jeudi 26 juin 2014

Nomination de Sylvia Pinel : déclassement ou centralité de la question du logement ?

La crise du logement oblige Manuel Valls à réagir... et Sylvia Pinel à regarder (source : lejdd.fr)

Ne nous le cachons pas. Le départ de Cécile Duflot a été plus qu’apprécié par une (grande) partie de la profession. Politiquement, l’ex-secrétaire d’EELV avait un certain poids et donnait du fil à retordre aux organisations patronales. Certes, un ministre fort pour une question aussi cruciale, sur fond de crise, est très important. Il peut ainsi porter les enjeux du secteur au plus haut niveau de l’Etat et négocier à son avantage les crédits budgétaires. Néanmoins, si ce poids politique est utilisé pour mettre en œuvre des lois qui ne répondent qu’à une petite partie des difficultés du secteur, à quoi cela sert-il ? La problématique centrale du BTP depuis deux ans, c’est la dynamique de croissance (construction de logements, rénovation du bâti). Pas l’encadrement des loyers (même s’il y a çà et là des abus).

Ainsi, on peut débattre à l’envi du bilan de Cécile Duflot au Ministère du Logement. Selon les arguments, on sera classé à gauche ou à droite, de plus ou moins de bonne foi, etc. Mais les faits sont têtus et il n’est pas usurpé de dire que la dure réalité du secteur aujourd’hui est un désaveu complet de la politique mise en œuvre depuis 2012. Certes, on peut toujours marteler que la loi ALUR est l’une des seules lois « de gauche » du quinquennat – on en est à ce niveau-là… – le mal est fait.

En effet, on s’achemine tout de même, en 2014, vers un plus bas historique dans la construction de logement neuf !! Or, selon les spécialistes, il en faudrait au moins 350 000 pour absorber le choc démographique. Sans parler du marché de la rénovation, plus que faiblard alors que les enjeux sont tout aussi conséquents.

Il s’avère ainsi que la défiance entre la ministre et les acteurs prédominants de la construction ne s’est jamais estompée depuis 2012, voire s’est accrue avec la volonté absolue de mettre en œuvre la loi ALUR. Or, la confiance est à la base de tout…

Toutefois, là où François Hollande et Manuel Valls avaient la possibilité de montrer leur prise de conscience des enjeux économiques réels du pays (et donc à sacrifier les ministres EELV), ils se sont finalement résolus à poursuivre une stratégie politique – (r)assurer les alliés radicaux de gauche – en nommant Sylvia Pinel au Ministère du Logement. Mais même si la surprise fut énorme, il apparaît en filigrane une reprise en main de ce ministère. A vous de juger. 

Sylvia Pinel, les us et coutumes du monde politique ou le déni des réalités

Le monde politique – et encore plus les journalistes politiques – est cruel. Dans un article la descendant en flèche, Hélène Bekmezian, du Monde, avance que la nouvelle ministre est "loin de faire l’unanimité, et rares sont les collègues prompts à la défendre. A l’évocation de son nom, les uns font la moue quand d’autres se mettent carrément à rire ; pour tous, il est simplement évident que Sylvia Pinel ne doit son portefeuille – ou presque – qu’au fait d’être femme, radicale de gauche et proche de Jean-Michel Baylet, le président de son parti [radical de gauche]. Et au fait que ce dernier a été mis en examen la veille du remaniement, empêchant son entrée au gouvernement".

Précédemment ministre déléguée (Ministère de l’Artisanat, au Commerce et au Tourisme), elle n’a pas laissé un souvenir impérissable. Et nombre de s’interroger sur sa montée en grade au sein d’un ministère de plein exercice sur un enjeu économique et politique essentiel.

La politique nous réserve décidément bien des surprises et, sans rentrer dans le poujadisme ni dans l’exécution médiatique, il est tout de même consternant de ne pas avoir des personnes compétentes à des postes clés. On a le personnel politique qu’on mérite, dit-on…

En outre, il est intéressant de noter qu’il n’a pas fallu trois mois après sa nomination pour lire ce genre d’articles… ni ceux concernant Cécile Duflot. La profession se lâche, par journalistes interposés. 

Une campagne qui va crescendo 

Les responsables politiques ont vite saisi l’urgence politique et économique de redresser un secteur très moribond. Mais comment desserrer l’étau sans remettre en cause la loi ALUR – et se mettre à dos une bonne fois pour toute EELV – ni passer pour des libéraux et des traîtres aux idées de la campagne de 2012… Dilemme politique, nécessité économique.

Le tam tam médiatique s’est accéléré avec l’article de Cyrille Lachèvre dans L’Opinion, traitant de l’excès de réglementation dans le secteur du logement ces dernières années. Finalement, la loi ALUR, ce "monstre juridique de plus de 85 articles porté à bout de bras par Cécile Duflot", n’est qu’un exemple parmi d’autres de ce mal français : la complexification à outrance. Au lieu de proposer des lois, l’urgence est de simplifier au risque de surcoûts dommageables pour la construction… et d’une incidence négative sur la création d’emplois. Or, comme le dit le journaliste, le gouvernement s’en inquiète et étudie des mesures correctrices.

A partir de ce moment, les salves anti-ALUR (Duflot, devrions nous-dire) se sont faites plus nombreuses. Alors que personne n’osait publiquement parler de ce sujet – le courage journalistique nous étonnera toujours –, une moisson d’articles est venue vilipender l’ex ministre… et surtout faire passer la pilule : la volonté du gouvernement, devant une conjoncture toujours morose, de sérieusement corriger la loi, voire de ne pas passer certains décrets. Bien sûr, les mots sont choisis méticuleusement : ce n’est pas une remise en cause mais une adaptation.

Néanmoins, la sortie de Manuel Valls fait mouche : "il faut une loi sur le logement, elle existe, mais si nous avons une loi sur le logement qui ne permet pas le redémarrage du logement, cela veut dire qu'il faut apporter un certain nombre de modifications". Inversement, en avançant que sa loi est "de gauche", Cécile Duflot joue la confrontation avec le Premier ministre. Or, au travers de ces échanges pointent les enjeux de pouvoirs dans le monde politique. 2017 n’est pas très loin…

Certes, la réalité est complexe et les freins à la construction sont plus nombreux et insidieux qu’il n’y paraît. De même, certains prennent la défense de l’ex-ministre, quand d’autres jouent la démagogie et les analyses à l’emporte-pièce. Pourtant, la conclusion semble entendue : la faute est celle de Cécile Duflot et de sa loi ALUR. 

Et si finalement, la construction était LA priorité du gouvernement ? 

Concernant Sylvia Pinel, sa nomination pourrait constituer finalement une heureuse surprise : sans charisme, ayant peu de poids politique, elle ne viendra pas s’opposer aux industriels. D’ailleurs, ceux-ci préfèrent directement s’en remettre à Matignon – via les conseillers de Manuel Valls en charge du logement, Loïc Rocard et Frédérique Lahaye – pour se venger de Cécile Duflot en flinguant la loi ALUR. L’ex ministre du logement ne s’y trompe d’ailleurs pas. Les lobbies exercent une "pression délirante".

Le déclassement de Sylvia Pinel est pourtant acté, rien qu’à lire l’interview de Manuel Valls le 25 juin dans le Parisien. Sachez dorénavant qu’en France, le Premier ministre s’occupe des questions de logement. Il annonce les mesures, à charge de Sylvia Pinel de faire l’intendance : une communication en conseil des ministres pour la forme.

Idem quelques jours plus tôt lorsque Ségolène Royal présente les grands axes du nouveau modèle énergétique français. Le bâtiment a pourtant une place centrale dans la problématique de la transition énergétique mais le sujet est porté par le Ministère de l’Ecologie, du Développement durable et de l’Energie. Ségolène Royal a d’ailleurs coprésidé la conférence bancaire et financière sur le financement de la transition énergétique, au côté de Michel Sapin, Ministre des Finances. Certes, en présence de la Ministre du Logement Sylvia Pinel. Il faut bien sauver les apparences…

Pour finir, le Ministère de l’Economie est également de la partie. Arnaud Montebourg, auréolé de ses résultats à la hauteur des enjeux concernant l’affaire Alstom, garde une écoute attentive des problématiques des industriels. Ces derniers ne s’y trompent d’ailleurs pas. Avec l’éviction de Duflot, ils ont compris que la défense de leurs intérêts payait, notamment via le travail de leurs syndicats professionnels. Comment comprendre, dès lors, la nomination de Paul Jallon, directeur de la recherche et développement de Knauf, à la présidence de l’Association française de l’isolation en polystyrène expansé dans le bâtiment (AFIPEB) ?

Ainsi, il ne faut pas se tromper sur la place de la construction dans l’agenda politique et économique du gouvernement. L’urgence impose des choix et la reprise en main par Matignon augure de bonnes choses pour le secteur. De toute manière, on ne peut pas tomber plus bas. Quant à l’éviction de facto de Sylvia Pinel, est-elle si cruelle ? Réaliste plutôt, au regard de l’urgence de redynamiser un secteur essentiel pour l’emploi.

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