jeudi 17 octobre 2013

La (mauvaise) influence du lobbying dans le BTP

L'Assemblée nationale, où les lobbies bataillent pour l'avenir réglementaire du BTP (crédit : UNEF)
Un de plus ! Les syndicats professionnels du BTP comptent une nouvelle organisation : le Syndicat National des Bardages et Vêtures Isolés, prononcez S.N.B.V.I. Créé en juin 2013, il rassemble des anciens de l'amiante comme Eternit et James Hardie, d'autres fabricants de laines minérales comme Rockwool, ainsi que divers spécialistes de la façade pour faire la promotion des "façades intelligentes". Au delà de l'aspect alambiqué du concept, cette annonce pose la question de l'importance grandissante et récurrente des groupes d'influence dans le secteur du BTP.

Un lobby est un groupe de pression qui cherche à convaincre et persuader le législateur de suivre ses intérêts. Loin d'être une pratique nouvelle, Colbert combattait dès le XVIIème siècle les corporatismes, c'est-à-dire l'établissement de groupement d'intérêts et de pression des chambres de marchands, accusés de chercher à faire triompher leurs intérêts propres au détriment de ceux de la Nation. Et avec le développement conjoint du libéralisme économique et de la démocratie, la pratique s'est institutionnalisée au point de devenir incontournable, y compris dans le secteur du BTP, où les normes et réglementations omniprésentes entraînent une bataille juridique et législative permanente.

Des organisations qui savent se rendre indispensables

Mais si le lobbying conserve une image sulfureuse, il est aujourd'hui de plus en plus encadré. Finis les cadeaux, petites combines et dessous de table, l'ère est semble-t-il à la transparence et à la compliance. La profession s'est par exemple dotée d'une charte éthique et l'Assemblée nationale, principal champs de bataille de la guerre des lobbies, publie également un Code de conduite, empêchant aussi bien les élus de se laisser aller que les lobbyistes de faire n'importe quoi.

Dans un monde juridique où les lois et réglementations sont de plus en plus complexes, la défense d'intérêts corporatistes semblent légitime. En effet, une loi mal préparée peut condamner une profession, à l'instar des fabricants d'isolants d'ouate de cellulose, comme une autre peut au contraire la favoriser démesurément. Les parlementaires et législateurs ont donc besoin de se renseigner et de s'informer complètement sur les enjeux d'un problème. Les lobbyistes interviennent alors pour présenter les choses sous leur meilleur jour. Cependant, cela ne confine pas forcément au mensonge et à la manipulation : il est souvent plus efficace d'apporter des arguments étayés par des informations précises. Pour défendre le monde du bâtiment par rapport aux auto-entrepreneurs, les fédérations professionnelles comme la FFB ou la CAPEB produisent études et autres rapports pour montrer l'impact de telles ou telles réformes sur le secteur.

Ainsi, les syndicats professionnels (FFB, CAPEB, SNBVI, etc.) se sont multipliés, pour offrir une unité et une représentation identifiable à même de négocier avec les pouvoirs publics, mais aussi de défendre leurs intérêt auprès du législateur. Mais dans le secteur du BTP, ils sont loin d'être les seuls. Les associations de consommateurs, la plupart des grandes entreprises, les cabinets de conseil... fonctionnent de la même manière. En résumé, le lobbying est la capacité à apporter l'information la plus pertinente au législateur, de manière à faire triompher ses intérêts. Et les intérêts des industriels peuvent parfois coïncider avec l'intérêt général, notamment lorsque des produits performants en matière d'économie d'énergie deviennent une norme reconnue. Incontournable aujourd'hui, les entreprises ne peuvent ignorer, pour leur viabilité, l'importance du lobbying qui est devenu un contributeur important de l'effort législatif.

Et parfois carrément néfastes !

Mais lorsque l'intérêt particulier prend le pas sur l'intérêt général, le lobbying commence à produire ses effets néfastes. Rappelez-vous du cynisme des personnages de Thank You for Smoking, dont le crédo se résume à trois lettres : M.O.D., Merchants of Death.



Pendant plusieurs décennies, le lobby de l'amiante a maintenu à bout de bras la commercialisation de ces produits en France, à grand renfort de pseudos enquêtes scientifiques et économiques. Mais souvent, les effets pervers du lobbying peuvent prendre d'autres formes plus subtiles. Prenons l'exemple (totalement fictif - ironie) d'un industriel fabriquant de solutions d'isolation, relativement onéreuses, permettant de réaliser d'importantes économies d'énergie. Dans le contexte d'une réglementation thermique plus contraignante, issue d'un événement aussi médiatisé et symbolique que le Grenelle de l'Environnement, il a toute légitimité pour inciter le législateur à augmenter les seuils de performance. De cette manière, il élimine à moindre frais (quelques dîners et une visite d'usines) les produits concurrents incapables de fournir de telles performances, ce qui paraît, aux yeux de l'enjeu environnemental, plutôt souhaitable.

Mais les conséquences sont bien plus graves qu'il n'y paraît au premier abord, car ici, le produit performant est souvent beaucoup plus cher. Les prix des maisons individuelles, des habitations collectives ou encore des travaux de rénovation énergétique connaissent alors une hausse importante. Et que dire de l'inflation réglementaire qui paralyse des milliers de chantiers et décourage les investisseurs alors que le secteur souffre tant de la crise économique ! Bref, où est passé le choc de simplification ?

Enfin, si les députés se savent aujourd'hui très surveillés, et à raison lorsque l'on visionne l'éloquente séquence d'Elise Lucet dans Cash Investigation, quant est-il des obscurs fonctionnaires chargés de produire les nouvelles réglementations ? Ici, les moyens de contrôle manquent et le lobbying dans ses pires dérives contribuent sûrement à faire reculer la France au classement des pays les moins corrompus, à la 22ème place derrière le Royaume-Uni ou le Luxembourg ! Incontournable, le lobbying est aujourd'hui au cœur des stratégies des entreprises du BTP. Mais son encadrement et le sens de l'intérêt général suffisent-ils à limiter ses effets néfastes ? Il faut croire que non...

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[ajout du 1/12/14] A lire également "Les casseroles du BTP"

2 commentaires:

  1. Bonjour,

    Vous pourriez peut-être préciser que si l'on intervient sous forme de syndicats ou associations professionnelles c'est parce que, en France, l'action collective est reconnue voire même demandée par les pouvoirs publics, alors que la défense d'intérêts privés est mal perçue.

    C'est très différent de la place du lobbying aux Etats-Unis, dans les pays anglo-saxons et scandinaves : là-bas, les lobbyistes (ou "représentants d'intérêts" ) sont connus, on sait pour qui ils travaillent et combien - et par qui - ils sont rémunérés (déclaration et répertoire obligatoires). Ces pratiques se développent d'ailleurs dans les instances européennes.

    Le fondement du lobbying et les pratiques des lobbyistes doivent respecter une règle de mon point de vue très simple : faciliter la prise de décision (d'un politique, une administration, un normalisateur, un chef d'entreprise...) en apportant des informations fiables ET vérifiables.

    A votre disposition pour échanger sur ce métier passionnant qui est le mien.

    Cordialement,

    Gaëtan Fouilhoux
    Public Affairs Officer
    ROCKWOOL France

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  2. Merci Nico pour le lien mais c’est quand même vieux. Y’a quà regarder les dernieres actu sur le lobbying à Bruxelles et le débauchage d’anciens députés européens par les multinationales comme Rockwool. Pour moi c’est pire que du mélange des genres. D’ailleurs il y a une pétition qui existe pour condamner ces pratiques https://www.change.org/p/members-of-the-european-parliament-act-for-regulation-and-transparency-of-lobbying-in-europe-democracy-is-at-stake
    Marre de ces multinationales qui font la loi !

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