des tas de raisons (n’oublions jamais que nous avons le personnel politique que nous méritons…), il est nécessaire de mettre en avant certains mécanismes ou institutions qui, par leur travail et leur rôle, permettent d’entrevoir une évolution positive pour notre pays, tant au niveau politique, économique que sociétal. Le méconnu Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) est un de ses phares qui devrait briller un peu plus.

En effet, quelque chose est en train de changer au sein des instances de normalisation françaises en charge du secteur de la construction. Impossible de dire combien de temps cela prendra et quel en sera le résultat. Mais deux choses peuvent d’ores et déjà être précisées :

  • Ce sera à la fois des changements institutionnels mais également psychologiques.
  • L’OPECST aura joué un rôle des plus appréciables, par ses études et recommandations.

Mis en place en 1983, l’Office part du constat que la représentation politique (Sénat et Assemblée nationale) n’avait pas toujours les moyens d’apprécier la portée des projets gouvernementaux dans des domaines très techniques. Organe bipartisan, composé par 18 députés et 18 sénateurs, il est sans doute ce qui se fait de mieux, actuellement, comme groupe d’évaluation et de proposition. Pour finir, l’OPECST est présidé alternativement par un sénateur et par un député, tout en étant assisté par un conseil scientifique formé de personnalités choisies en raison de leurs compétences. 

Le bâtiment : un conservatisme très dommageable 

Depuis maintenant cinq ans, l’OPECST s’intéresse à une question cruciale : la problématique des économies d’énergie dans le bâtiment et le cadre institutionnel afférent. Ou, pour être plus direct, les jeux d’acteurs autour de la certification des procédés d’économies d’énergie ainsi que la définition et l’application des lois sur ce sujet. Et autant dire que le dernier rapport de l’OPECST, en juillet, a été un véritable coup de canon, avec une cible toute désignée : le Centre Scientifique et Technique du Bâtiment.

Et pour bien montrer sa volonté à faire partie du débat, avec en ligne de mire la loi sur la transition énergétique discutée cette automne, l’OPECST prend soin de rappeler, dans l’introduction du rapport, toute sa légitimité pour instruire ce genre d’étude et la robustesse de sa démarche. Ainsi, comme le dit Jean-Yves Le Déaut, premier vice-président de l’Office et rapporteur, il s’agit d’ « un pavé dans la mare d’un secteur du bâtiment très conservateur ».

En effet, l’OPECST précise dans son rapport : « ce ne sont pas des freins à la rénovation thermique que nous avons détectés, ce sont des barrières infranchissables. En France, une administration trop tatillonne tue l’innovation ». Tout en rappelant deux affaires qui ont défrayé la chronique dans le secteur du bâtiment ces dernières années, mettant en exergue le jeu trouble d’acteurs institutionnels et de certaines entreprises. Tout d’abord, le micmac de la ouate de cellulose et la question des additifs (sels de bore ou sels d’ammonium). Ensuite, le cas Actis et la difficulté pour un petit acteur de faire normaliser un produit innovant : les isolants minces. 

« Notre enquête dans le monde du contrôle et de la réglementation énergétique du bâtiment nous a fait découvrir un système similaire à celui qui régissait le domaine nucléaire il y a une vingtaine d’années : mélange des genres entre recherche, évaluation, conseil, expertise et contrôle ; combinaison désordonnée entre une centralisation à outrance des instances décisionnaires et une multiplicité d’opérateurs institutionnels travaillant plus en concurrence qu’en coopération ; endogamie des acteurs décisionnels avec les responsables industriels ; distance marquée entre les universités, les écoles d’architecture et les centres techniques en charge des technologies du bâtiment ; aucune place dans le monde de la recherche pour la physique des bâtiments en tant que telle ; pas de réelle stratégie pour traiter la priorité absolue de la rénovation. Le bâtiment est considéré comme une discipline subalterne ».

Selon l’OPECST, « nous continuons à gérer l’innovation de manière technocratique », sans parler des « effets destructeurs des à-coups réglementaires ». « Une thérapie de choc s’impose ». « Il faut pour cela simplifier, débureaucratiser, rendre le système plus transparent, soutenir la formation de tous les acteurs, du maître d’œuvre à l’artisan en passant par l’architecte et l’ingénieur de bureau d’études, ouvrir le système vers les universités, organiser l’audit et l’expertise et évaluer a posteriori les techniques mises en œuvre ». 

Une révolution des mentalités s’imposent 

Autant le dire clairement : bien rédigé, ne faisant que 100 pages et étant une mine d’informations, le rapport de l’OPECST est LE document à lire en cette rentrée. Et il fera date. En effet, l’Office analyse de manière systémique le marché des matériaux et équipements de la construction et en arrive à la conclusion que celui-ci connaît trois niveaux de freins réglementaires.

  • Tout d’abord, au niveau des procédures évaluant la sécurité et la qualité des produits, réalisées par le CSTB, les organismes de certification, et l’Agence de la Qualité de la Construction (AQC). Ces mêmes acteurs cités dans les affaires « ouate de cellulose » et Actis…
  • Le deuxième domaine touche aux règles de la construction en général et à la réglementation thermique en particulier, notamment le fameux outil de simulation appelé « moteur de calcul » de la RT 2012. Selon l’OPECST, celui-ci est particulièrement opaque et biaisé (1377 pages du Journal Officiel tout de même !) : « ce logiciel reste une boîte noire, dont le CSTB conserve la maîtrise exclusive ». Et de pointer une « ambiance de mystère ». A noter qu’UFC-Que Choisir, dernièrement, a également soulevé une problématique connexe à la RT 2012 : la mention RGE qui ne garantit pas l’efficacité énergétique. Etude qui fait écho à celle du Commissariat général au développement durable, dépendant du Ministère de l’Écologie et datant de juillet 2014, sur la pertinence des plans de rénovation thermique.
  • Pour finir, le troisième domaine pouvant produire des freins réglementaires à l’innovation est celui des aides publiques, directes ou indirectes. Ce qui est recommandé est le conditionnement des aides à l’établissement préalable d’un plan global de rénovation du bâti, comme cela est le cas en Allemagne. Là aussi, l’UFC-Que Choisir demande la mise en place de ce système afin de limiter les abus. 


Ainsi, l’OPECST avance que « les obligations qui compliquent le parcours des produits innovants proviennent du besoin d’obtenir une couverture d’assurance, de la nécessité de se voir reconnaître par la réglementation thermique, et du désir d’accéder aux aides dont bénéficient les solutions similaires, voire concurrentes ». Avec, au cœur du système, un acteur décrié : le CSTB. 

Le CSTB dans la ligne de mire : le démantèlement programmé ? 

Ce n’est pas la première fois que l’OPECST cible le Centre Scientifique et Technique du Bâtiment mais auparavant, l’Office veillait à garder une position au-dessus de la mêlée, un rôle d’arbitre entre le CSTB et certains professionnels du secteur qui le critiquaient. Les critiques, d’ailleurs, sont connues, plus ou moins recevables et rappelées dans le rapport : procédure aux délais trop longs et au coût élevé, barrière de facto imposée aux produits étrangers, un système trop centralisé ne valorisant pas ou peu les compétences techniques en région, une méthode datée d’expérimentation des produits en laboratoire sans la compléter d’une analyse in situ

Mais le fait marquant avec ce rapport est qu’il semble marquer le passage de l’Office dans le camp des anti-CSTB. En effet, celui-ci semble prendre dorénavant ces griefs à son compte. Ainsi, Jean-Yves Le Déaut, député PS de Meurthe-et-Moselle, n’a jamais caché sa vigilance sur le fonctionnement du CSTB. Il rappelle d’ailleurs dans le rapport, qu’en mai 2012, il a interpellé Benoist Apparu (Ministre du Logement) et Eric Besson (Ministre de l’Industrie et de l’Energie) : « le conflit d’intérêts évident entre les experts membres des commissions du CSTB et les postulants aux avis techniques sont la source de problèmes graves. Ils pénalisent le développement de produits innovants ».

Aussi, la grande idée de l’OPECST est de mettre fin à une situation malsaine, un mélange des genres qui n’a plus lieu d’être, c’est-à-dire le rôle de prescripteur-prestataire du CSTB. En prenant exemple sur le secteur du nucléaire et la création de l’Autorité de Sûreté Nucléaire (ASN) et de l’Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire (IRSN), que l’OPECST avait promu en son temps, ce démantèlement programmé permettrait de recentrer le CSTB sur ses activités d’évaluation technique des produits innovants tout en transférant ses activités de recherche et de prestation technique – associées à l’utilisation des équipements des laboratoires – à une nouvelle entité : « les laboratoires de la physique du bâtiment ».

Ceux-ci seraient dès lors intégrés dans un vaste réseau des centres français de recherche sur les matériaux, les techniques et les systèmes du bâtiment alors que le CSTB verrait son activité recentrée sur ses missions d’évaluation technique, d’expertise et d’information. Quant à son financement, contrôlé par le Parlement, garant de son autonomie, il serait assuré par une contribution prélevée sur les primes d’assurance versées dans le cadre de la responsabilité décennale.

Une démarche séduisante qui reçoit même le soutien d’Yves Farge, ancien président du conseil scientifique du CSTB et entendu par l’OPECST : « le CSTB est bien au cœur du sujet avec une schizophrénie certaine, puisqu’il contribue à élaborer des normes, et qu’il vit de leur vérification… Il faudrait sans doute séparer ces deux missions ». Posé ce constat, la démarche ne peut être qu’énergique : « nous ne pouvons plus nous contenter de changements à la marge. Il faut jeter de gros pavés dans la mare. Pour cela, il faut une volonté politique forte, capable de mettre au pas une administration vivant de la complexification règlementaire… ». 

Reste à savoir si Etienne Crépon, nouveau patron du CSTB et en provenance de la DHUP (endogamie, quand tu nous tiens...), participera à la révolution…

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