mercredi 14 mai 2014

Signal d'alarme sur la qualité de l'air intérieur

Comme en 2013, le thème principal de l'édition 2014 des Défis Bâtiment et Santé portera sur la qualité de l'air intérieur (crédit : Defisbatimentsante.fr)
Si les excuses dont fourmillent les collégiens pour tirer au flanc prêtent souvent à sourire, certaines d'entre elles s'avèrent plutôt inquiétantes. C'est le cas notamment au collège Jean Moulin d'Artyx, dans le Béarn, dont 188 élèves (et un professeur) se plaignent de maux de tête, de vertiges et de difficultés respiratoires depuis plusieurs mois, entraînant la fermeture temporaire de l'établissement. Si pour l'inspecteur d'Académie "l'autosuggestion" (hypocondrie liée à une épidémie de flémingite aigüe) explique le phénomène, les experts penchent plutôt pour une dégradation de la qualité de l'air intérieur, due à des émissions de formaldéhyde. Une hypothèse loin d'être farfelue et de plus en plus symptomatique des craintes des autorités en matière de santé publique.

La notion de qualité de l'air intérieur (QAI) cherche à déterminer si l'air des espaces clos, espaces publics (dont les transports en commun), privés (habitation, mais aussi voiture) ou lieux de travail, est suffisamment sain pour y vivre sans développer de pathologies particulières. En effet, chaque Français passe en moyenne 80 à 90% de son temps en intérieur, respirant quotidiennement 15 000 litres d'air. C'est pourquoi, pour les autorités et nombre d'experts, la qualité de l'environnement des individus, et tout particulièrement celle de l'air intérieur, est devenue centrale dans la prévention et le traitement des risques sanitaires pour les populations.

Une pollution sournoise

Car l'air que nous respirons est loin d'être de la meilleure qualité. Pour l'Agence Nationale de Sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES), la qualité de l'air intérieur est considérée comme mauvaise lorsqu'il contient une à plusieurs substances de cette liste particulièrement éloquente : formaldéhyde, monoxyde de carbone, benzène, naphtalène, trichloroéthylène, tétrachloroéthylène, particules fines ou encore acide cyanhydrique (le tristement célèbre Zyklon B). Soit 40% des foyers français, selon une étude de l'Observatoire de la Qualité de l'Air Intérieur (OQAI) ! Les sources de cette pollution sont multiples. Elles peuvent être d'ordre biologique, par exemple présence d'acariens au développement de champignons dû à des moisissures et une trop forte humidité ; ou trouver leur origine dans les usages de la vie quotidienne, comme la consommation de cigarettes, l'utilisation de produits cosmétiques ou tout simplement en cuisine, par la simple cuisson des aliments.

Mais aujourd'hui, les experts s'inquiètent plus particulièrement des produits chimiques contenus dans les matériaux de construction ou le mobilier, qui émettent en permanence des particules susceptibles d'affecter notre organisme et nos fonctions respiratoires, à l'instar des fameux COV (Composé Organiques Volatils). L'exemple le plus fréquemment utilisé est celui du formaldéhyde, un produit chimique conservateur considéré comme cancérogène et contenu dans les meubles en bois aggloméré, mais également dans la laine de roche et de verre destinée à l'isolation phonique et thermique. Ces mêmes produits sont d'ailleurs à l'origine d'émission de fibres, classées comme non cancérogènes contrairement à l'amiante, qui peuvent tout de même provoquer des troubles respiratoires comme des irritations des muqueuses, signe de la dégradation de la qualité de l'air intérieur.

Renforcée par une méconnaissance des enjeux

Paradoxalement, l'amélioration de la qualité du bâti vers des habitations moins énergivores entraîne une augmentation des risques de pollution de l'air intérieur. En effet, la complexification des matériaux génère une présence grandissante de substances chimiques dans notre habitat, comme la ouate de cellulose. Dans ce domaine, le débat est d'ailleurs problématique pour les instances réglementaires, et notamment le Centre Scientifique et Technique du Bâtiment (CSTB) : comment approuver de nouveaux produits quand le recul manque pour en évaluer l'impact sur la santé, et en particulier sur la qualité de l'air intérieur ? A l'inverse, est-il justifié de bloquer ad vitam aeternam sous ce prétexte certaines innovations, quand des produits plus malsains sont autorisés ? L'exemple d'Actis et des isolants multicouches est éloquent à ce sujet.

Les problèmes posés par les matériaux émetteurs de substances nocives sont parfois renforcés par la méconnaissance des enjeux de la qualité de l'air. En effet, la focalisation des efforts sur l'isolation incite insidieusement les particuliers, mais aussi les professionnels, à négliger de porter une attention particulière à la ventilation. Or, cette dernière, pourtant prise en compte par la RT 2012, est nécessaire pour assurer le renouvellement, et donc la qualité, de l'air intérieur. Dans un logement trop étanche, en raison d'une (trop) bonne isolation, mais surtout d'une ventilation mal adaptée (fenêtres sans aération, absence de VMC double flux et même de VMC tout court, mauvaise pratique en terme d'usage des utilisateurs des locaux qui ne les ventilent pas assez, etc.), les substances polluantes volatiles ne peuvent être évacuées et se maintiennent, voire se stockent, dans l'habitation ou l'espace de travail. La communication des acteurs du milieu, que ce soit des pouvoirs publics, des artisans ou des fabricants de matériaux, est ici primordiale pour définir l'équilibre des moyens à mettre en place entre les impératifs environnementaux (économies énergétiques) et sanitaires.

Des conséquences sanitaires et financières terribles

Car la sous-estimation des enjeux de la qualité de l'air intérieur a des conséquences terribles, tant sur le plan sanitaire que financier. Les études menées depuis 1999 par divers organismes, tels que le CSTB ou l'OQAI, attribuent à la pollution de l'air intérieur de nombreuses pathologies : cancers du poumon et de la plèvre (exposition à l'amiante, au formaldéhyde, tabagisme passif, etc.), maladies allergiques (rhinite, conjonctivite, allergie alimentaire, etc.) dont l'asthme, qui touche 3,5 millions de personnes, difficultés respiratoires dues à des moisissures et l'humidité ambiante... Ces constats ont même donné lieu à l'identification d'un syndrome bien spécifique, le SBS (Sick Building Syndrome, ou syndrome des bâtiments malsains), qui désigne "un excès [...] de symptômes non spécifiques (céphalées, troubles de la concentration, asthénie, irritation cutanée ou des muqueuses nasales, oculaires et des voies aériennes supérieures) survenant chez des occupants de bâtiments non industriels" dont une des origines serait la mauvaise qualité de l'air intérieur (ainsi que des facteurs socioprofessionnels et psychologiques). Au total, l'ANSES a évalué à 20 000 décès par an les conséquences de la pollution de l'air intérieur !

Les incidences de ces aspects sanitaires sont importantes sur le plan financier. Une étude réalisée en fonction des indicateurs globaux de l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS), parue en 2011, a ainsi évalué le coût de la pollution de l'air intérieur entre 12,8 et 38,4 milliards de dollars (9,3 milliards à 27,9 milliards d'euros) ! L'ANSES a estimé pour sa part son coût à 19,5 milliards d'euros en additionnant le coût des vies perdues, des traitements médicaux, de la perte de productivité des salariés victimes et du coût pour les finances publiques en terme de recherche et de remboursement. En comparaison, le coût de la pollution de la qualité de l'air intérieur est estimé à 30 milliards d'euros pour l'ensemble des pays européens. Il est à noter que toutes ces estimations sont probablement bien optimistes alors que l'origine des pathologies n'est pas toujours parfaitement identifiée et que leurs effets sont encore sous-évalués, la faute au manque d'information et de recul sur certains types de produits.

Une réaction des pouvoirs publics inefficace ?

La qualité de l'air intérieur est donc plus que jamais un enjeu de santé publique. Depuis 1999 et l'émergence de la problématique, l'Etat a pourtant essayé de réagir de manière virulente sur les plans scientifique et pédagogique. D'une part, des outils de mesures des produits présents dans les atmosphères ont ainsi été mis en place par des organismes tels que le CSTB et l'ANSES, permettant de définir des seuils en fonction des substances détectées. De même, les efforts de recherche permettent régulièrement d'identifier de nouveaux produits nocifs présents dans notre air et leurs sources d'émission. D'autre part, un effort particulier est fait sur l'information des particuliers, émanant soit d'organismes publics, comme l'OQAI créé en 2001 à ce seul but, ou via des associations et ONG diverses. Le site "Mes courses pour la planète" publie ainsi un quizz permettant à des particuliers de mesurer la qualité de leur air intérieur. Le label HQE intègre maintenant la qualité de l'air intérieur dans l'évaluation des bâtiments. Enfin, les Défis Bâtiment et Santé ont placé au coeur de leur message la question de la qualité de l'air intérieur, notamment en ce qui concerne les Etablissements Recevant du Public (ERP).

Pour autant, l'efficacité de ces efforts est difficilement mesurable. D'une part, la politique de santé publique est trop récente, trop orientée dans la détection des produits pour mesurer les évolutions de la qualité de l'air intérieur et permettre un discours clair sur la démarche à suivre. L'absence de repères laisse la place à des élucubrations plus ou moins sérieuses, comme les plantes dépolluantes qui font l'objet d'une forte médiatisation sans que leur impact réel sur la qualité de l'air intérieur soit prouvé. Certains événements donnent ainsi lieu à des épisodes cocasses, lorsque la Préfecture de Paris conseille par exemple, lors de pics de pollution, de rester enfermé chez soi. Entre particules fines ou formaldéhyde, il faudra peut-être bientôt choisir !

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