La fatalité n'a plus sa place sur les chantiers (source : coocoonhome.com)
Décidément,
rien n’est épargné aux professionnels du bâtiment et des travaux publics. Inconséquence
des politiques, crise
historique, contrefaçon…
Ne manquait plus que les dégradations et les vols sur les chantiers en augmentation,
sans parler de la délinquance voire du racket pur et simple.
Marseille,
fidèle à sa (triste) réputation est venu rappeler récemment ce à quoi sont
confrontés certains salariés et patrons dans leur vie professionnelle. Mais le
pire est que ce contexte semble se généraliser à l’ensemble du territoire
national. Phénomène nouveau ? Pas vraiment, car la prise de conscience a
eu lieu il y a maintenant sept ans sans que des solutions tangibles aient été
apportées, tant par les services de l’Etat que par les instances patronales ou
syndicales.
Toutefois,
alors que ces effractions étaient historiquement mises sur le compte de la
fatalité, leur aggravation pourrait finalement amener un sursaut salvateur.
Marseille serait-elle ainsi à l’avant-garde du renouveau ?
Marseille : effet loupe ou ‘réalité
vraie’ ?
Est-ce « l’effet
Marseille » ou alors que la problématique prend véritablement des
proportions inquiétantes ? Il y a quelques semaines, la presse
professionnelle et généraliste fait ses gros titres des vols,
chantages à l’embauche, rackets, menaces et intimidations que subissent les
entreprises du BTP dans les Bouches-du-Rhône.
Au point que
le tribunal de grande instance, en lien avec les services de police et des
professionnels du bâtiment, décide de la création d’un Groupement Local de
Traitement de la délinquance exclusivement dédié au BTP. Une triste première en
France.
Parallèlement,
la FFB 13 s’engage à prendre à sa charge la sûreté de certains chantiers. Une
obligation, selon son président, Johan Bencivenga. Selon lui, le budget
sécurité d’un chantier pourrait représenter jusqu’à 5% du montant total du
chantier, à la charge de l’entreprise. Soit, 50 millions d’euros estimés au
total pour la seule année 2014. Et de prendre en exemple le gardiennage H24 d’un
chantier pendant 36 mois. Facture : 800 000 euros ! De quoi grever
les finances d’entreprises déjà fragilisées.
Plus grave,
selon Johan
Bencivenga, « nous avons acquis la certitude que dans certains
quartiers, des fonctionnaires territoriaux jouent les entremetteurs entre les
délinquants et nos entreprises afin d’obliger ces dernières à embaucher des
gens de leurs relations ou leur confier des missions de gardiennage en échange
d’argent ou de services. Et si la manœuvre n’aboutit pas, ils sont les
instigateurs de troubles sur le chantier »… pouvant aller jusqu’à « rafaler »
le site à la kalachnikov !
Bien sûr,
les clichés ont la vie dure et on pourrait dire que cette histoire est
typiquement marseillaise. Malheureusement, le problème touche toutes les
régions de France, de manière plus ou moins variable.
Un chantier, c’est portes ouvertes !
La réalité
marseillaise est malheureusement une vérité française. On vole de tout :
des plaques de plâtre au cuivre des installations électriques, du carburant à l’engin
lui-même sans oublier l’outillage. A l’image de la
contrefaçon, le phénomène est difficile à estimer et donc à combattre. Selon
les professionnels, les vols sur les chantiers coûteraient un à deux milliards
d’euros par an pour le secteur, au niveau national. Il y a donc un vrai
malaise, qui n’est en aucun cas nouveau.
En 2007, lors
d’une grande
enquête nationale de la FFB auprès de 6 000 PME, les deux-tiers d’entre
elles déclarait avoir été victimes d’un vol : 36% des vols concernait l’outillage,
29% les matériaux (radiateurs, chaudières…) et 22,8% les métaux (cuivre,
aluminium…). Au-delà du vol en lui-même, les effets collatéraux sont
extrêmement dommageables : arrêt du chantier, chômage technique, pénalités
de retard, mise en place d’un gardiennage… Et la FFB de prendre l’exemple du
vol d’un câble de grue (valeur : 600 euros) qui entraîne une perte sèche
pour l’entreprise de 15 000 à 20 000 euros du fait des dommages
décris ci-dessus. Sans parler du coup au moral pour les patrons et les ouvriers.
Ce genre d’actes est une forme de mépris du travail réalisé pour le bien de la
communauté.
Pour ce qui
est des vols/vandalisme (mais n’oublions pas les menaces envers les ouvriers de
la part de personnes extérieurs au chantier), certains assureurs ont tenté d’estimer
la tendance. Ainsi, pour SMABTP, il y a un doublement – en nombre et en coût – des
vols/vandalisme sur les chantiers entre 2000 et 2007.
Quant aux
services de police et de gendarmerie, en 2013, ce sont 16 512
plaintes enregistrées pour des vols simples sur les chantiers ! Mais
les faiblesses
statistiques ne précisent pas les pourcentages entre les vols commis par
des bandes organisés, des particuliers vivant aux abords des chantiers voire
des salariés eux-mêmes. Ce qui est révoltant, par contre, est le taux d’élucidation :
Michèle Alliot-Marie, alors ministre de l’Intérieur, avançait le chiffre de
2 000 résolutions en 2007 (avec 2 500 gardes à vue) contre 1 250
affaires élucidées en 2002 (1 500 gardes à vue). Une broutille.
La FFB s’inquiète du problème en 2007
Élucider ce genre d’affaires est donc très difficile, sans oublier que ces méfaits
pourrissent l’existence. Bien sûr, le phénomène a toujours existé mais la crise
l’a renforcé : appât du gain, facilités de revendre les produits du vol,
etc. 2007 est réellement une prise de conscience de la part des professionnels.
De là à décréter la fin du fatalisme…
En effet, il
ne faut pas se voiler la face. L’inconséquence de certains professionnels est
aussi la cause. Ainsi, dans l’étude de la FFB, il ressort que 56% des vols sont
des vols simples. En clair, il n’y a qu’à se baisser et ramasser. Aussi,
au-delà du contexte, il y a vraiment un changement de mentalités qui est
nécessaire.
François
Asselin, ancien Vice-Président de la FFB et actuel parton
de la CGPME le reconnaît lui-même lors d’une interview en 2007 : la
question de la sûreté des chantiers est une problématique qui est apparue
récemment et qui a pris une dimension impressionnante en très peu de temps. De
fait, les professionnels ont (eu) du mal à la prendre en compte et donc à
mettre en œuvre les moyens pour y faire face. L’enquête nationale de la FFB puis
la mise en œuvre du dispositif « Ras le vol ! », permettant de
prévenir et de lutter contre cette dérive, sont à replacer dans ce contexte.
Communiquer, impliquer !
La prise de
conscience se concrétise par le renforcement des liens entre les pouvoirs
publics et les professionnels, sur
tout le territoire, notamment au travers des protocoles
d’accord facilitant la sensibilisation, les formations à la prévention
ainsi que le partage
d’information. Loin de sortir une énième loi sur le sujet, les acteurs ont
l’intelligence de mettre en commun leurs savoir-faire pour lutter efficacement
contre ce fléau.
De plus, un
effort de communication pour impliquer les professionnels est réalisé. Ainsi,
le chantier – et ses caractéristiques – doit être déclaré aux forces de
sécurité et un correspondant sûreté nommé. Bien évidemment, la protection
ne peut être que modulable selon la taille du chantier, le lieu, la durée,
les matériaux/matériels employés, les étapes de la construction… Bref, on ne
peut pas mettre des maitres-chiens partout ou de l’électronique partout,
surtout quand un chantier fait appel à de nombreux corps de métiers. Il faut
aussi impliquer les salariés, rappeler le B.A-BA : fermer les portes, ranger
les outils… Pour ce qui est des sites et dépôts, au-delà des clôtures et autres
dispositifs de vidéoprotection, il est en général rappelé de tenir une liste à
jour de tous les matériaux/matériels à disposition afin d’assurer une
sécurisation maximale.
Néanmoins, à
voir la une des journaux récemment, on peut se demander quels sont les
résultats de ces actions : nuls ?
2014 : le sursaut ?
En fait, Marseille
est déjà un « exemple », en 2004. A l’époque, la FFB 13 saisit la
préfecture afin de sécuriser les chantiers de rénovation et de construction
dans les zones urbaines sensibles : d’abord dans la ville puis tout le
département. La coordination entre les différents protagonistes est alors
érigée comme condition sine qua none
pour la réussite de la mission. Les actions mises en œuvre au niveau national à
partir de 2007 ne sont finalement que la généralisation sur le territoire
national du dispositif marseillais.
Mais pour
quels résultats ? Les affaires récentes signifient-elles un véritable
malaise dû à l’échec du dispositif « Ras le vol » ? Ou bien
est-ce un coup de com’ pour remotiver les acteurs et renforcer l’acuité sur ce
problème ?
En effet, de
Marseille pourrait venir les solutions. Ainsi, les marges de manœuvre dont
disposent les magistrats leur permettent d’agir et de trouver des modes
opératoires innovant, qu’il faut bien sûr tester. De fait, les derniers
évènements ont peut-être amené une rupture, un changement de mentalité. Finie
la communication. Place à l’action.
Par exemple,
le GLTD Bâtiment est digne des solutions avancées contre la mafia :
magistrats dédiés, préservation de l’anonymat des plaignants afin d’éviter les
risques de représailles, requalification des actes si la gravité est avérée (non
plus un délit mais un crime). En outre, une des solutions avancées, mais pas
encore mise en œuvre, est que le coût des mesures de sûreté des chantiers et de
sécurité des personnes soit pris en charge par les pouvoirs publics (lot
« Sûreté » ou « lot zéro »). Affaire à suivre donc.
La technologie : toujours utile
Bien sûr, il
existe des moyens techniques bien connus, pour protéger les véhicules/engins
par exemple : sabots d’immobilisation, dispositifs anti-démarrage, clé
spécifique… Mais le problème des vols sur chantier reste surtout leur
élucidation. D’où le recours à des procédés tels que les caméras de
surveillance pour faciliter les flagrants délits.
Surtout,
dorénavant, les systèmes de géolocalisation voire de marquage indélébile sont
généralisés. Jacques Chanut, président de la FFB, s’est d’ailleurs félicité
récemment de l’efficacité du déploiement de la technologie RFID
sur un chantier
de Bondy en Seine-Saint-Denis.
Ainsi, le
dispositif RFID a ses avantages : on peut le louer ou l’acheter et le coût
est surtout moins élevé que celui d’une surveillance humaine. « Un
gardien, cela revient à environ 8 000 euros par mois. A Bondy, le système
installé a coûté 6 000 euros HT ». Néanmoins, il demande des réflexes
nouveaux (« se
mettre à la place du voleur ») et donc une formation du personnel,
donc son implication. Ainsi, la technologie ne fait pas tout : l’humain,
la prise de conscience sont fondamentaux.
Le fatalisme
a la vie dure mais l’époque où pour lutter contre un mal on en était réduit à mettre
un cierge à Notre-Dame-de-la-Garde
est peut-être révolue. Dorénavant, tout est question de retour sur
investissement, de jugeote et de volonté. Un vrai changement de mentalité pour
le secteur.
Pour
information, Préventica organise cette année deux
salons sur ce sujet, l’un à Toulouse (9-11 juin) et l’autre à Lyon (13-15
octobre).
Nous suivre
sur Twitter : @Bati2030
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