Les toits de Paris au patrimoine mondial ?
L’actualité
contemporaine est marquée par des enjeux qui transcendent les clivages
religieux, politiques, sexuels ou géographiques. Sans oublier les effets du
numérique, déclencheur et facilitateur de débats, mêlant souvent – et malheureusement
– vacuités et outrances, quand ce
même monde numérique n’est pas accusé de tous les maux.
En outre, les débats cachent des enjeux bien plus importants qu’il n’y parait, moins d’ordre économiques ou politiques que sociétaux. En clair, vers quoi voulons-nous aller ? Ainsi, dans la volonté de faire classer par l’UNESCO les toits parisiens, à l’initiative de la maire du 9ème arrondissement Delphine Bürkli, il y a bien plus qu’une bataille entre les anciens et les modernes. Il y a la question de la priorité du moment mais aussi à long terme concernant la capitale.
Ardoise et zinc au service de l’esthétique parisienne
Le patrimoine revêt une importance quasi ontologique en France, comme le rappelle la levée de boucliers de la part des architectes concernant l’isolation thermique par l’extérieur. Dès lors, pourquoi ne pas le protéger et le valoriser via une reconnaissance internationale comme peut le faire la liste de l’UNESCO. En effet, celle-ci témoigne de la valeur universelle exceptionnelle du bien en question, un prestige d’autant plus grand que les différents critères de sélection sont exigeants.
Quid des toits parisiens, que l’on retrouve dans les films, les peintures ou servant de cadre à des romans ? Les toitures mêlent ardoise et zinc, formant une continuité dans le paysage. En effet, au 19ème siècle, la bourgeoisie parisienne construisait immeubles et hôtels particuliers en utilisant des matériaux nobles comme l’ardoise (et les clous cuivrés), provenant de l’Anjou toute proche. Quant au zinc, il était une solution économe et pratique (résistance, facile à façonner et à transporter), permettant d’isoler – surtout de la pluie – les toits des immeubles moins bien cotés. Le zinc est malléable : pas seulement pour la construction mais également dans l’esprit des bâtisseurs puisqu’il a survécu à différentes époques et tendances artistiques. Ardoise et zinc fondent donc l’esthétique haussmannienne de Paris, en tout cas vue d’en haut.
Logique touristique et valorisation du patrimoine : la carte UNESCO
Fort de ce
constat, en octobre 2014, Delphine
Bürkli, maire du 9ème arrondissement, propose que
les toits parisiens soient classés au patrimoine mondial de l’UNESCO :
l’objectif n’est pas seulement de protéger et mettre en valeur mais aussi de
développer une « stratégie patrimoniale » du fait de l’intérêt
touristique. Entre parenthèses, cela n’a rien de nouveau concernant Paris
puisque les deux rives de la Seine sont déjà inscrites au patrimoine mondial,
et ce, depuis 1991.
L’initiative
prend la forme d’un comité de
soutien, lancé en février 2015 et présidé par le journaliste et photographe
Gilles Mermet. Il y a bien évidemment des parrains, à l’image
d’Angel Sanchez, président du Syndicat des entreprises de Génie Climatique et
de Couverture Plomberie. Mieux, Velux, le célèbre fabricant danois de fenêtres
de toit, et VMZINC – filiale d’Umicore, groupe spécialisé dans les matériaux –
sont également partenaires
de la candidature, au même titre que PAM Saint-Gobain, filiale
spécialisée dans les canalisations. Ainsi, le levier culturel pourrait donner
un sérieux élan aux couvreurs, convaincus
d’exercer un métier d’art méconnu, et un bon moyen de valoriser la
profession qui peine
à attirer les jeunes.
De fait, l’initiative
Toits de Paris est intéressante car elle réunit des acteurs d’horizons
différents mais aux intérêts bien compris : mettre en valeur Paris et
pérenniser le tourisme et les emplois, quels qu’ils soient.
Valoriser le patrimoine à tout prix ?
La mise en
valeur du patrimoine s’inscrit dans une stratégie de développement économique
des villes. En effet, l’exploitation économique du patrimoine matériel permet
également – et surtout – de valoriser un patrimoine immatériel. Le patrimoine
sert alors de cadre à la mise en valeur d’une histoire, de perceptions (Paris, la
ville lumière, la ville de l’amour…). Bref, le patrimoine sert à façonner l’esprit
des personnes pour lesquels on le protège et on le valorise. Toutefois, on ne
cible pas seulement les habitants mais aussi et surtout les touristes.
Comme le
rappelle cet article, sur la base des chiffres
de l’Organisation mondiale du tourisme, « le tourisme culturel
progresse de 15% par an, soit trois à quatre fois plus vite que la tendance
générale ». Ainsi, à Bordeaux, la fréquentation touristique a progressé de
55% ces dix dernières années, permettant à la ville d’encaisser près de 2
millions d’euros de taxe de séjour. Quant à Strasbourg, le nombre de touristes a
augmenté de 9% un an après l’inscription
de la Grande-Île au patrimoine mondial de l’UNESCO en 2005. Sans oublier Le
Havre d’Auguste Perret, qui devient une destination privilégiée.
Reste qu’il
faut s’interroger sur la plus-value économique à retirer de l’estampille UNESCO
pour une ville comme Paris. En effet, classer les toits n’a rien de vital :
seulement une question d’estime… ou d’égo mal placé. Voire d’intérêts cachés. Ainsi, cette inscription au patrimoine mondial aurait pour incidence – pour les
propriétaires – d’engager des travaux de rénovation des toitures, donc une
activité bienvenue pour certaines entreprises… et une rente de long terme. Mais
pas seulement.
UNESCO = formol ?
Si l’initiative
est intéressante, elle ne fait néanmoins pas l’unanimité. D’abord, au regard du
peu d’actualités
sur le sujet, on se demande si les initiateurs y croient eux-mêmes. Ensuite,
il faut rappeler que la
proposition n’est qu’un vœu, qu’une demande pour que « la maire de
Paris mette en place un groupe de travail visant à définir une stratégie
patrimoniale à appliquer, en vue de présenter, le cas échéant, la candidature
des toits de Paris au patrimoine mondial de l’UNESCO ».
Et Anne Hidalgo
n’y est pas allé par quatre chemins : « je n’ai pas envie de
mettre Paris dans du formol ». Cette réponse lapidaire est à replacer dans
un contexte tendu pour la maire concernant l’urbanisme parisien. Outre la guerre
de tranchées concernant la Tour Triangle, elle fait face également à une opposition
déterminée concernant la Samaritaine, paquebot échoué dont le projet de
façade – un « habillage de verre transparent sérigraphié de points blancs
et doté d’ondulations verticales » – est vivement contesté. Alors ouvrir
un nouveau front, cette fois-ci concernant les toits parisiens…
Au
contraire, la mairie
de Paris table sur l’innovation architecturale, notamment des toitures végétalisées
et/ou avec du photovoltaïque. Certes, ce sujet n’est pas nouveau, le verdissement des
toits était déjà discuté en 2004 mais les études
d’impact et de potentiel se multiplient. De fait, ce sont des projets qui
se marient avec le patrimoine actuel mais qui en aucun cas ne feraient de Paris
la ville musée souvent décriée.
Le logement est la priorité, ce qui suppose
du dynamisme
De plus, la
question du logement figure en tête des priorités de la nouvelle administration.
Aussi, le contexte n’est pas tant à la sauvegarde des toits parisiens qu’à la surélévation
des bâtiments. L’excellente étude de l’Atelier Parisien d’Urbanisme, et
datée de décembre 2014, vient nous le rappeler. Ce travail de fond capte la
complexité et les enjeux liés à cette question. Ainsi, en aucun cas la
surélévation est une problématique nouvelle. Bien au contraire. En effet, seule
la période 1960-1980 est à part dans la politique de construction à Paris où le
diptyque destruction-construction était la règle. Aussi, la surélévation est
« faisable » au regard des configurations urbaines intra-muros.
De fait, la
possibilité de rajouter
des étages supplémentaires sur près de 11 520 bâtiments (sur les 140 000 au
total) représenterait 40 000 nouveaux appartements de 50 à 70 m². Toutefois, la
question est autant économique (quelle est le coût de la surélévation ?) que
sociale : selon l’ordonnance Duflot du 3 octobre 2013, une dérogation à
certaines règles du PLU peut être obtenue pour surélever un bâtiment si cela a un
objectif de mixité sociale.
Ainsi, l’initiative
Toits de Paris est intéressante. Mais est-elle prioritaire au regard des
tensions que connaît le marché immobilier ? De plus, Anne Hidalgo a fait
du logement la pierre angulaire de la réussite de sa mandature, la surélévation
des immeubles parisiens étant un des nombreux leviers. Toutefois, il ne faut pas
se leurrer. Au regard des chiffres avancés, la surélévation n’est pas la
martingale contre la crise du logement. Les toiturophiles
peuvent donc vaquer à leurs occupations sans trop de bouleversements dans les
prochains mois.
Nous suivre
sur Twitter : @Bat2030
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
N'hésitez pas à poster vos commentaires et avis !