mercredi 8 avril 2015

Les chantiers : zones de non droit ?

La fatalité n'a plus sa place sur les chantiers (source : coocoonhome.com)

Décidément, rien n’est épargné aux professionnels du bâtiment et des travaux publics. Inconséquence des politiques, crise historique, contrefaçon… Ne manquait plus que les dégradations et les vols sur les chantiers en augmentation, sans parler de la délinquance voire du racket pur et simple.

Marseille, fidèle à sa (triste) réputation est venu rappeler récemment ce à quoi sont confrontés certains salariés et patrons dans leur vie professionnelle. Mais le pire est que ce contexte semble se généraliser à l’ensemble du territoire national. Phénomène nouveau ? Pas vraiment, car la prise de conscience a eu lieu il y a maintenant sept ans sans que des solutions tangibles aient été apportées, tant par les services de l’Etat que par les instances patronales ou syndicales.

Toutefois, alors que ces effractions étaient historiquement mises sur le compte de la fatalité, leur aggravation pourrait finalement amener un sursaut salvateur. Marseille serait-elle ainsi à l’avant-garde du renouveau ? 

Marseille : effet loupe ou ‘réalité vraie’ ?

Est-ce « l’effet Marseille » ou alors que la problématique prend véritablement des proportions inquiétantes ? Il y a quelques semaines, la presse professionnelle et généraliste fait ses gros titres des vols, chantages à l’embauche, rackets, menaces et intimidations que subissent les entreprises du BTP dans les Bouches-du-Rhône.

Au point que le tribunal de grande instance, en lien avec les services de police et des professionnels du bâtiment, décide de la création d’un Groupement Local de Traitement de la délinquance exclusivement dédié au BTP. Une triste première en France.

Parallèlement, la FFB 13 s’engage à prendre à sa charge la sûreté de certains chantiers. Une obligation, selon son président, Johan Bencivenga. Selon lui, le budget sécurité d’un chantier pourrait représenter jusqu’à 5% du montant total du chantier, à la charge de l’entreprise. Soit, 50 millions d’euros estimés au total pour la seule année 2014. Et de prendre en exemple le gardiennage H24 d’un chantier pendant 36 mois. Facture : 800 000 euros ! De quoi grever les finances d’entreprises déjà fragilisées.

Plus grave, selon Johan Bencivenga, « nous avons acquis la certitude que dans certains quartiers, des fonctionnaires territoriaux jouent les entremetteurs entre les délinquants et nos entreprises afin d’obliger ces dernières à embaucher des gens de leurs relations ou leur confier des missions de gardiennage en échange d’argent ou de services. Et si la manœuvre n’aboutit pas, ils sont les instigateurs de troubles sur le chantier »… pouvant aller jusqu’à « rafaler » le site à la kalachnikov !

Bien sûr, les clichés ont la vie dure et on pourrait dire que cette histoire est typiquement marseillaise. Malheureusement, le problème touche toutes les régions de France, de manière plus ou moins variable. 

Un chantier, c’est portes ouvertes ! 

La réalité marseillaise est malheureusement une vérité française. On vole de tout : des plaques de plâtre au cuivre des installations électriques, du carburant à l’engin lui-même sans oublier l’outillage. A l’image de la contrefaçon, le phénomène est difficile à estimer et donc à combattre. Selon les professionnels, les vols sur les chantiers coûteraient un à deux milliards d’euros par an pour le secteur, au niveau national. Il y a donc un vrai malaise, qui n’est en aucun cas nouveau.



En 2007, lors d’une grande enquête nationale de la FFB auprès de 6 000 PME, les deux-tiers d’entre elles déclarait avoir été victimes d’un vol : 36% des vols concernait l’outillage, 29% les matériaux (radiateurs, chaudières…) et 22,8% les métaux (cuivre, aluminium…). Au-delà du vol en lui-même, les effets collatéraux sont extrêmement dommageables : arrêt du chantier, chômage technique, pénalités de retard, mise en place d’un gardiennage… Et la FFB de prendre l’exemple du vol d’un câble de grue (valeur : 600 euros) qui entraîne une perte sèche pour l’entreprise de 15 000 à 20 000 euros du fait des dommages décris ci-dessus. Sans parler du coup au moral pour les patrons et les ouvriers. Ce genre d’actes est une forme de mépris du travail réalisé pour le bien de la communauté.

Pour ce qui est des vols/vandalisme (mais n’oublions pas les menaces envers les ouvriers de la part de personnes extérieurs au chantier), certains assureurs ont tenté d’estimer la tendance. Ainsi, pour SMABTP, il y a un doublement – en nombre et en coût – des vols/vandalisme sur les chantiers entre 2000 et 2007.

Quant aux services de police et de gendarmerie, en 2013, ce sont 16 512 plaintes enregistrées pour des vols simples sur les chantiers ! Mais les faiblesses statistiques ne précisent pas les pourcentages entre les vols commis par des bandes organisés, des particuliers vivant aux abords des chantiers voire des salariés eux-mêmes. Ce qui est révoltant, par contre, est le taux d’élucidation : Michèle Alliot-Marie, alors ministre de l’Intérieur, avançait le chiffre de 2 000 résolutions en 2007 (avec 2 500 gardes à vue) contre 1 250 affaires élucidées en 2002 (1 500 gardes à vue). Une broutille.

La FFB s’inquiète du problème en 2007

Élucider ce genre d’affaires est donc très difficile, sans oublier que ces méfaits pourrissent l’existence. Bien sûr, le phénomène a toujours existé mais la crise l’a renforcé : appât du gain, facilités de revendre les produits du vol, etc. 2007 est réellement une prise de conscience de la part des professionnels. De là à décréter la fin du fatalisme…

En effet, il ne faut pas se voiler la face. L’inconséquence de certains professionnels est aussi la cause. Ainsi, dans l’étude de la FFB, il ressort que 56% des vols sont des vols simples. En clair, il n’y a qu’à se baisser et ramasser. Aussi, au-delà du contexte, il y a vraiment un changement de mentalités qui est nécessaire.

François Asselin, ancien Vice-Président de la FFB et actuel parton de la CGPME le reconnaît lui-même lors d’une interview en 2007 : la question de la sûreté des chantiers est une problématique qui est apparue récemment et qui a pris une dimension impressionnante en très peu de temps. De fait, les professionnels ont (eu) du mal à la prendre en compte et donc à mettre en œuvre les moyens pour y faire face. L’enquête nationale de la FFB puis la mise en œuvre du dispositif « Ras le vol ! », permettant de prévenir et de lutter contre cette dérive, sont à replacer dans ce contexte.

Communiquer, impliquer !

La prise de conscience se concrétise par le renforcement des liens entre les pouvoirs publics et les professionnels, sur tout le territoire, notamment au travers des protocoles d’accord facilitant la sensibilisation, les formations à la prévention ainsi que le partage d’information. Loin de sortir une énième loi sur le sujet, les acteurs ont l’intelligence de mettre en commun leurs savoir-faire pour lutter efficacement contre ce fléau.

De plus, un effort de communication pour impliquer les professionnels est réalisé. Ainsi, le chantier – et ses caractéristiques – doit être déclaré aux forces de sécurité et un correspondant sûreté nommé. Bien évidemment, la protection ne peut être que modulable selon la taille du chantier, le lieu, la durée, les matériaux/matériels employés, les étapes de la construction… Bref, on ne peut pas mettre des maitres-chiens partout ou de l’électronique partout, surtout quand un chantier fait appel à de nombreux corps de métiers. Il faut aussi impliquer les salariés, rappeler le B.A-BA : fermer les portes, ranger les outils… Pour ce qui est des sites et dépôts, au-delà des clôtures et autres dispositifs de vidéoprotection, il est en général rappelé de tenir une liste à jour de tous les matériaux/matériels à disposition afin d’assurer une sécurisation maximale.

Néanmoins, à voir la une des journaux récemment, on peut se demander quels sont les résultats de ces actions : nuls ?

2014 : le sursaut ?

En fait, Marseille est déjà un « exemple », en 2004. A l’époque, la FFB 13 saisit la préfecture afin de sécuriser les chantiers de rénovation et de construction dans les zones urbaines sensibles : d’abord dans la ville puis tout le département. La coordination entre les différents protagonistes est alors érigée comme condition sine qua none pour la réussite de la mission. Les actions mises en œuvre au niveau national à partir de 2007 ne sont finalement que la généralisation sur le territoire national du dispositif marseillais.

Mais pour quels résultats ? Les affaires récentes signifient-elles un véritable malaise dû à l’échec du dispositif « Ras le vol » ? Ou bien est-ce un coup de com’ pour remotiver les acteurs et renforcer l’acuité sur ce problème ?

En effet, de Marseille pourrait venir les solutions. Ainsi, les marges de manœuvre dont disposent les magistrats leur permettent d’agir et de trouver des modes opératoires innovant, qu’il faut bien sûr tester. De fait, les derniers évènements ont peut-être amené une rupture, un changement de mentalité. Finie la communication. Place à l’action.

Par exemple, le GLTD Bâtiment est digne des solutions avancées contre la mafia : magistrats dédiés, préservation de l’anonymat des plaignants afin d’éviter les risques de représailles, requalification des actes si la gravité est avérée (non plus un délit mais un crime). En outre, une des solutions avancées, mais pas encore mise en œuvre, est que le coût des mesures de sûreté des chantiers et de sécurité des personnes soit pris en charge par les pouvoirs publics (lot « Sûreté » ou « lot zéro »). Affaire à suivre donc.

La technologie : toujours utile

Bien sûr, il existe des moyens techniques bien connus, pour protéger les véhicules/engins par exemple : sabots d’immobilisation, dispositifs anti-démarrage, clé spécifique… Mais le problème des vols sur chantier reste surtout leur élucidation. D’où le recours à des procédés tels que les caméras de surveillance pour faciliter les flagrants délits.

Surtout, dorénavant, les systèmes de géolocalisation voire de marquage indélébile sont généralisés. Jacques Chanut, président de la FFB, s’est d’ailleurs félicité récemment de l’efficacité du déploiement de la technologie RFID sur un chantier de Bondy en Seine-Saint-Denis.

Ainsi, le dispositif RFID a ses avantages : on peut le louer ou l’acheter et le coût est surtout moins élevé que celui d’une surveillance humaine. « Un gardien, cela revient à environ 8 000 euros par mois. A Bondy, le système installé a coûté 6 000 euros HT ». Néanmoins, il demande des réflexes nouveaux (« se mettre à la place du voleur ») et donc une formation du personnel, donc son implication. Ainsi, la technologie ne fait pas tout : l’humain, la prise de conscience sont fondamentaux.


Le fatalisme a la vie dure mais l’époque où pour lutter contre un mal on en était réduit à mettre un cierge à Notre-Dame-de-la-Garde est peut-être révolue. Dorénavant, tout est question de retour sur investissement, de jugeote et de volonté. Un vrai changement de mentalité pour le secteur.

Pour information, Préventica organise cette année deux salons sur ce sujet, l’un à Toulouse (9-11 juin) et l’autre à Lyon (13-15 octobre).


Nous suivre sur Twitter : @Bati2030


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

N'hésitez pas à poster vos commentaires et avis !