jeudi 12 septembre 2013

Pénibilité : le mot et les maux.

Pénibilité au travail 
(crédit : Le Point / Arnaud Finistre / Maxppp)

Selon le Larousse, la « pénibilité » renvoie au caractère pénible d’une action. Ainsi, celle-ci se fait avec peine, exige un effort difficile, causant de la fatigue, de la souffrance. Toutefois, il existe derrière ce terme une variété de facteurs à la fois objectifs et subjectifs. Or, c’est cette complexité qu’essaye de simplifier le compte-temps pénibilité introduit dans la réforme des retraites, au risque de conduire à une grande confusion et à un ressentiment chez les salariés… et les patrons.

Pour le Code du Travail, la pénibilité renvoie à deux conditions cumulatives. D’une part, il faut une exposition à un ou plusieurs facteurs de risques professionnels liés à des contraintes physiques marquées, un environnement physique agressif ou à certains rythmes de travail. D’autre part, ce contexte est susceptible de laisser des traces durables, identifiables et irréversibles sur la santé.

La pénibilité au travail : la complexité guette.

Quelques obstacles apparaissent derrière cette définition. En effet, les situations de travail sont extrêmement diverses, variant dans le temps et l’espace. Au sein d'un même métier, un poseur d'isolants par exemple, il peut y avoir une grande différence entre l'artisan qui pose de la ouate de cellulose, d'une densité de 70kg/m3, d'un autre spécialisé dans la laine de roche, autour des 150kg/m3. De plus, cette diversité des milieux professionnels ne peut être dissociée des parcours de vie et de santé d’un travailleur. Pour finir, il existe généralement une combinaison de facteurs de risques, et pas qu’un seul.

A partir de là, il faut pouvoir diagnostiquer la pénibilité, via les facteurs définis par le législateur. Ceux-ci renvoient : à des contraintes physiques marquées (manutention de charges lourdes, postures malaisées, vibrations mécaniques…) ; un environnement physique agressif (agents chimiques, bruit…) ; à certains rythmes de travail (travail de nuit, en alternance, répétitif…). 

Ainsi, on peut identifier les effets de la pénibilité (accident du travail, espérance de vie, état de santé…) mais il semble bien difficile de la mesurer. En effet, la pluralité des parcours de vie, de santé et professionnels rend difficile les généralités. Bien sûr, le BTP apparaît plus difficile que d’être instituteur. Mais être dans un bureau d’étude est bien différent que d’être dehors sur un chantier de terrassement ou à goudronner une route en été. L’analyse de la pénibilité se doit d’être pragmatique. 

Le législateur passe outre. 

Pourtant, le gouvernement, via la dernière (énième) réforme des retraites souhaite la prise en compte de la pénibilité. Ainsi, le « compte de prévention de la pénibilité » (CPP) sera examiné en Conseil des ministres le 18 septembre puis soumis au Parlement le 7 octobre. Normalement, il sera effectif à partir du 1er janvier 2015.

Schématiquement, le CPP est ouvert à tout salarié du secteur privé exposé à des conditions de travail réduisant l’espérance de vie. Il permet de cumuler des points en fonction de l’exposition à un ou plusieurs facteurs de pénibilité, soit dix au total. Cette proposition du gouvernement, qui est en fait celle avancée par la Commission Moreau, permet au salarié d’acquérir des droits à l’attribution de points, convertibles d’abord en temps de formation rémunérés, ensuite en périodes de temps partiel compensées financièrement et en dernier recours en rachat de trimestres pour la retraite. Un décret doit prochainement déterminer les barèmes.

Toutefois, même si légiférer sur la pénibilité du travail est un vrai sujet/débat de société et un acte courageux du gouvernement, l’approche pose certaines questions méthodologiques et idéologiques (est-ce la bonne solution ?). 

Mode de calcul et financement : le matraquage des entreprises continue.

Pour le gouvernement, le CPP ne peut être financé que par les employeurs, via deux cotisations, dont les niveaux seront définis par décret (de 0,3 % à 0,5 % selon les premières informations, soit un rendement de 500 millions d’euros par an en 2020) : la première sera prélevée sur toutes les entreprises, sur la base de leur masse salariale (au nom de la solidarité interprofessionnelle) ; la seconde sera établie en proportion des salaires versés aux seuls employés exposés à la pénibilité. 

Didier Ridoret, président de la FFB ne s’en cache même pas : « le gouvernement estime qu’entre 18 % et 20 % des salariés pourraient être concernés, cela signifie que toutes les PME dans le bâtiment seront visées ». Tout en précisant bien que « ce n’est pas aux entreprises du bâtiment à payer la pénibilité. C’est un arbitrage injuste. Par ailleurs, il est carrément impossible de mesurer l’impact en termes de coûts. Et pourtant, notre Direction des affaires sociales a tenté l’exercice particulièrement technique et complexe… Une fois de plus, on découragera les employeurs du BTP à embaucher des ouvriers sur les chantiers ».

Le BTP au cœur de la pénibilité. 

On en arrive au point de méthodologie. L’importance – sociétale, économique, politique… – de la problématique de la pénibilité du travail ne mériterait-elle pas un large consensus et des solutions pragmatiques plutôt qu’une loi débouchant sur une foire d’empoigne entre les acteurs concernés ? 

En outre, il est bien difficile de déterminer les métiers pénibles, surtout le « seuil de pénibilité » entre métiers. Or, cela augure d’un grand marchandage entre le Ministère du Travail et chaque branche professionnelle. On aurait pu trouver plus simple d’autant que le dialogue syndicats/patronat/gouvernement a rarement été opérant dans notre pays. De plus, à l’aune du « choc de simplification » voulu par le Président de la République, on rentre sans doute dans le mouvement inverse

Aussi, pour les acteurs du BTP, la meilleure solution serait de renforcer la prévention, à l’image de l’accord sur la prévention de la pénibilité et l’amélioration des conditions de travail de décembre 2011. En effet, la profession a considéré aussitôt que tous les salariés de chantier étaient exposés à au moins 2 facteurs de risques professionnels liés à la pénibilité. Ainsi, il existe une démarche globale d’amélioration des conditions de travail avec des méthodes de gestion et l’application d’audits. Bien sûr, des progrès sont à faire mais l’essentiel, selon nous, n’est-il pas de fédérer les acteurs, d’impulser une dynamique vigoureuse d’amélioration des conditions de travail plutôt que de s’engager dans un processus – très français – qui conduirait à court terme à un enlisement administratif et procédurier ? 

Ainsi, le BTP tant décrié se veut un secteur professionnel exemplaire, qui propose des solutions et souhaite que cette méthodologie s’applique à chaque branche professionnelle. En effet, quel autre secteur connaît-il autant de métiers parmi les plus exposés, de difficultés diverses à l’image du maintien des seniors dans l’emploi et ce, alors que 85 % des entreprises comptent moins de 10 salariés ?

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