jeudi 13 février 2014

Le rapport Perruchot : du rififi chez les syndicats, des enjeux pour la formation professionnelle

Nicolas Perruchot, celui par qui arrive le scandale du financement des syndicats (crédit : Pierre Verdy/AFP)
Le tribunal correctionnel de Paris vient de rendre son verdict dans l'affaire de la "caisse noire" de l'UIMM : trois ans de prison (dont deux avec sursis) pour son ex-dirigeant, Denis Gautier-Sauvagnac, et 375 000 euros d'amende. Il s'agit là d'une peine lourde pour celui qui avait préféré payer pour les autres et se taire plutôt que de révéler comment l'UIMM finançait les cinq syndicats "représentatifs" pour "acheter" la paix sociale ! La sanction est d'ailleurs à la hauteur de l'ampleur du scandale du financement des syndicats par les organismes paritaires, déjà dénoncé dans le rapport Perruchot de 2011. Si ce dernier a été étrangement enterré depuis, la polémique est loin d'être terminée et menace d'impacter fortement le secteur du BTP, et notamment la question de la formation professionnelle.

L'histoire du rapport Perruchot est digne des meilleurs thrillers américains. Dès 2007, Nicolas Perruchot propose la création d'une commission parlementaire sur le financement des syndicats. Cependant, il doit attendre 2010 pour que le Nouveau Centre, invoquant son "droit de tirage", réclame la création d'une commission d'enquête. La procédure suit alors son cours, le rapport est rédigé, mais un nouveau coup de théâtre intervient en novembre 2011 : seulement neuf députés sur 30 participent au vote qui décide de la parution du rapport. Avec deux voix pour (les centristes), trois contre (les socialistes) et quatre abstentions (UMP), le rapport est enterré pour une durée minimum de 25 ans.

Une mesure inédite sous la Vème République ! Cet échec n'empêchera pourtant pas le député Perruchot de récidiver en janvier 2012, cette fois avec plus de succès, via un autre rapport tout aussi sulfureux sur le financement des comités d'entreprises. L'affaire initiale prend une nouvelle tournure lorsqu'en février 2012, l'hebdomadaire Le Point décide de publier l'intégralité du rapport de Nicolas Perruchot sur les syndicats. Ce dernier, qui a perdu son siège de député lors des élections législatives de 2012, est amené par les médias à s'exprimer sur le sujet et cherche alors à médiatiser, via des initiatives personnelles, les informations du rapport. Peine perdue. Malgré le soutien de certains syndicats, il est menacé de poursuites pénales, notamment par l'ancien président du groupe PS et actuel Premier ministre Jean-Marc Ayrault s'il divulguait le contenu du rapport.
 
Le rapport Perruchot et le BTP

Comment un tel rapport peut-il susciter autant de vagues ? Il s'attaque de manière virulente aux syndicats, intouchables dans notre démocratie, qu'ils soient patronaux ou salariés, et à leur mode de financement. Comment expliquer que les syndicats français, qui sont avec 8% de salariés syndiqués les moins représentatifs d'Europe, puissent se financer avec d'aussi faibles cotisations ? Selon les conclusions du rapport, les syndicats touchent 4,5 milliards d'euros de fonds qui émanent des avantages obtenus (les heures de délégation) auprès des grands comités d'entreprise et des organismes paritaires comme la Sécurité sociale ou l'Unedic. Qui plus est, ces financements s'accompagnent d'une fraude d'une ampleur estimée à 1,3 milliard d'euros, qui concernent les fonctionnaires transformés en syndicalistes pour un équivalent de 28 000 emplois à plein temps.

Dans ce contexte, aucun secteur d'activités n'est épargné et les principaux syndicats de salariés du BTP - qui sont la CGT, la CFDT, la CGT-FO, la CFTC et la CFE-CGC - sont bien évidemment au centre de la polémique. Mais ils ne sont pas les seuls. Les organisations patronales sont également visées par le rapport Perruchot. Sur ce sujet, les fédérations liées au Medef, comme la FFB, l'UNICEM, la FIB (Fédération de l'Industrie du Béton) et la FNB (Fédération Nationale du Bois) sont restées bien discrètes. Pourtant, elles auraient en effet collectés plus de 86 millions d'euros de "cotisations" et posséderaient une trésorerie cumulée de 180 millions d'euros en 2010, soit plus que la fameuse, puissante et très controversée UIMM ! Or, ces organisations ont autant de moyens financiers car elles profitent des mannes issues des cotisations professionnelles collectées par les caisses de congés. Selon l'IGAS, ces dernières prélèvent en effet 2 à 3% des cotisations (sur une moyenne par an de 6,5 milliards d'euros), officiellement pour des frais de fonctionnement, qui alimenteraient les caisses des organisations professionnelles !

La formation professionnelle en question

Mais il ne s'agit pas de la seule polémique concernant le BTP qui découle du rapport Perruchot. Cette affaire impacte également la formation professionnelle, évaluée par la DARES (service d'études, de recherche et de statistiques du Ministère du Travail) à près de 26 milliards d'euros en 2011. Selon le rapport de l'ex-député centriste, les quelques 4 000 organismes de formation, gérés par les OPCA (Organisme Paritaires Collecteurs Agréées), sont financés chaque année à hauteur de 6,3 milliards d'euros. Or, du fait de l'absence de contrôle, une grande partie de cette somme disparaît au profit des organismes gérants, Medef et syndicats en particulier ! Car les OPCA sont tenus de financer, pour un montant ne dépassant pas 0,75% du montant des collectes, les organisations patronales et syndicales afin de "rémunérer les missions et services qui sont effectivement accomplis". Ce qui représente, compte tenu du poids du BTP, des millions et des millions d'euros.

En outre, cette cagnotte hallucinante (deux fois le trou de Sécu) sert notamment à financer des formations bidons. Cash Investigation, l'émission d'enquête animée par Elise Lucet, a diffusé le 11 septembre 2013 un reportage consacré à la formation professionnelle, qui dénonce notamment les dépenses liées à des stages et des formations fictives. Elle publie notamment sur sa chaîne Youtube des extraits d'émission, sur la disparition de 75 000 euros sous la direction de Jean-Vincent Placé destinés à la formation professionnelle, un stage fictif de Cécile Duflot ou encore les pratiques frauduleuses de la société Jardiland. Le BTP, là encore, est loin d'être à l'écart de ces pratiques. Les liens entre Constructys, l'OPCA du BTP, et les organisations professionnelles sont établis selon le schéma décrit ci-dessus. A la pensée des besoins en formation professionnelle dans le bâtiment, que ce soit sur le plan de la sécurité des travailleurs ou concernant les techniques plus respectueuses de l'environnement, le constat est amer.

L'impossible réforme ?

Cette situation ubuesque, née de l'absence de contrôle et des arrangements opaques des syndicats et organisations patronales, ne semble pas prête d'être régulée. Si les organisations professionnelles prétendent aujourd'hui garantir la transparence financière, le cercle est à ce point vicié que les récents accords de décembre 2013 sur la formation professionnelle n'ont abouti en réalité à aucun changement concret et perceptible. Le gouvernement est-il capable de mettre en place les structures nécessaires pour contrôler la provenance des ressources de ces associations ? Le doute est permis. En effet, mis à part le PS et quelques Verts, le reste des partis s'est opposé en vain à l'adoption par l'Assemblée nationale de la récente réforme sur la formation professionnelle. Une autre inquiétude existe au delà : quand les organisations patronales et les syndicats de salariés collaborent pour augmenter leurs finances, c'est le combat syndical qui faiblit et les caisses des lobbies qui se remplissent. L'idéal de la paix sociale, de la recherche du compromis pour le bien de tous, se trouve alors corrompu par la recherche d'un bien commun aux cadres des organisations professionnelles et qui rime singulièrement avec le mot argent.

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