Les actions de groupe sont enfin reconnues dans le droit français (source : radioscoop.com)
Chirac (en 2005 et en 2007) et Sarkozy (en 2012) avaient
demandé à leur gouvernement de la créer. Sans succès. Véritable
Arlésienne législative en France, le recours collectif – aussi appelé action
de groupe ou class action – a
finalement été voté par le parlement en février 2014, sous l’impulsion de
Benoît Hamon, alors ministre de la Consommation.
Pour l’instant, l’action de groupe reste très encadrée :
ne porte que sur le droit à la consommation et à la concurrence, rôle central
du juge mais surtout de l’association de consommateurs. Pas de dévoiement donc,
pour le moment. Mais l’avenir peut nous réserver des surprises.
L’action de groupe à
la française
Introduite dans le droit français en février 2014,
applicable depuis le 1er octobre, l’action de groupe vise à rééquilibrer
les relations entre les consommateurs et les entreprises, en donnant aux
premiers plus de pouvoir en cas de litiges avec les seconds.
Au-delà de l’âpre
bataille entre les différents intérêts catégoriels, l’action de groupe à la
française a ceci d’intéressant qu’elle est avant
tout préventive. De plus, il s’agit de réparer une pratique contestable.
Ainsi, l’action est engagée si les faits délictueux sont avérés. L’action n’a donc
pas pour objectif de lancer une enquête comme cela est si souvent le cas aux
Etats-Unis (ces fameux avocats qui « chassent » le plaignant pour
ensuite attaquer une entreprise).
Ainsi, tout en évitant les abus et les effets pervers de la class action américaine, l’action de
groupe à la française vise à muscler les outils juridiques à disposition des
consommateurs et qui étaient jusque-là limités. En effet, comme le rappelle Sandrine
Perrois, juriste chez CLCV (Consommation Logement Cadre de vie) en
2012 : « aujourd’hui, chacun doit
agir individuellement et cela freine certains consommateurs. Quand une
association se porte partie civile et agit en leur nom, il n’y a pas de
réparation des préjudices à titre individuel ». Par exemple, des cas d’entente
sur les prix entre entreprises sont avérés et condamnés mais le consommateur, in fine, n’a pas vu son préjudice
réparé.
De fait, le
législateur prévoit des garde-fous comme le fait que seules les
associations de consommateurs agréées puissent recueillir les requêtes des
consommateurs, afin d’éviter les plaintes infondées. Par ce bais, les
plaignants n’ont pas à payer de frais d’avocat, quel que soit le préjudice. Autre
filtre : la présence du juge permettant la sérénité des débats et éviter
les dérives. En effet, l’action de groupe en France est là pour réparer
le préjudice subi et non pas déborder sur des dommages et intérêts punitifs,
comme aux États-Unis.
Aussi, au regard des commentaires de spécialistes du droit,
il semblerait que l’action de groupe à la française soit une œuvre d’un grand
pragmatisme, permettant aux consommateurs de faire valoir leur droit, d’éviter
toute action abusive pouvant impacter négativement l’activité ou la réputation
d’une entreprise, tout en respectant le cadre judiciaire national (et la place
du juge).
Une petite révolution pour un pays et une autorité (la Justice)
qui ont bien du mal à prendre en compte les changements d’époque. En effet, historiquement,
« le droit de la consommation en
France repose sur le postulat arriéré que le respect du droit des consommateurs
est le lot exclusif d’une part de l’Administration de l’Etat, en particulier de
la Direction Générale de la Répression des Fraudes et d’autre part des
associations de consommateurs ». Seul bémol : l’action de groupe ne
concerne actuellement que le code du commerce et de la concurrence, pour tout
ce qui implique un préjudice
matériel. Il s’agit donc souvent de litiges dont le montant est trop faible
pour qu’une action individuelle soit entreprise devant la justice. Pour le
moment…
Le rôle central des
associations de consommateurs
Comme le rappelle Alain
Bazot, président de l’UFC-Que choisir, l’action de groupe est la
mesure phare de la loi Hamon sur la consommation, permettant de rétablir
les consommateurs dans leurs droit tout en ayant un effet dissuasif envers les
entreprises peu scrupuleuses. Toutefois, le champ d’application des class actions se borne aux litiges
du quotidien (prélèvements indus, clauses abusives des contrats...). De
fait, tout ce qui touche au droit de la santé ou à l’environnement est exclu.
Une bonne chose ? Chacun se fera son opinion.
Le fonctionnement d’une action de groupe se déroule de la
manière suivante :
La loi donne une liste
de 15 associations agréées à recevoir les témoignages de consommateurs
victimes de professionnels peu scrupuleux : CNAFAL, CNAFC, CSF, Familles
de France, Familles rurales, UNAF, Adeic, AFOC, Indecosa-CGT, ALLDC, UFC-Que
choisir, CLCV, CGL, CNL, Fnaut.
Celles-ci centralisent les plaintes et étudient alors l’opportunité
de saisir le tribunal de grande instance, si un grand nombre de cas identiques
se présente. Dans un cas favorable, une action est déclenchée et un juge est
alors saisi. Celui-ci doit « répondre
à trois questions précises : existe-t-il un groupe identifié avec une
similarité de situation ? Y-a-t-il une violation du droit ? Quel est le montant
de l’indemnité que devra verser le professionnel attaqué ? » Ce que l’on
appelle un jugement de responsabilité. Là encore, si le préjudice est avéré, l’entreprise
peut négocier pour trouver un arrangement – obligatoirement rendu public – avec
l’association de consommateurs, en versant directement une indemnité.
L’action de groupe permet également aux « consommateurs
dormants » de se joindre à l’action après que la responsabilité de l’entreprise
ait été avérée : ils ont deux à six mois pour se faire connaître et peuvent,
eux aussi, obtenir une indemnisation. Seulement après cette étape le tribunal peut statuer sur les demandes d’indemnisation.
L’immobilier,
actuellement plus gros pourvoyeur de litiges
Depuis sa mise en œuvre effective le 1er octobre
2014, il faut avouer que l’action de groupe connaît un certain succès :
quatre sont en cours ! En effet, comme le dit Alain Bazot d’UFC-Que
Choisir, « entre internet, la
téléphonie, les banques ou encore les assurances, les secteurs pourvoyeurs de
litiges ne manquent pas ». Et pourtant, l’immobilier remporte la palme
avec trois class actions*.
- 1er octobre : UFC-Que choisir attaque le groupe Foncia devant le tribunal de grande instance de Nanterre pour qu’il indemnise 318 000 locataires, qui auraient payé indûment des frais d’expédition de quittance. Préjudice estimé : 44 millions d’euros sur cinq ans.
L’action de groupe a de bonnes chances d’aboutir car en
décembre 2013, le TGI de Paris a condamné Foncia pour cette même pratique.
Selon le tribunal, il est en effet illicite de percevoir auprès d’un locataire
des frais d’expédition de quittance – appelés service d’avis d’échéance –
facturés 2,30 euros.
- 12 octobre : l’association de locataires SLC-CSF (Syndicat du Logement et de la Consommation – Confédération Syndicale des Familles) attaque le bailleur social Paris Habitat OPH, devant le tribunal de grande instance de Paris, pour obtenir le remboursement de dépenses de télésurveillance des ascenseurs, au profit de près de 100 000 locataires. Préjudice estimé : 3 millions d’euros sur les trois dernières années.
Comme le rappelle SLC-CSF, malgré la jurisprudence de la
Cour de Cassation du 30 juin 2010, Paris Habitat n’a pas cessé ses pratiques, à
la différence d’autres bailleurs.
- 3 novembre : la Confédération Nationale du Logement (CNL) lance une action de groupe contre le bailleur social Immobilière 3F. Selon l’association de consommateurs, les contrats de location contiennent une clause abusive prévoyant une pénalité de 2% à la charge du locataire en retard de tout ou partie du paiement du loyer, des charges et éventuellement du supplément de loyer de solidarité. Préjudice estimé : inconnu.
Le bailleur, qui dispose de 190 000 logements sociaux,
fait toutefois valoir que cette pénalité, qui « a toujours existé » dans ses contrats de bail, a disparu
depuis le mois de mai car la
loi Alur l’a rendue illégale. En outre, selon Immobilière 3F, ces 2 % n’étaient
« pas réellement appliqués lorsque
le locataire était de bonne foi. Quand ils l’étaient, c’était un maximum, qui se voulait dissuasif ».
Pour finir, seul 20 % des locataires ont des retards de loyer. Néanmoins, la
CNL rappelle que ce type de clauses, qu’elle a dénoncé
depuis longtemps, a déjà été jugé abusif à de nombreuses reprises,
notamment par la Commission des clauses abusives.
Certes, la nouveauté oblige à en prendre la mesure et le
process « action de groupe » s’améliorera avec le temps. Néanmoins, celle-ci
est une bonne chose : pour son aspect financier (indemniser l’ensemble
des victimes concernées) mais surtout pour son pouvoir dissuasif. Elle donne un
signal aux grands groupes : l’impunité est terminée.
En outre, le juge et les associations de consommateurs comme garde-fous permettent d’éviter leur utilisation abusive mais aussi de renforcer le droit – la Justice – comme pouvoir de régulation. Ainsi, il y a un renforcement du pouvoir des consommateurs : même si celui-ci est indirect, il est bien réel.
En outre, le juge et les associations de consommateurs comme garde-fous permettent d’éviter leur utilisation abusive mais aussi de renforcer le droit – la Justice – comme pouvoir de régulation. Ainsi, il y a un renforcement du pouvoir des consommateurs : même si celui-ci est indirect, il est bien réel.
Toutefois, quelques bémols, plutôt d’ordre organisationnel
et principalement concernant les acteurs prépondérants de ce système : les
associations de consommateurs. Certes, l’action de classe « officialise »
une nouvelle fois ces dernières, dont certaines sont reconnues d’utilité
publique. Mais elle les oblige aussi à muscler leurs services (lancer les
procédures, recenser les victimes, liquider les créances…) et compétences. Or,
il faut bien financer tout ça...
Mais faisons le pari que l’action de groupe a de beaux jours
devant elle et qu’elle sera élargi à des domaines beaucoup plus polémique comme
la santé (le
procès amiante est pour bientôt). La difficulté portera sur l’identification
du préjudice et le calcul des indemnités. A ce moment-là, peut-être
que la class action mettra en péril
le devenir de l’entreprise ciblée. Mais ne l’avait-elle pas cherché ?
Nous suivre sur Twitter : @Bati2030
* La quatrième
class action concerne la finance.
Ainsi, le 28 octobre, la CLCV lance une action de groupe devant le tribunal de
Nanterre contre Axa et l’association d’épargnants AGIPI, pour ne pas avoir
respecté une garantie de taux d’intérêt sur un contrat d’assurance-vie.
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