jeudi 6 novembre 2014

De l’importance des infrastructures, thermomètre de l’attractivité d’un pays

Les infrastructures, premier déterminant de l'attractivité d'un pays ? 
(source : http://www.siemens.com.br)

Les infrastructures se définissent comme étant les installations nécessaires à une collectivité. Toutefois, cette dernière évoluant, les équipements sont eux aussi amenés à se transformer, quantitativement et qualitativement. Ainsi, une collectivité dans un pays en développement n’aura pas les mêmes (besoins en) infrastructures qu’un pays développé. De plus, au-delà de la richesse, la géographie et le climat sont également un déterminant dans la définition des infrastructures nécessaires.

Par ailleurs, les équipements évoluent avec le temps : d’une part, les infrastructures en place se dégradent ; d’autre part, il existe de nouvelles demandes en équipement au fur et à mesure des progrès de la science (santé, technologies de l’information…) mais aussi des besoins primaires des individus. Par exemple, Internet est devenu un enjeu majeur pour le devenir économique – et donc politique – des différents pays. Ainsi, le Wi-Fi est désormais considéré comme un service essentiel comme l’eau ou l’électricité. Inversement, les infrastructures de télécommunications basées sur les câbles souterrains pourraient être, à l’avenir, moins indispensables. De même, le développement de la voiture électrique suppose le déploiement de bornes de recharge. Aussi, pour en amplifier l’extension, l’Etat a promulgué une loi, en août 2014, faisant de la construction de cette infrastructure nouvelle un impératif.  

Toutefois, il faut bien se garder de croire que l’émergence et l’affirmation de la nouvelle économie, cette économie dématérialisée basée sur Internet, ait pour corollaire le déclassement de l’économie réelle. Bien au contraire. Le tout numérique est une chimère et l’immatérielle ne peut apporter ses bienfaits que si les infrastructures « en dur » sont construites et entretenues. Là est la vraie problématique, avec une autre sous-jacente : celle concernant leur financement.

L’effritement des infrastructures : signe précurseur de l’effondrement économique ?

Aux Etats-Unis, l’American Society of Civil Engineers (ASCE) a fait de l’usure des infrastructures nationales un enjeu aussi bien économique que politique. Elle a créé un site internet proposant analyse et classement des infrastructures dans chaque Etat américain : écoles, aéroports, ports, routes, gazoducs et pipelines, voies de chemin de fer, barrages… Tout y passe. Le délabrement est tel qu’il faudrait investir pas moins de 3 600 milliards de milliards d’ici à 2020 (vous avez bien lu) pour remettre les équipements en état (et notamment mettre fin au « cancer du béton »). Néanmoins, il ne s’agit pas seulement d’un problème de financement mais également de mener une réflexion sur « des siècles de politiques d’aménagement inadaptées », mis en évidence notamment à New York lors de la tempête Sandy en 2012.

Plus près de chez nous, en Allemagne, les infrastructures sont le grand sujet du moment, traité aussi bien dans la presse nationale... qu’internationale. Du fait de la baisse de la croissance depuis le début de l’année, le piètre état des équipements publics est analysé comme une cause explicative (avec l’embargo russe et le ralentissement chinois, certes). Ainsi, il n’y a pas une journée sans que les journaux ne parlent pas d’un exemple de pont qui doit être franchi à vitesse réduite, de nids de poule dans les chaussées, de gymnases fermés... Et Lothar Ewers, ingénieur des Ponts et Chaussées, d’expliquer : « cela est tout simplement dû au fait qu’en Allemagne nous n’avons, premièrement, pas investi suffisamment d’argent pour entretenir nos infrastructures et, deuxièmement, nous avons aussi négligé de construire de nouvelles infrastructures là où c’était nécessaire ! Cela concerne toutes les infrastructures, cela concerne les établissements scolaires, les installations sportives, les routes et les ponts. En fait, quasiment toutes les infrastructures sont touchées mises à part celles qui sont financées par des redevances comme par exemple les réseaux de distribution d’électricité ou d’eau… ». Cela est d’autant plus inquiétant que les Allemands passent pour des gens sérieux… Le débat politique fait rage et même la puissante fédération de l’industrie prend fait et cause pour un grand plan d’investissement. Vision de court terme et de long terme s’opposent alors que le très respecté ministre des Finances, le conservateur Wolfgang Schäuble – et indirectement la Chancelière Angela Merkel – est critiqué.

Infrastructures et attractivité : un lien évident

Le classement annuel établi par le Forum économique mondial de Davos depuis 2004 est souvent décrié en France pour diverses raisons, notamment le fait que ce Forum est le repère des libéraux qui se complaisent dans le French bashing. Variante : le monde ne comprend pas la France. Certes, le fameux Indice global de la compétitivité pourrait être sérieusement amendé, et prendre en compte plus parfaitement des déterminants sociaux et sociétaux. Toutefois, il donne aussi une analyse et un classement des pays selon divers critères, pas seulement le système d’imposition ou encore la flexibilité du marché du travail.

En effet, la qualité des infrastructures est un facteur à part entière de la compétitivité d’un pays. Ainsi, le Forum économique de Davos classe la France en huitième position sur ce seul critère (derrière l’Allemagne ?!). Notre pays fait même mieux concernant la seule qualité des routes (quatrième) et pour celle des voies ferrées (sixième). 

  

De même, dans la grande bataille mondiale pour attirer les investisseurs étrangers sur le sol national, l’état des infrastructures est prépondérant. Or, selon le rapport 2013 de l’Agence française pour les investissements internationaux, l’entité en charge de promouvoir notre pays à l’étranger, les investisseurs placent nos infrastructures (transports, communication et logistique) comme l’atout numéro un.

L’aménagement du territoire : une histoire française

Notre histoire est pleine d’exemples de réflexion et d’actions dans l’aménagement du territoire : Colbert et Vauban pour les manufactures et les infrastructures militaires, Haussmann et ses boulevards parisiens, les Trente Glorieuses et le développement autoroutier, les barrages, etc. Sans oublier le TGV dans les années 1980-1990… N’oublions pas que l’Ecole nationale des ponts et chaussées est créée en 1747 !

Certes, ces succès s’accompagnent de leurs lots de mécontents et si ces infrastructures étaient réalisées actuellement, nul doute qu'elles seraient fortement décriées pour leurs impacts financiers et écologiques. En effet, la période contemporaine est marquée par un changement de perception. Quoique salutaire, cette nécessité d’être mesuré dans ses actions ne doit pas faire oublier que les infrastructures sont indispensables.

Or, l’actualité nous donne parfois une représentation ambivalente, voire négative, des grands projets. Ceux-ci sont souvent villipendées : aéroport de Notre-Dame des Landes, liaison ferroviaire Lyon-Turin, Canal Seine-Nord, plan de relance autoroutier sans oublier le barrage de Sivens… Même les projets qui iraient « dans l’air du temps » comme les tramways en ville ou les lignes à haute tension (il en faudra bien avec le développement des énergies renouvelables comme l’éolien en mer !) ne sont pas très populaires. Le NIMBY devient la norme.

Certes, comme le rappelle la journaliste Sophie Landrin, l’ambition démesurée des « barons locaux » et leurs rêves de grandeur nourrissent cette opposition. Et de rappeler l’analyse du sociologue Jean Viard : « tant que l’Etat a été perçu comme porteur de grands projets motivés par l’intérêt collectif, l’aménagement du territoire a peu souffert de contestation. Mais la société ne semble désormais plus tenir une vision claire du bien public. Ces grands projets contestés sont synonymes de gâchis et de gabegie. Là aussi, ce ne sont pas seulement des militants écolos qui le disent mais la Cour des comptes ».

Se pose alors la question suivante : sommes-nous arrivés à la fin de l’Histoire des infrastructures en France ?

Un financement problématique

Certes, les projets d’infrastructures, peu importe leur taille, renvoient une image négative et les acteurs impliqués (collectivités, Etat, constructeurs…) feraient bien de s’en inquiéter. Mais le problème fondamental reste le financement. En effet, la construction et la gestion des infrastructures sont financées généralement par le contribuable et/ou l’usager. Or, la conjoncture actuelle met sous tension ces moyens :

Ainsi, les vœux pieux en Conseil des ministres se succèdent aux rapports parlementaires. Il y a pourtant urgence à entretenir les anciennes infrastructures et à construire les nouvelles, à l’image de l’Internet très haut débit via la fibre optique. Toutefois, il faut se rendre à l’évidence : le statu quo actuel est inquiétant. Pis, l’Etat se désengage depuis de nombreuses années via la baisse des crédits alloués à l’entretien ou, indirectement, au travers de la baisse de sa dotation aux collectivités. Sans parler des privatisations...

La création d’un observatoire : le pis-aller ?

« Notre héritage s’érode sous le joug du temps et de la diminution progressive des investissements publics liés à son entretien. Avec lui, s’étiolent aussi la sécurité et la qualité de vie des usagers, et grandissent les perspectives de dépenses qu’il sera nécessaire d’allouer à la rénovation en urgence de ces infrastructures ». Dans cette tribune publiée durant l’été 2013, Jean-Louis Chauzy, président de l’ORQUASI (Observatoire Régional de la Qualité des Infrastructures en Midi-Pyrénées) récemment créé, propose de réunir les acteurs régionaux concernés par cette problématique, afin de favoriser le partage d’informations. Celui-ci permettant alors d’identifier les urgences mais aussi d’anticiper les travaux d’entretien.

Intention louable et intéressante, l’ORQUASI est susceptible de minimiser le syndrome français de rétention de l’information et de faciliter les relations entre les différents acteurs. Plus qu’une nécessité au regard de la sclérose actuelle. Toutefois, cet observatoire n’est qu’une association loi 1901 sans prérogatives financières. Or, dans le monde contemporain, la réunion des bonnes volontés ne suffit plus : l’argent reste le nerf de la guerre. Et au vu de la situation actuelle, ce qui nous attend fait craindre le pire.

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