vendredi 5 décembre 2014

Les recours collectifs dans l’immobilier

Les actions de groupe sont enfin reconnues dans le droit français (source : radioscoop.com)

Chirac (en 2005 et en 2007) et Sarkozy (en 2012) avaient demandé à leur gouvernement de la créer. Sans succès. Véritable Arlésienne législative en France, le recours collectif – aussi appelé action de groupe ou class action – a finalement été voté par le parlement en février 2014, sous l’impulsion de Benoît Hamon, alors ministre de la Consommation.

Pour l’instant, l’action de groupe reste très encadrée : ne porte que sur le droit à la consommation et à la concurrence, rôle central du juge mais surtout de l’association de consommateurs. Pas de dévoiement donc, pour le moment. Mais l’avenir peut nous réserver des surprises. 

L’action de groupe à la française

Introduite dans le droit français en février 2014, applicable depuis le 1er octobre, l’action de groupe vise à rééquilibrer les relations entre les consommateurs et les entreprises, en donnant aux premiers plus de pouvoir en cas de litiges avec les seconds.

Au-delà de l’âpre bataille entre les différents intérêts catégoriels, l’action de groupe à la française a ceci d’intéressant qu’elle est avant tout préventive. De plus, il s’agit de réparer une pratique contestable. Ainsi, l’action est engagée si les faits délictueux sont avérés. L’action n’a donc pas pour objectif de lancer une enquête comme cela est si souvent le cas aux Etats-Unis (ces fameux avocats qui « chassent » le plaignant pour ensuite attaquer une entreprise). 

Ainsi, tout en évitant les abus et les effets pervers de la class action américaine, l’action de groupe à la française vise à muscler les outils juridiques à disposition des consommateurs et qui étaient jusque-là limités. En effet, comme le rappelle Sandrine Perrois, juriste chez CLCV (Consommation Logement Cadre de vie) en 2012 : « aujourd’hui, chacun doit agir individuellement et cela freine certains consommateurs. Quand une association se porte partie civile et agit en leur nom, il n’y a pas de réparation des préjudices à titre individuel ». Par exemple, des cas d’entente sur les prix entre entreprises sont avérés et condamnés mais le consommateur, in fine, n’a pas vu son préjudice réparé. 

De fait, le législateur prévoit des garde-fous comme le fait que seules les associations de consommateurs agréées puissent recueillir les requêtes des consommateurs, afin d’éviter les plaintes infondées. Par ce bais, les plaignants n’ont pas à payer de frais d’avocat, quel que soit le préjudice. Autre filtre : la présence du juge permettant la sérénité des débats et éviter les dérives. En effet, l’action de groupe en France est là pour réparer le préjudice subi et non pas déborder sur des dommages et intérêts punitifs, comme aux États-Unis.

Aussi, au regard des commentaires de spécialistes du droit, il semblerait que l’action de groupe à la française soit une œuvre d’un grand pragmatisme, permettant aux consommateurs de faire valoir leur droit, d’éviter toute action abusive pouvant impacter négativement l’activité ou la réputation d’une entreprise, tout en respectant le cadre judiciaire national (et la place du juge). 

Une petite révolution pour un pays et une autorité (la Justice) qui ont bien du mal à prendre en compte les changements d’époque. En effet, historiquement, « le droit de la consommation en France repose sur le postulat arriéré que le respect du droit des consommateurs est le lot exclusif d’une part de l’Administration de l’Etat, en particulier de la Direction Générale de la Répression des Fraudes et d’autre part des associations de consommateurs ». Seul bémol : l’action de groupe ne concerne actuellement que le code du commerce et de la concurrence, pour tout ce qui implique un préjudice matériel. Il s’agit donc souvent de litiges dont le montant est trop faible pour qu’une action individuelle soit entreprise devant la justice. Pour le moment…

Le rôle central des associations de consommateurs 

Comme le rappelle Alain Bazot, président de l’UFC-Que choisir, l’action de groupe est la mesure phare de la loi Hamon sur la consommation, permettant de rétablir les consommateurs dans leurs droit tout en ayant un effet dissuasif envers les entreprises peu scrupuleuses. Toutefois, le champ d’application des class actions se borne aux litiges du quotidien (prélèvements indus, clauses abusives des contrats...). De fait, tout ce qui touche au droit de la santé ou à l’environnement est exclu. Une bonne chose ? Chacun se fera son opinion.  

Le fonctionnement d’une action de groupe se déroule de la manière suivante : 





La loi donne une liste de 15 associations agréées à recevoir les témoignages de consommateurs victimes de professionnels peu scrupuleux : CNAFAL, CNAFC, CSF, Familles de France, Familles rurales, UNAF, Adeic, AFOC, Indecosa-CGT, ALLDC, UFC-Que choisir, CLCV, CGL, CNL, Fnaut.

Celles-ci centralisent les plaintes et étudient alors l’opportunité de saisir le tribunal de grande instance, si un grand nombre de cas identiques se présente. Dans un cas favorable, une action est déclenchée et un juge est alors saisi. Celui-ci doit « répondre à trois questions précises : existe-t-il un groupe identifié avec une similarité de situation ? Y-a-t-il une violation du droit ? Quel est le montant de l’indemnité que devra verser le professionnel attaqué ? » Ce que l’on appelle un jugement de responsabilité. Là encore, si le préjudice est avéré, l’entreprise peut négocier pour trouver un arrangement – obligatoirement rendu public – avec l’association de consommateurs, en versant directement une indemnité.

L’action de groupe permet également aux « consommateurs dormants » de se joindre à l’action après que la responsabilité de l’entreprise ait été avérée : ils ont deux à six mois pour se faire connaître et peuvent, eux aussi, obtenir une indemnisation. Seulement après cette étape le tribunal peut statuer sur les demandes d’indemnisation. 

L’immobilier, actuellement plus gros pourvoyeur de litiges

Depuis sa mise en œuvre effective le 1er octobre 2014, il faut avouer que l’action de groupe connaît un certain succès : quatre sont en cours ! En effet, comme le dit Alain Bazot d’UFC-Que Choisir, « entre internet, la téléphonie, les banques ou encore les assurances, les secteurs pourvoyeurs de litiges ne manquent pas ». Et pourtant, l’immobilier remporte la palme avec trois class actions*.
  • 1er octobre : UFC-Que choisir attaque le groupe Foncia devant le tribunal de grande instance de Nanterre pour qu’il indemnise 318 000 locataires, qui auraient payé indûment des frais d’expédition de quittance. Préjudice estimé : 44 millions d’euros sur cinq ans.

L’action de groupe a de bonnes chances d’aboutir car en décembre 2013, le TGI de Paris a condamné Foncia pour cette même pratique. Selon le tribunal, il est en effet illicite de percevoir auprès d’un locataire des frais d’expédition de quittance – appelés service d’avis d’échéance – facturés 2,30 euros.

  • 12 octobre : l’association de locataires SLC-CSF (Syndicat du Logement et de la Consommation – Confédération Syndicale des Familles) attaque le bailleur social Paris Habitat OPH, devant le tribunal de grande instance de Paris, pour obtenir le remboursement de dépenses de télésurveillance des ascenseurs, au profit de près de 100 000 locataires. Préjudice estimé : 3 millions d’euros sur les trois dernières années.
Comme le rappelle SLC-CSF, malgré la jurisprudence de la Cour de Cassation du 30 juin 2010, Paris Habitat n’a pas cessé ses pratiques, à la différence d’autres bailleurs.

Le bailleur, qui dispose de 190 000 logements sociaux, fait toutefois valoir que cette pénalité, qui « a toujours existé » dans ses contrats de bail, a disparu depuis le mois de mai car la loi Alur l’a rendue illégale. En outre, selon Immobilière 3F, ces 2 % n’étaient « pas réellement appliqués lorsque le locataire était de bonne foi. Quand ils l’étaient, c’était un maximum, qui se voulait dissuasif ». Pour finir, seul 20 % des locataires ont des retards de loyer. Néanmoins, la CNL rappelle que ce type de clauses, qu’elle a dénoncé depuis longtemps, a déjà été jugé abusif à de nombreuses reprises, notamment par la Commission des clauses abusives. 

Une bonne chose dans l’ensemble

Certes, la nouveauté oblige à en prendre la mesure et le process « action de groupe » s’améliorera avec le temps. Néanmoins, celle-ci est une bonne chose : pour son aspect financier (indemniser l’ensemble des victimes concernées) mais surtout pour son pouvoir dissuasif. Elle donne un signal aux grands groupes : l’impunité est terminée.

En outre, le juge et les associations de consommateurs comme garde-fous permettent d’éviter leur utilisation abusive mais aussi de renforcer le droit – la Justice – comme pouvoir de régulation. Ainsi, il y a un renforcement du pouvoir des consommateurs : même si celui-ci est indirect, il est bien réel. 

Toutefois, quelques bémols, plutôt d’ordre organisationnel et principalement concernant les acteurs prépondérants de ce système : les associations de consommateurs. Certes, l’action de classe « officialise » une nouvelle fois ces dernières, dont certaines sont reconnues d’utilité publique. Mais elle les oblige aussi à muscler leurs services (lancer les procédures, recenser les victimes, liquider les créances…) et compétences. Or, il faut bien financer tout ça...

Mais faisons le pari que l’action de groupe a de beaux jours devant elle et qu’elle sera élargi à des domaines beaucoup plus polémique comme la santé (le procès amiante est pour bientôt). La difficulté portera sur l’identification du préjudice et le calcul des indemnités. A ce moment-là, peut-être que la class action mettra en péril le devenir de l’entreprise ciblée. Mais ne l’avait-elle pas cherché ?

Nous suivre sur Twitter : @Bati2030

* La quatrième class action concerne la finance. Ainsi, le 28 octobre, la CLCV lance une action de groupe devant le tribunal de Nanterre contre Axa et l’association d’épargnants AGIPI, pour ne pas avoir respecté une garantie de taux d’intérêt sur un contrat d’assurance-vie.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

N'hésitez pas à poster vos commentaires et avis !