jeudi 24 octobre 2013

Ecotaxe, la bataille du chacun pour soi

Ecotaxe poids lourds, moyen de financements du BTP (source : DREAL Bretagne)
Décidément jamais à court d’idées fiscales, le tout dans un joyeux foutoir médiatique et communicationnel, le gouvernement a pourtant une bonne occasion de démontrer un certain sens économique – et donc politique – avec ce qui est une avancée fondamentale pour notre pays : l’écotaxe. En effet, celle-ci doit s’analyser comme un transfert financier permettant d’impulser de nouvelles habitudes, bénéfiques pour l’environnement, chez les acteurs économiques. Problème : il faut un temps d’adaptation pour changer les comportements alors que les principaux syndicats professionnels, dans un contexte économique très tendu, voient l’écotaxe comme un nouveau tour de vis fiscal… Avec ses vainqueurs et ses perdants… au détriment de l’environnement et de la compétitivité nationale.  

Il est dorénavant convenu que les enjeux environnementaux doivent structurer notre manière de penser et de faire. Plus précisément, il convient de s’interroger sur les manières d’amener l’acteur économique, qu’il soit producteur ou consommateur, public ou privé, à prendre en compte l’environnement dans sa prise de décision. La taxe est un de ces moyens, dont l’objectif est d’internaliser les dommages engendrés par l’activité d’un agent qui en rejette le coût sur la société. Ainsi, une écotaxe est une charge versée par les entreprises dont les activités industrielles sont polluantes et nuisent à l’environnement. De ce fait, on comprend aisément qu’elle puisse s’appliquer aux transports routiers. Elle fut ainsi un des projets adoptés par la Loi Grenelle Environnement de 2009, sorte de redevance kilométrique qui vise à faire payer aux véhicules de transport de marchandises – vides ou chargés, français ou étrangers – de plus de 3,5 tonnes l’usage des 15 000 kilomètres de réseau routier national non concédé.

Ce type de fiscalité a pour objectif final de favoriser des modes de transport plus respectueux de l’environnement (fret maritime, fluvial ou ferroviaire), de la part des chargeurs (propriétaire de tout ou partie d’un lot de marchandises transporté) mais également inciter les sociétés de transport à se doter de camions plus écologiques. Toutefois, comme toutes lois en France, des exceptions existent…

Le diable se niche dans les détails. 

Applicable au 1er janvier 2014, l’écotaxe a une multitude de spécificités qui nuisent à sa compréhension et donc à son acceptabilité, qui plus est dans un contexte économique tendu. Ainsi, comme le rappelle Ecomouv’, la société en charge de la conception du dispositif, « les taxes sont calculées en fonction de la catégorie de véhicules utilisée. La taxe est majorée entre 10 % et 20 % pour les véhicules les plus polluants et minorées de 15 % pour les moins polluants ».

Certes, on peut comprendre cette nécessité de progressivité de la taxe, afin de récompenser les acteurs vertueux. Mais que dire de l’abattement sur le taux kilométrique obtenu par trois régions – Bretagne (50 %), Aquitaine et Midi-Pyrénées (30 %) – au titre de leur éloignement de l’espace européen ?! Y-aurait-il des parties de l’Europe plus utiles que d’autres ? On rentre là dans des petits jeux bureaucratiques visant à faire payer le voisin et qui est source de ressentiment et d’inflation bureaucratique. Ces trois régions ne vont-elles pas recevoir une partie des fonds perçus par l’écotaxe ? Existe-t-il un abattement dans ce cas-ci afin de plafonner l’argent versé ? Évidemment non.

Qui paye ? Quel rendement du dispositif ?

Qui dit taxe, dit payeur. Et à ce petit jeu, évidemment, les consommateurs sont souvent les perdants. En effet, logiquement (tout est dans ce terme), la taxe est payée par les transporteurs… mais sera répercutée sur les chargeurs voire sur les consommateurs, mais de manière limitée selon le gouvernement. Là, la complication commence. En effet, selon certains calculs, l’écotaxe induira une augmentation du coût du transport de l’ordre de 4,1 %. Or, le gouvernement estime que la part du transport dans le prix final est de 10 %. Par conséquent, toute hausse des coûts de transport aurait un effet minime. Quid ? Les consommateurs pâtiront-ils cette "légère" hausse ?

Par ailleurs, le coût de la collecte de cette taxe fait débat : pas moins de 250 millions d’euros (pose et entretien des portiques, collecte, système informatique, équipements de contrôle, etc.), soit près de 22 % de la somme collectée s’élevant à 1,150 milliard par an. De quoi s’interroger sur l’efficacité (pour ne pas dire rentabilité) du dispositif. Ecomouv’ va percevoir plus que les collectivités territoriales, qui vont toucher 150 millions pour qu’elles entretiennent chacune leur part du réseau routier. Le restant (750 millions d’euros) ira à l’Agence de Financement des Infrastructures de France, afin de financer des infrastructures de transport alternatives à la route.

Les syndicats de transporteurs routiers contre les agriculteurs.

Bien évidemment, tout projet fiscal déclenche un battage médiatique de la part des élus et des organisations professionnelles, avec manifestations, prises de bec et propos bien sentis à la clef. Et le landerneau breton, vent debout contre l’écotaxe, n’y échappe pas. Ainsi, le 22 octobre, les syndicats agricoles, très présents dans la région, ont réalisé une démonstration de force avec le soutien officieux et officiel des sommités politiques. Pour eux, l’écotaxe n’est plus ni moins qu’une gabelle des temps modernes. En effet, selon la FNSEA, l’écotaxe poids lourds coûtera entre 1,3 et 1,8 milliard d’euros au secteur agricole, au niveau national… quand le Ministère de l’Agriculture table sur 400 millions tout au plus. Quant au Ministre des Transports, Frédéric Cuvillier rappelle « que grâce à un système de péréquation, [la Bretagne] sera largement bénéficiaire de l’effet redistributif de l’écotaxe : pour 42 millions d’euros de contribution chaque année, elle recevra 135 millions chaque année et pendant les cinq prochaines années pour l’amélioration de ses infrastructures de transport ».

Concernant les fédérations de transporteurs routiers (FNTR, TLF et Unostra), qui savent assurément se retrouver pour défendre leurs intérêts bien compris, elles se sont exprimées dans un communiqué commun. Bien qu’opposées de façade à l’écotaxe, elles restent lucides sur la situation budgétaire nationale et n’imaginent pas une seconde que le gouvernement se prive de 750 millions annuels de financement des infrastructures. Aussi, leur stratégie vise à contrôler la mise en place de l’écotaxe et éviter que le secteur des transports soit le seul à en pâtir. De fait, elles cherchent à préserver le mécanisme de majoration forfaitaire de leurs prix, indissociable selon elles de l’écotaxe. Par conséquent, la plupart des fédérations de transport (celle proche des PME veulent un retrait de l’écotaxe) cherchent à prévenir tout retournement du gouvernement en faveur des syndicats agricoles.

Et le BTP dans tout ça ? 

Bien entendu, la Fédération nationale des travaux publics soutient la mise en place de l’écotaxe, en rappelant qu’elle n’est pas un énième prélèvement destiné à renflouer le déficit budgétaire mais qu’elle garantirait une source de financement non négligeable et pérenne des infrastructures. Et de rappeler que celles-ci sont un fondement important de la compétitivité française et qu’elles doivent être constamment modernisées et entretenues. A la clé, 4 000 emplois générés… mais surtout un stimulant salvateur pour un secteur qui a largement décroché du reste de l’économie française, affichant une baisse de son activité de 3,4 % en 2013 et la destruction de 6 200 emplois.

Dans cette bataille des intérêts catégoriels, le gouvernement a réaffirmé la mise en place de la taxe en janvier 2014. Il serait alors désastreux pour lui de reculer dans les prochaines semaines : pas en repoussant l'écotaxe, ce qui apparaît difficilement imaginable, mais en l'amendant et en la dénaturant. A vouloir ménager la chèvre et le choux, on se retrouve souvent le dindon de la farce... L'affaire Leonarda est là pour le rappeler.

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1 commentaire:

  1. Et qui va investir en Bretagne avec un coût de transport qui ne peut qu'évoluer à la hausse ? Si, dans les DOM-TOM l'octroi de mer favorisait le développement d'industriel, ca se saurait.
    Moi, on m'a proposé récemment un investissement à quelques kilomètres de Pont-de-Buis, j'ai refermé le dossier.
    Courageux mais pas téméraire !

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