mercredi 3 juin 2015

Toits de Paris : l’« UNESCOisation » comme priorité ?

Les toits de Paris au patrimoine mondial ?

L’actualité contemporaine est marquée par des enjeux qui transcendent les clivages religieux, politiques, sexuels ou géographiques. Sans oublier les effets du numérique, déclencheur et facilitateur de débats, mêlant souvent – et malheureusement – vacuités et outrances, quand ce même monde numérique n’est pas accusé de tous les maux.

Dans le BTP, des enjeux propres au secteur se retrouvent accaparés par différents acteurs. La question ne porte pas sur leur légitimité – après tout, qui peut interdire à quelqu’un de s’exprimer sur un sujet ? – mais sur les arguments avancés et la teneur du débat. En effet, il est sain, dans une démocratie comme la nôtre (et on ne parle pas que de politique), que des problématiques soient discutées et que chacun puisse apporter son point de vue, avec raison. La question de l’isolation thermique par l’extérieur et son impact inévitable sur le patrimoine national nous a rappelé l’importance du débat, en tout cas, que celui-ci ne soit pas à la main d’un certain nombre d’initiés œuvrant dans l’opacité.

En outre, les débats cachent des enjeux bien plus importants qu’il n’y parait, moins d’ordre économiques ou politiques que sociétaux. En clair, vers quoi voulons-nous aller ? Ainsi, dans la volonté de faire classer par l’UNESCO les toits parisiens, à l’initiative de la maire du 9ème arrondissement Delphine Bürkli, il y a bien plus qu’une bataille entre les anciens et les modernes. Il y a la question de la priorité du moment mais aussi à long terme concernant la capitale.

Ardoise et zinc au service de l’esthétique parisienne

Le patrimoine revêt une importance quasi ontologique en France, comme le rappelle la levée de boucliers de la part des architectes concernant l’isolation thermique par l’extérieur. Dès lors, pourquoi ne pas le protéger et le valoriser via une reconnaissance internationale comme peut le faire la liste de l’UNESCO. En effet, celle-ci témoigne de la valeur universelle exceptionnelle du bien en question, un prestige d’autant plus grand que les différents critères de sélection sont exigeants.

Quid des toits parisiens, que l’on retrouve dans les films, les peintures ou servant de cadre à des romans ? Les toitures mêlent ardoise et zinc, formant une continuité dans le paysage. En effet, au 19ème siècle, la bourgeoisie parisienne construisait immeubles et hôtels particuliers en utilisant des matériaux nobles comme l’ardoise (et les clous cuivrés), provenant de l’Anjou toute proche. Quant au zinc, il était une solution économe et pratique (résistance, facile à façonner et à transporter), permettant d’isoler – surtout de la pluie – les toits des immeubles moins bien cotés. Le zinc est malléable : pas seulement pour la construction mais également dans l’esprit des bâtisseurs puisqu’il a survécu à différentes époques et tendances artistiques. Ardoise et zinc fondent donc l’esthétique haussmannienne de Paris, en tout cas vue d’en haut. 

Logique touristique et valorisation du patrimoine : la carte UNESCO

Fort de ce constat, en octobre 2014, Delphine Bürkli, maire du 9ème arrondissement, propose que les toits parisiens soient classés au patrimoine mondial de l’UNESCO : l’objectif n’est pas seulement de protéger et mettre en valeur mais aussi de développer une « stratégie patrimoniale » du fait de l’intérêt touristique. Entre parenthèses, cela n’a rien de nouveau concernant Paris puisque les deux rives de la Seine sont déjà inscrites au patrimoine mondial, et ce, depuis 1991.



L’initiative prend la forme d’un comité de soutien, lancé en février 2015 et présidé par le journaliste et photographe Gilles Mermet. Il y a bien évidemment des parrains, à l’image d’Angel Sanchez, président du Syndicat des entreprises de Génie Climatique et de Couverture Plomberie. Mieux, Velux, le célèbre fabricant danois de fenêtres de toit, et VMZINC – filiale d’Umicore, groupe spécialisé dans les matériaux – sont également partenaires de la candidature, au même titre que PAM Saint-Gobain, filiale spécialisée dans les canalisations. Ainsi, le levier culturel pourrait donner un sérieux élan aux couvreurs, convaincus d’exercer un métier d’art méconnu, et un bon moyen de valoriser la profession qui peine à attirer les jeunes.

De fait, l’initiative Toits de Paris est intéressante car elle réunit des acteurs d’horizons différents mais aux intérêts bien compris : mettre en valeur Paris et pérenniser le tourisme et les emplois, quels qu’ils soient.

Valoriser le patrimoine à tout prix ?

La mise en valeur du patrimoine s’inscrit dans une stratégie de développement économique des villes. En effet, l’exploitation économique du patrimoine matériel permet également – et surtout – de valoriser un patrimoine immatériel. Le patrimoine sert alors de cadre à la mise en valeur d’une histoire, de perceptions (Paris, la ville lumière, la ville de l’amour…). Bref, le patrimoine sert à façonner l’esprit des personnes pour lesquels on le protège et on le valorise. Toutefois, on ne cible pas seulement les habitants mais aussi et surtout les touristes.

Comme le rappelle cet article, sur la base des chiffres de l’Organisation mondiale du tourisme, « le tourisme culturel progresse de 15% par an, soit trois à quatre fois plus vite que la tendance générale ». Ainsi, à Bordeaux, la fréquentation touristique a progressé de 55% ces dix dernières années, permettant à la ville d’encaisser près de 2 millions d’euros de taxe de séjour. Quant à Strasbourg, le nombre de touristes a augmenté de 9% un an après l’inscription de la Grande-Île au patrimoine mondial de l’UNESCO en 2005. Sans oublier Le Havre d’Auguste Perret, qui devient une destination privilégiée.

Reste qu’il faut s’interroger sur la plus-value économique à retirer de l’estampille UNESCO pour une ville comme Paris. En effet, classer les toits n’a rien de vital : seulement une question d’estime… ou d’égo mal placé. Voire d’intérêts cachés. Ainsi, cette inscription au patrimoine mondial aurait pour incidence – pour les propriétaires – d’engager des travaux de rénovation des toitures, donc une activité bienvenue pour certaines entreprises… et une rente de long terme. Mais pas seulement.

UNESCO = formol ?

Si l’initiative est intéressante, elle ne fait néanmoins pas l’unanimité. D’abord, au regard du peu d’actualités sur le sujet, on se demande si les initiateurs y croient eux-mêmes. Ensuite, il faut rappeler que la proposition n’est qu’un vœu, qu’une demande pour que « la maire de Paris mette en place un groupe de travail visant à définir une stratégie patrimoniale à appliquer, en vue de présenter, le cas échéant, la candidature des toits de Paris au patrimoine mondial de l’UNESCO ».

Et Anne Hidalgo n’y est pas allé par quatre chemins : « je n’ai pas envie de mettre Paris dans du formol ». Cette réponse lapidaire est à replacer dans un contexte tendu pour la maire concernant l’urbanisme parisien. Outre la guerre de tranchées concernant la Tour Triangle, elle fait face également à une opposition déterminée concernant la Samaritaine, paquebot échoué dont le projet de façade – un « habillage de verre transparent sérigraphié de points blancs et doté d’ondulations verticales » – est vivement contesté. Alors ouvrir un nouveau front, cette fois-ci concernant les toits parisiens…

Au contraire, la mairie de Paris table sur l’innovation architecturale, notamment des toitures végétalisées et/ou avec du photovoltaïque. Certes, ce sujet n’est pas nouveau, le verdissement des toits était déjà discuté en 2004 mais les études d’impact et de potentiel se multiplient. De fait, ce sont des projets qui se marient avec le patrimoine actuel mais qui en aucun cas ne feraient de Paris la ville musée souvent décriée.

Le logement est la priorité, ce qui suppose du dynamisme

De plus, la question du logement figure en tête des priorités de la nouvelle administration. Aussi, le contexte n’est pas tant à la sauvegarde des toits parisiens qu’à la surélévation des bâtiments. L’excellente étude de l’Atelier Parisien d’Urbanisme, et datée de décembre 2014, vient nous le rappeler. Ce travail de fond capte la complexité et les enjeux liés à cette question. Ainsi, en aucun cas la surélévation est une problématique nouvelle. Bien au contraire. En effet, seule la période 1960-1980 est à part dans la politique de construction à Paris où le diptyque destruction-construction était la règle. Aussi, la surélévation est « faisable » au regard des configurations urbaines intra-muros.

De fait, la possibilité de rajouter des étages supplémentaires sur près de 11 520 bâtiments (sur les 140 000 au total) représenterait 40 000 nouveaux appartements de 50 à 70 m². Toutefois, la question est autant économique (quelle est le coût de la surélévation ?) que sociale : selon l’ordonnance Duflot du 3 octobre 2013, une dérogation à certaines règles du PLU peut être obtenue pour surélever un bâtiment si cela a un objectif de mixité sociale.


Ainsi, l’initiative Toits de Paris est intéressante. Mais est-elle prioritaire au regard des tensions que connaît le marché immobilier ? De plus, Anne Hidalgo a fait du logement la pierre angulaire de la réussite de sa mandature, la surélévation des immeubles parisiens étant un des nombreux leviers. Toutefois, il ne faut pas se leurrer. Au regard des chiffres avancés, la surélévation n’est pas la martingale contre la crise du logement. Les toiturophiles peuvent donc vaquer à leurs occupations sans trop de bouleversements dans les prochains mois.

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