jeudi 6 février 2014

PPP : Partenariat de Pagaille Publique ?

Le "Balardgone", un exemple de PPP qui fonctionne ? (crédit : Maxppp)
"Balardgone", musée des Confluences de Lyon, Canopée du Forum des Halles, salle de la Philharmonie de Paris... Les derniers grands projets publics n'en finissent plus d'alimenter la machine à scandales, entre retard, explosion des coûts, corruption et conflit d'intérêts. Leur point commun ? Ils sont tous issus de partenariats publics privés (PPP) dont l'Etat français fait un recours massif aujourd'hui. Ainsi, la France est le premier pays européen en nombre de contrats. Nécessité conjoncturelle et économique pour les uns, symbole des dérives du libéralisme et facteur d'endettement public pour les autres, les PPP sont aujourd'hui au coeur de débats passionnés sur les investissements et la dépense publique, là où il s'agirait plutôt d'y voir un simple outil avec ses avantages et ses inconvénients.

Les PPP sont définis par l'Etat comme "une modalité, à la disposition de l'autorité publique, de production d'équipements et/ou services propres à concourir à la réalisation du service public qui se distingue du marché public classique par le transfert de la maîtrise d'ouvrage de l'équipement et/ou de l'exploitation du service". Institués sous leur forme moderne par la loi SAPIN du 29 janvier 1993 et l'ordonnance du 17 juin 2004, ils ne constituent pas en soi une nouveauté puisque de nombreux équipements d'envergure, comme le canal du Midi, ont été financés selon ce montage. En revanche, leur nombre a explosé : d'une valeur de 146 millions d'euros en 2007, ils ont atteint 5,6 milliards d'euros en 2011, faisant de la France le premier "consommateur " de PPP en Europe.

En temps de crise, un moyen pragmatique de financer les équipements publics

Dans une conjoncture défavorable, conséquence de la crise financière de 2008, où la dette des Etats est devenue "tout à coup" intolérable, le PPP est effectivement un montage bien pratique. Comparable à du "leasing", il permet à l'Etat d'étaler le financement d'équipements coûteux, en remettant la gestion et l'exploitation à un partenaire privé auquel il versera ensuite un loyer sur une durée prédéterminée. Dans le cadre de la fameuse écotaxe, la société Ecomouv' se voyait ainsi rémunérer de la construction/installation/gestion des portails de taxation par la récupération de 20% des recettes générées par la taxe. Pour l'Etat, il s'agit donc d'une opération peu risquée sur le plan financier.

Mais les avantages du PPP ne sont pas seulement financiers. Selon le Club des PPP, un portail Internet d'information et de promotion sur les PPP, un PPP permet également d'accélérer la livraison des projets, profiter de l'expertise du partenaire privé dans un domaine qui n'est pas forcément de la compétence de l'Etat, optimiser les coûts et la qualité et parfois générer des recettes de valorisation. Dans le cadre de la RT 2012 et de la recherche de performances énergétiques des bâtiments publics neufs, le PPP, en remettant la gestion de l'établissement au partenaire privé, permet également à l'Etat de fixer et garantir des exigences en termes de performances, une question relativement sensible aujourd'hui concernant les bâtiments intelligents. Pour Christian Pierret, maire socialiste de Saint-Dié des Vosges (cette ville où le premier HLM bois/paille a été construit) et ancien ministre du gouvernement Jospin (2002), "un PPP bien négocié par la puissance publique qu’elle soit nationale, établissement public, d’Etat, départementale, etc… sont autant de preuves que pour des objets extrêmement divers l’intérêt public peut parfaitement être conservé et préservé". Bref, "il n'y a rien de plus clair qu'un PPP" !

La machine à scandales

Pourtant, les attaques à l'encontre de ce dispositif, qualifié de "bombe à retardement" sont extrêmement nombreuses et virulentes. Première critique, et pas des moindres, le coût d'un PPP ne s'inscrit pas dans le montant de la dette de l'Etat. En effet, le montant du marché n'apparaît pas en investissement, mais en fonctionnement, et est ainsi dilué tout au long de la période de leasing. Pour autant, il s'agit bien là d'une dette, dont le paiement est remis à plus tard. Or, pour l'Inspection Générale des Finances, un "PPP initié pour des raisons budgétaires est risqué : il incite l'acheteur public à investir au-delà de ce que ses ressources lui permettraient d'envisager avec raison".

Le risque est ainsi grand de surpayer un investissement ou de lancer un projet surcalibré. Or, les dérapages budgétaires dans le cadre de PPP sont nombreux et en partie liés à la nature même du contrat. L'affaire de la salle de la Philharmonie de Paris résume à elle seule les dérives du système. Censée devenir la plus grande salle de concert au monde avec 2 400 places, son budget en 2006 au moment de l'appel d'offres était de 118 millions d'euros. Aujourd'hui, il est évalué à 386 millions d'euros. Comment expliqué un tel écart ? Pour l'architecte Jean Nouvel, le fonctionnement des appels d'offres dans le cadre d'un PPP oblige à mentir sciemment sur le montant final. Pour Bruno Juillard, le chargé de la Culture de la mairie de Paris, "personne ne pouvait savoir que ça allait augmenter de manière aussi significative". Si la problématique des dérapages de budget est plutôt lié à la question des appels d'offres, il est certain que le transfert de la charge dans le cadre du BTP entraîne le fractionnement des responsabilités, entre donneurs d'ordres, maître d'oeuvre, prestataires divers, etc. Cependant, s'il ne s'agit pas là d'un cas particulier, est-il possible pour autant d'en faire une généralité ?

Dernière question polémique : à qui profitent le plus les PPP ? Pour les détracteurs, l'ennemi est tout trouvé : les majors du BTP, comme Bouygues Construction, Eiffage ou encore Vinci, font partie du très petit nombre d'entreprises à avoir profité de ce dispositif. Mais cette critique est-elle bien pertinente ? Comme l'ensemble des marchés publics, les PPP sont particulièrement contrôlés au niveau de la procédure d'appel d'offres. Et pour l'instant, les soupçons de corruption n'ont pas entraîné de condamnation. D'autre part, les PPP sont des dispositifs particuliers, qui demandent des compétences précises, mais également les moyens administratifs et juridiques pour répondre à la demande des pouvoirs publics. Qu'y a-t-il de choquant à ce que seuls les leaders du secteur aient les moyens d'y répondre ?

L'inconséquence du politique ?

Les PPP ont mauvaise presse et l'examen du bilan désastreux des PPP au Royaume-Uni, que ce soit dans les transports ou les hôpitaux, est édifiant. Cependant, ils génèrent également un certain nombre de fantasmes, comme tous les phénomènes qui touchent à la fois au politique, aux finances publiques et au monde des affaires. Les médias surfent d'ailleurs sur cette tendance à évoquer uniquement les cas les plus polémiques.

Mais le recours à ce qui n'est au départ qu'un moyen de financement pose la question de l'inconséquence du politique face aux grands projets (à l'échelle de l'Etat) comme aux petits (à l'échelle des collectivités locales), dont les conséquences peuvent être dramatiques, à l'image du fiasco financier de l'hôpital sud-francilien. Or, dans ce domaine, les réflexions visant à modérer l'usage des PPP ne débutent qu'à peine : PPP limités à certains types de projets (péages), refus de transférer à des sociétés privées des compétences qui concernent des prérogatives d'Etat (le recouvrement de taxe dans le cadre d'Ecomouv' par exemple, ou la question du financement de prisons), ou encore la mise en place de dispositifs de contrôle destinés à vérifier que chaque partie respecte bien ses engagements. Les PPP sont un outil intéressant pour le financement d'équipement publics, mais leur multiplication sans discernement par le politique sont autant de menaces pour les finances publiques que pour l'autorité de l'Etat dans des domaines qui doivent rester ses prérogatives.

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