mercredi 15 octobre 2014

La voiture et la ville : je t’aime – moi non plus ?

Transport multimodal Voiture / Bus / Vélo – Crédit : ville de Münster – Allemagne
(source : http://tout-metz.com/)

Métro et tramway, depuis la fin des années 1970, vélib’ et autolib’ dans les années 2000… Depuis une quarantaine d’années maintenant, l’offre globale de transport se diversifie fortement dans les villes. Si, au départ, cette politique volontariste impulsée par l’Etat vise à désengorger les hypercentres et fluidifier la circulation, elle s’est peu à peu transformée en lutte pure et simple contre la présence de voitures dans les villes. Moins de pollution, d’accidents, de bouchons… A première vue, cela peut sembler bénéfique à tous les niveaux. Cependant, la problématique est beaucoup plus compliquée qu’il n’y parait, car la voiture participe également au dynamisme économique des villes, d’autant plus depuis l’apparition des zones commerciales en périphérie. Retour sur l’imbrication complexe entre confort de vie, mobilité, économie et urbanisme.

La voiture, un moyen de circulation pointé du doigt en ville

« Les véhicules mécaniques sont devenus à la fois une gêne pour la circulation et loccasion de dangers permanents. Ils ont, de plus, introduit dans la vie citadine de nombreux facteurs nuisibles à la santé ». Dès 1933, le célèbre architecte Le Corbusier pointe du doigt les nuisances de la voiture en milieu urbain. Si son usage ne va pas décroitre au fil des ans, les critiques vont, quant à elles, se faire de plus en plus nombreuses à lencontre de ce qui reste le moyen de transport préféré des Français pour les courts trajets.

Pollution atmosphérique, sonore, kilomètres de bouchons, stress... Les critiques à légard des voitures en ville sont nombreuses. En plus de ces gênes physiques, les bouchons représentent un coût économique non négligeable, à en croire une étude réalisée par Inrix, un cabinet dinfo trafic. Selon cette étude, les embouteillages auraient coûté la bagatelle de 17 milliards d’euros à la France en 2013 ! Ce chiffre correspond à la somme des heures de travail perdues, du prix du carburant gaspillé et aux hausses de prix consécutives à la hausse des coûts de transport pour les entreprises.

Dans un tel contexte, il apparait logique de vouloir fluidifier le trafic. Pour cela deux méthodes non exclusives existent : multiplier les offres alternatives et/ou décourager les automobilistes de prendre leur véhicule.

Elargir loffre : diminuer le nombre de voitures sans diminuer la mobilité ?

Comme évoqué en introduction, les années 1970 et 1980 ont vu lémergence dans les grandes villes de nouveaux moyens de transports : le métro et le tramway. Linstallation dun métro est chère mais présente le double avantage de ne pas perturber la circulation en ville et dêtre rapide : depuis quarante ans, Lyon, Marseille, Lille, Toulouse et Rennes se sont dotées dun tel réseau, transportant entre 113 000 et 740 000 passagers par jour.

Quant aux tramways, ils sont moins chers et donc plus accessibles aux villes de tailles moyennes. Ils ont cependant le défaut de se substituer (la plupart du temps) à des voies de circulation, et ont donc un potentiel de désengorgement plus faible. Il sagit là dune critique récurrente concernant le tram de Bordeaux, qui a été préféré au métro après un feuilleton de plusieurs années. Depuis 1985, année dinauguration du premier tramway depuis 1909, 25 villes ont été conquises par ce moyen de transport. Désormais les entreprises du secteur, notamment Alstom, tentent détoffer leur offre et se tournent vers les petites communes grâce à un mini-tram. Dici 2020, lentreprise espère séduire une quinzaine de villes de 100 000 habitants. A lheure actuelle, Aubagne est la seule ville équipée de ce « tram-compact », tram dont elle gère seule le coût en optant pour la gratuité totale du service.

Enfin, les nouveaux arrivants dans le paysage des transports : les vélos et voitures en libre-service. Du fait de leur effectif encore peu élevé, les voitures nont pas encore dimpact significatif sur le trafic routier, mais leur apparition dans le paysage urbain permet à un nombre toujours croissant dutilisateurs de saccoutumer aux voitures électriques. Pour leur part, les vélos remplacent les trajets courts et, à plus long terme, permettent de prolonger lesprit dune « génération sans permis » qui ne voit plus lintérêt dapprendre à conduire. Il convient cependant de préciser que vélos et voitures en libre-service se trouvent principalement dans les grandes villes, soit celles ayant le moins à craindre de la diminution du nombre dautomobilistes.

Décourager les automobilistes en ville pour fluidifier le trafic

Comme le souligne le journaliste Franck Gintrand, les grandes agglomérations ont voulu limiter laccès de la voiture non « pour y rendre la vie des piétons plus agréable et lair moins pollué, mais pour éviter l’asphyxie de la circulation automobile ». Le problème étant que cette volonté de fluidifier le réseau sest parfois transformée en une volonté de bannir autant que possible les voitures, à limage de collectifs tels que vélorution ou Carfree.

Afin de décourager lusage de la voiture en ville, plusieurs solutions plus ou moins punitives ont été élaborées, en France mais aussi chez nos voisins européens, preuve que ce phénomène dépasse le cadre national. La première initiative denvergure est originaire de Grèce, où Athènes a instauré une circulation alternée dès 1982, afin de lutter contre la pollution principalement. Peu efficace au final car contourné par bon nombre de citoyens, le système a permis douvrir la voie et se montre utile de façon ponctuelle (lors du dernier pic de pollution à Paris par exemple).

Lautre moyen pour diminuer la circulation est de jouer sur la corde la plus sensible : le portefeuille des usagers. Originaire de Singapour, le péage urbain a fait des émules en Europe où plusieurs villes lont adopté : parmi celles-ci, des villes modestes (Bergen, 180 000 habitants) mais aussi des grandes métropoles comme Stockholm ou Londres. Mis en place en 2003 dans la capitale britannique, le péage urbain a permis de réduire de 18% le nombre de voitures et de camions dans la zone et les embouteillages de 28%. De plus, les recettes induites, dun montant de 85 millions deuros en moyenne, servent intégralement à améliorer les transports publics et la voirie. Autre effet bénéfique, les bus affichent une ponctualité record, devenant ainsi plus attractifs. En revanche, l’impact environnemental reste quant à lui négligeable.

Enfin, deux autres types de mesures existent pour éloigner les automobilistes de la ville. Dune part, il peut sagir de réduire leur espace : à Paris, par exemple, 20 000 places de stationnement ont disparu depuis dix ans, au profit des piétons, cyclistes ou des bus. Moins de place, donc plus de mal à se garer et une incitation à utiliser un autre type de transport pour les courts trajets. Dans la même logique, l’instauration de « zones 30 », voire même de « zones 20 » (à Mâcon par exemple) a aussi pour but de décourager les automobilistes frustrés de rouler si lentement.

En termes de bilan, en reprenant l’exemple parisien et toutes les mesures mises en place depuis le début des années 2000 (tramway, vélib, réduction des places de stationnement…), le trafic intra-muros a diminué de 23%. Paradoxalement, les bouchons en Île-de-France ont progressé de 26% sur les quatre dernières années. Des trajectoires contraires qui sexpliquent en partie par le regain dactivité en périphérie.

Les zones commerciales en périphérie désengorgent les villes… et assèchent leur économie

Depuis quarante ans donc, loffre de transport sest considérablement diversifiée et la plupart des villes offrent la possibilité de se rendre dun point A à un point B par un moyen autre que la voiture. Seul problème, s’il existe des moyens de transport variés, qu’en est-il quand le voyageur fait ses emplettes ? Il est par exemple malaisé de ramener ses courses en métro, ou son armoire Ikea en tram. A cela se couple un phénomène nouveau : la multiplication de zones commerciales en périphérie.

Apparues à la fin des années 1960, les zones commerciales en périphérie grandissent dannée en année : pour la période 2014-2015, plus d’un million de m² de projets commerciaux sont d’ores et déjà annoncés. Si ces zones apparaissent à première vue comme un cadeau pour les villes proches, il sagit en réalité de cadeaux empoisonnés pour elles. Dans le cadre dune grande métropole, limpact économique est marginal, car il existe un vivier important de consommateurs. En revanche, les conséquences sont plus graves pour des villes petites ou moyennes, car les zones commerciales concentrent un grand nombre de services qui viennent concurrencer ceux du centre-ville. Lexemple du projet « Carré d’Or » près de Perpignan est tout à fait révélateur de cette logique : le promoteur a tout dabord assuré quil ne proposerait que des vitrines spécialisées dans lameublement. Finalement 50% des surfaces seront réservées à de lhabillement.

Certains élus ont bien conscience du danger qui plane sur leur ville : une périphérie qui offre Ikea et Carrefour passe encore, une périphérie qui offre dans un espace concentré des salons de coiffures, des magasins de vêtements, des cinémas… cela signifie la mort des commerces locaux. Et, par conséquent, des rues moins dynamiques, donc moins attractives et une chute de limmobilier. Un cercle vicieux quil faut donc empêcher, à limage du maire de Metz, Dominique Gros, qui est revenu sur son approbation dun centre commercial en périphérie, arguant que « ce projet met en péril direct le centre-ville de Metz et déséquilibrera toutes les villes de l’agglomération ». Et, sil est trop tard pour stopper les zones commerciales, certains élus tentent de relancer lattractivité de leur ville, en se servant notamment du levier automobile.

Vers un retour de la voiture ?

D’abord omniprésente et quasi-indispensable, puis peu à peu éclipsée et décriée, la voiture aurait donc de nouveau le vent en poupe dans les villes ? Oui, mais dans certains cas seulement. Car s’il est vrai que la voiture est directement liée au dynamisme d’une zone et à son activité économique, son importance dépend grandement de la taille des villes. Un raisonnement par l’absurde consisterait à comparer les situations de Paris et Carcassonne par exemple : voiture ou non, le centre-ville, et donc les commerces de la capitale (il en va de même pour Lyon ou Marseille), seront toujours fortement fréquentés. A Carcassonne en revanche, les commerçants ont fait pression sur la mairie afin de lever l’interdiction de circuler dans les zones piétonnes du centre.

En réalité, comme le résume Franck Gintrand, les petites et moyennes villes ont commis l’erreur de suivre l’exemple des grandes, alors que les enjeux n’étaient pas les mêmes. Les grandes villes cherchent à éviter l’asphyxie du parc automobile, les petites ont interprété cela comme des mesures pour favoriser les piétons et l’environnement. Mais si pour les grandes villes l’impact économique est très faible voire nul, il est bien plus important pour les plus petites.

Afin d’inverser la tendance, certains élus tentent de nouveau de séduire les automobilistes, quitte à revenir sur les promesses de leurs prédécesseurs. A Saint-Etienne par exemple, le nouveau maire Gaël Perdriau a pris la décision de supprimer certaines pistes cyclables ainsi que des zones piétonnes pour les retransformer en zones à 30. A Angers, le nouvel élu a décidé de rendre gratuite la première heure de stationnement afin « de casser l’image d’un centre-ville inaccessible ». Si cela représente une perte de revenus directs, la mairie espère compenser par le surcroit d’activité impulsé. Comme le souligne le président de la CCI de Nantes, il existe « une clientèle à fort pouvoir d’achat qui n’utilise que sa voiture ». Il convient donc de se la réapproprier.

« La ville doit s’adapter à la voiture », déclarait Georges Pompidou en 1970. S’il garde une certaine pertinence, ce propos mérite deux nuances 44 ans plus tard : premièrement, les villes ne doivent pas se plier aux exigences de la voiture, mais lui trouver une place, au milieu des autres offres de transport. Deuxièmement, la voiture doit également s’adapter à la ville d’aujourd’hui et à l’environnement actuel : être à la fois connectée, sûre, propre, silencieuse et économique. En cela, les voitures électriques en libre-service apparaissent comme une étape intéressante.

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