Tesla Powerwall : Elon Musk cible l'énergie... et la construction (source : greenunivers.com)
Quel secteur
d’activité croit encore être à l’abri des révolutions technologiques ?
Internet est une source
permanente de disruptions tous azimuts, redéfinissant les places et rôles de
chacun : leaders historiques, consommateurs… sans oublier le régulateur.
Ces transformations, initiées ou subies, sont déjà observables dans le secteur
de la construction. La maquette
numérique bien sûr, mais aussi la domotique, où de nouveaux acteurs adossés
aux géants de l’Internet imposent
normes et manières de concevoir. Les transformations sont également dans
les usages : Internet
remet en cause la manière d’acheter et de vendre, laissant certains agents
immobiliers dans l’embarras. De même, le crowdfunding
se développe à une vitesse telle que les banques commencent à s’inquiéter
pour leur modèle d’activité.
Rentiers et
oisifs ont donc du souci à se faire. En effet, la mentalité « Silicon
Valley » n’est plus seulement observable dans le seul secteur de l’informatique.
Internet étant une nouvelle révolution mondiale, tant industrielle que
culturelle, elle impacte dorénavant des secteurs qui se croyaient protégés. La
dernière salve d’Elon Musk est là pour nous le rappeler. Au-delà de l’aspect
technique du produit, il y a toutes les retombées – positives et négatives
(selon le point de vue) – qu’il faut analyser. Et la psychologie de l’individu,
ainsi que ses divers projets, devraient en inquiéter plus d’un dans l’énergie…
et le BTP.
Loin de
faire le panégyrique de l’archétype
du Silicon Valley Boy, il faut remarquer qu’Elon Musk a les codes pour
jouer brillamment sur les perceptions. Sûr de lui et de son produit, il n’hésite
pas à s’attaquer à des secteurs capitalistiques (automobile, spatial), jugés
hors de portée du fait des nombreuses barrières à l’entrée. L’incrédulité des
acteurs des secteurs mentionnés ainsi que sa force de persuasion font le reste
pour attirer investisseurs et clients.
Chaque
projet est en lui-même une révolution packagée dans la ritournelle
« sauvez le monde » (avec les voitures électriques Tesla Motors),
« vivez vos rêves de gosse » (avec la fusée SpaceX) et plus sûrement
« sus aux rentiers » ! Imperturbable, l’entrepreneur est
également un communicant
hors pair. En mars 2006, devant
le petit monde de l’industrie spatiale, il n’hésite pas à se présenter
ainsi : « salut à tous, je m’appelle Elon Musk, je suis le fondateur
de SpaceX. Dans cinq ans, vous êtes morts ». L’humour est toujours la
moitié de ce que l’on pense… même s’il faudra un peu plus de temps pour tuer la
concurrence. Il n’en reste pas moins que les acteurs historiques – dont les
Européens – ont dû rapidement trouver des parades pour contrer cette offre
low-cost mais techniquement avancée.
Le stockage, nerf de la guerre énergétique à
venir
Les experts
nous le disent : le stockage électrique reste le graal à atteindre. Et
Elon Musk compte bien bouleverser « la totalité de l’infrastructure énergétique
dans le monde » grâce à sa batterie lithium-ion rechargeable dénommée Tesla Powerwall. Celle-ci
stockerait l’électricité fournie par des panneaux solaires ou par le réseau
électrique. De plus, elle est discrète et fixable sur le mur. Pour finir, le
prix actuel est abordable mais va sans doute baisser du fait de la construction
de Gigafactory,
l’usine géante au Nevada. De fait, Elon Musk compte bien inonder le monde avec
sa dernière trouvaille, déjà en rupture de stock jusqu’à mi-2016.
Certes,
beaucoup ont critiqué les capacités techniques de la batterie Tesla Powerwall,
certains avançant qu’elle n’est qu’un nouveau
jouet pour riches écolo, à l’image des voitures Tesla. Mais l’intérêt d’Elon
Musk n’est-il justement pas de déclencher une prise de conscience en proposant un
produit abordable quoique critiquable. Oui, la batterie n’est pas parfaite.
Comme l’iPhone
quand il est sorti en 2007. Mais l’objectif est d’amener consommateurs,
investisseurs et inventeurs à s’intéresser à la batterie Tesla Powerwall afin
de l’améliorer. Le modèle de développement – selon la méthode Silicon Valley –
est d’être le premier à sortir le produit, même imparfait, puis de capitaliser
sur les remontées d’informations tout en soignant la communication. On créé une
niche, qui croit graduellement, pour finir par être une référence du secteur,
voire la seule. Dès lors, les acteurs historiques de l’énergie mais aussi de la
construction ont du souci à se faire.
La batterie, la brique qui manque au
dispositif
Elon Musk n’est
pas le premier à fabriquer des batteries, ni d’avoir imaginé de les coupler à
des panneaux photovoltaïques… Mais sa solution est simple. Le professeur Philippe
Silberzahn le dit de manière limpide : « une fois de plus, la
vraie rupture ne réside pas dans une performance technique pure, mais dans une
combinaison de performance technique suffisante et de simplicité d’utilisation.
La batterie de Tesla, comme la Ford T avant elle, c’est mettre une technologie
existante, déjà utilisée par quelques experts, au service du plus grand nombre ».
Or, derrière
le produit, il y a une révolution des mentalités… et des business modèles. En
France, le centralisme énergétique – tant technologique que politique – a mis
au centre du jeu EDF et ses centrales nucléaires ainsi qu’un modèle
productiviste. Avec la batterie, on met en avant l’autonomie des bâtiments
disposant de sources de production énergétique (comme le photovoltaïque), que
cela soit dans les pays développés ou dans les pays en développement. La
batterie est synonyme de la fin du monde ancien. En clair, dorénavant, le
consommateur peut dire à son fournisseur : je n’ai plus besoin de vous.
Bien
évidemment, les utilities ont déjà pris conscience de cette rupture. Elles ne
se voient plus comme simple producteur d’électricité mais également – et de
plus en plus – comme fournisseur de services énergétiques. La mainmise d’EDF
sur Dalkia France a pour objectif de développer une offre de conseil en
efficacité énergétique vis-à-vis des particuliers et entreprises, c’est-à-dire
de proposer des solutions pour consommer moins, ce qui va à l’encontre du
programme électronucléaire français basé sur l’offre croissante d’électricité
bon marché. Ainsi, les utilities ont bien conscience de cette schizophrénie
ambiante… et Tesla Powerwall ne va rien arranger.
Vers la généralisation de l’autoconsommation ?
Le stockage
est une brique essentielle d’un système d’autoconsommation. Or, avec la
batterie Tesla Powerwall, ce verrou technologique et fonctionnel saute. Ainsi,
avec ses batteries, Elon Musk s’intercale entre les producteurs et les
consommateurs, en s’alliant indirectement avec les fabricants et installateurs
de panneaux photovoltaïques (en
fait, son cousin Lyndon Rive… mais chut…). Alors que 20 à 40 % ‘seulement’ de
l’électricité d’une maison individuelle pourrait être autoconsommée, les
batteries incitent un propriétaire d’un bâtiment industriel ou d’habitation à
mettre en place des sources de production énergétiques pour tendre vers
l’autonomie. En effet, comme
nous le disions il y a 18 mois, l’autoconsommation pure n’est pour
l’instant qu’un fantasme. Mais les batteries Tesla Powerwall permettent de
tendre vers cette amélioration constante du taux d’autoconsommation.
Quant à la
France, ces « disruptions » induisent indirectement la mise à jour du
cadre réglementaire relatif à l’autoconsommation, à replacer dans le cadre du débat
sur la transition énergétique et de la place – centrale – du bâtiment dans
celle-ci. Comme le rappelle Marc
Jedliczka, directeur de l’association
Hespul, « derrière la question de l’autoconsommation se cache le fait
qu’ErDF, la filiale d’EDF qui gère 95% des réseaux de distribution, est
culturellement réticente à accueillir le photovoltaïque. Certes le réseau a été
construit historiquement de manière ‘descendante’, mais il lui faut maintenant
apprendre un nouveau métier : collecter les productions décentralisées ».
Toutefois, les
choses évoluent. En effet, le groupe
de réflexion sur l’autoconsommation, mené par la DGEC, a proposé diverses
recommandations qui serviront de base au gouvernement pour définir un futur
cadre réglementaire. Tout le monde s’accorde à dire que l’industrie et le
tertiaire sont là où se trouvent les gisements de développement. Toutefois, la
batterie Tesla faisant la jonction entre le monde de l’énergie et celui de la
construction, il y a fort à parier qu’Elon Musk garde une longueur d’avance sur
le régulateur… et les acteurs historiques.
Avec sa
batterie, Tesla ne se pose pas seulement comme acteur du stockage électrique
mais également comme concepteur et gestionnaire de l’infrastructure énergétique
au niveau du bâtiment, et pourquoi pas, à terme, au niveau local
(quartier ? Ville ?). Sans doute Elon Musk pense déjà aux services
qu’il va pouvoir vendre en s’appuyant sur sa batterie, lui permettant
d’engranger des profits considérables tout en façonnant l’avenir. Comme l’a
finalement réalisé Apple
avec l’iPhone ou Nestlé avec ses capsules Nespresso, en créant leur propre
écosystème. Au détriment de qui ?
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sur Twitter : @Bati2030
Ce qui rend possible ce que certaines théorisations avaient déjà anticipé :
RépondreSupprimerRumpala Yannick, « Formes alternatives de production énergétique et reconfigurations politiques. La sociologie des énergies alternatives comme étude des potentialités de réorganisation du collectif », Flux 2/2013 (N° 92) , p. 47-61