jeudi 10 avril 2014

Bilan : l'erreur fondamentale de Cécile Duflot

Passation de pouvoir entre Cécile Duflot et Sylvia Pinel le 2 avril 2014 (crédit : François Guillot/AFP)
"Pendant presque deux ans, j'ai mis toute mon énergie à m'attaquer aux racines de la crise du logement, qui touche encore des millions de personnes, et c'est insupportable". C'est par ces mots que Cécile Duflot a résumé son action politique au sein du gouvernement, au moment de quitter le Ministère du Logement et de l'Egalité des Territoires le 2 avril dernier. Et si personne ne doute de son investissement, rares sont toutefois les commentateurs et observateurs qui estiment les objectifs remplis. A commencer par le chiffre "insensé" de 500 000 logements, qui résonne d'ailleurs comme le symbole de l'échec du politique pour résoudre la crise du secteur. Pour autant, dans un contexte difficile, Cécile Duflot disposait-elle réellement des moyens pour remplir les objectifs fixés conjointement par l'Elysée et Matignon ? Pour Cécile Duflot, c'est l'heure du bilan.

Il y a une chose sur laquelle s'accordent les commentateurs de la vie politique et les acteurs du secteur de la construction, c'est que durant son mandat, Cécile Duflot "n'aura pas chômé". En un peu moins de deux ans, elle a ainsi fait preuve d'une intense activité législative. Pas moins de deux lois d'ampleur adoptées par le Parlement et sept ordonnances : mobilisation du foncier public, loi pour l'accès au logement et un urbanisme rénové (ALUR), Garantie Universelle des Loyers (GUL), abrogation de la loi sur la majoration des droits à construire, dispositif "Duflot" en remplacement du dispositif "Scellier", transfert des compétences d'urbanisme aux intercommunalités (PLUi)... sans oublier la fameuse loi d'habilitation permettant de légiférer par ordonnances. A cela, il faut également ajouter deux plans majeurs, destinés à relancer le secteur de la construction et de la rénovation énergétique : le Plan d'Investissement du Logement (PIL) et "Objectifs 500 000", dont le but est de rassembler tous les acteurs du marché afin de doper la construction de logements en France.

De l'aveu de l'intéressée elle-même, son contrat à la tête du Ministère du Logement et de l'Egalité des Territoires a été rempli : "[j'ai mené] une politique fidèle à chaque instant aux engagements de la majorité de gauche. J'ai souhaité réguler le marché et protéger les Français de la violence de la crise". Ce que reconnaissent, bon gré mal gré, les acteurs du secteur comme Didier Ridoret, le président de la FFB, pour qui certaines mesures de loi "étaient positives", ou encore Patrick Liébus, le président de la CAPEB, qui lui accorde une "volonté de bien faire". D'autres sont bien plus positifs, à l'image de François Payelle, le président de la Fédération des Promoteurs Immobiliers, qui considère que "Cécile Duflot a permis d’avancer sur de vrais sujets : sa volonté de mobilisation du foncier public [...] ; le dispositif d’investissement locatif « Duflot », qui est pertinent dans sa conception [...] ; les ordonnances sur les recours et sur le logement intermédiaire [...] ; la volonté de s’attaquer à l’inflation des coûts de construction due aux nouvelles normes et la mise en place d’une nouvelle gouvernance, notamment via des études d’impact pour toute nouvelle réglementation". Jean-Louis Dumont, président de l'Union Sociale pour l'Habitat (USH), va plus loin : "Le monde HLM regrettera Cécile Duflot".

"De la volonté, mais peu de résultats"

Las, en politique, la volonté de suffit pas toujours et les critiques sont en réalité plus nombreuses que les louanges. Si les professionnels déplorent une ministre "pétrie de certitudes, quitte à ne pas écouter ses interlocuteurs" ou encore "dure en affaires", ils regrettent également certaines décisions prises par le ministère : la GUL et l'encadrement des loyers, "véritables usines à gaz", la lenteur des concertations sur le plan "Objectifs 500 000" malgré l'urgence de la situation, le manque d'appétence pour faciliter l'accession à la propriété, etc. Pour Alain Dinin, président de Nexity, il faut plutôt juger sur le résultat : "Tenons nous en aux faits, nous produisions près de 350 000 logements en France lorsqu’elle [Cécile Duflot] est arrivée. En 2014, les chiffres ne dépasseront probablement pas 250 000, alors que l’objectif de 500 000 est martelé au plus haut niveau de l’Etat". Au final, les professionnels du secteur lui reprochent surtout d'avoir réalisé un mandat très politique, en faisant avancer des sujets lui tenant à coeur, comme la rénovation énergétique des logements anciens ou le développement du Grand Paris Express, et en proposant des mesures démagogiques et inefficaces, comme la GUL, le dispositif "Duflot" ou encore la réquisition des bureaux vacants. Quelque part, la manière dont Cécile Duflot a quitté le gouvernement révèle bien quel grand cas elle fait de la question du logement en France : elle passe bien après les ambitions d'EELV...

Alors certes, si les résultats peinent à se faire sentir, c'est que "je [Cécile Duflot] privilégie une relance qualitative du logement, certes plus longue à produire ses effets, mais moins coûteuse pour les finances publiques et plus efficace sur le long terme." s'exclame l'ex-ministre dans une interview au Moniteur. Et effectivement, il est encore trop tôt pour mesurer les effets de la loi ALUR. De plus, l'impact de la crise économique de 2008 sur les secteurs de la construction et de l'immobilier a eu des conséquences désastreuses sur le secteur, et l'action politique peut être démunie face à une conjoncture aussi défavorable. Cécile Duflot a aussi subi les rapports de force intrinsèque au gouvernement. Selon Patrick Liébus, les divergences de vues entre Cécile Duflot et Delphine Batho, alors ministre de l'Ecologie, ont considérablement ralenti les dossiers sur la rénovation énergétique. De même, ses mésententes avec l'ex-ministre de l'Intérieur Emmanuel Valls ont contribué à ralentir son action politique. Et quid de l'incompétence de certains membres de son cabinet ou du gouvernement, dont les erreurs ont entraîné le retoquage de sa loi par le Conseil constitutionnel ? Non, vraiment, Cécile Duflot n'a pas été aidée.

L'erreur fondamentale de Cécile Duflot

En réalité, ministre de bonne volonté, Cécile Duflot est passée à côté de son sujet. En effet, le paradigme du logement en France est le suivant : il y a une pénurie considérable de logements, due à une demande en forte hausse d'une part, et l'incapacité de l'offre à répondre à cette demande. Pour rappel, entre 2004 et 2008, au plus fort de la production de logements (avec plus de 400 000 unités construites par an), deux tiers des entreprises considéraient qu'elles ne pouvaient produire plus, et 90% d'entre elles déclaraient avoir des problèmes pour recruter du fait du manque de main-d'oeuvre qualifiée. Les conséquences de la crise économique n'ont fait qu'accentuer la faiblesse de l'offre : les défaillances d'entreprises se sont multipliées et les entreprises n'ont pu augmenter leur capacité de production car elles ont cessé de recruter. De l'autre côté, le Ministère du Logement et de l'Egalité des Territoires a surtout agit de manière contradictoire sur la demande, en mettant en place des dispositifs d'aide (comme les PTZ+) tout en renforçant les contraintes normatives (dont la RT 2012). L'augmentation des prix du foncier (tension immobilière dans certains endroits) et des coûts du bâti certifié conforme à la RT 2012 a provoqué un effondrement de la demande en disqualifiant d'office les ménages les moins solvables. La conjoncture et surtout la mauvaise orientation des mesures du gouvernement sont à l'origine de son échec majeur à résoudre la crise du logement.

L'erreur fondamentale de Cécile Duflot est ainsi d'avoir orienté l'action de son ministère sur la demande plutôt que l'offre. Elle n'a pas apporté aux professionnels les réponses souhaitées en matière de lutte contre la concurrence déloyale venant de l'étranger ou des autoentrepreneurs. Sur le plan du moyen et du long termes, elle n'a pas permis de fournir une main-d'oeuvre qualifiée plus importante, surtout face aux attentes des professionnels confrontés aux nouvelles techniques de construction. Quel intérêt des contrats de génération quand les entreprises ont surtout besoin d'apprentis (et les apprentis d'entreprises en bonne santé pour pouvoir les accueillir !), un système qui fonctionne bien ? En ce sens, malgré sa sincérité et ses efforts, Cécile Duflot ne s'est pas distinguée des hommes/femmes politiques lambda, adeptes des mesurettes démagogiques, médiatiques et technocratiques, qui résolvent quelques problèmes à court terme, mais en créer de nouveaux à moyen et à long terme. Beaucoup de social, beaucoup d'écologie, mais peu d'économie, alors qu'un vrai plan ambitieux de relance du logement aurait dû passer par le soutien de l'offre. Sylvia Pinel, qui sera aussi confrontée à cette barre des 500 000 logements fera-t-elle mieux ? Tout dépendra de l'orientation choisie par son ministère.

Nous suivre sur Twitter : @Bati2030.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

N'hésitez pas à poster vos commentaires et avis !