vendredi 4 octobre 2013

Le scandale de l'esclavage moderne dans le BTP

La reine Beatrix de Hollande rencontre des ouvriers de la SHELL à Doha (crédits : Robin Utrecht/Royal Images/ANP/AFP)
Quand Sepp Blatter, le puissant président de la FIFA, faisait part de ses regrets d'avoir attribué la Coupe du monde de football 2022 au Qatar, pensait-il aux milliers d'ouvriers qui allaient périr sur les chantiers ? Pas vraiment... Mais un article très documenté du journal anglais le Guardian, paru le 25 septembre dernier, a révélé que plus de 40 ouvriers originaires du Népal étaient décédés entre le 4 juin et le 8 août, du fait des mauvaises conditions de vie et du travail forcé. Si ce rythme devait se maintenir, près de 4 000 travailleurs pourraient ainsi mourir pour que des millions de téléspectateurs se régalent des dribles de Messi.

L'esclavage et le travail forcé dans le BTP ne sont pas vraiment une nouveauté. Est-il nécessaire de rappeler qu'il aurait fallu 10 millions d'ouvriers morts pour ériger la Grande Muraille de Chine ? Et si à l'époque, la grandeur et la sécurité d'une civilisation justifiaient tous les sacrifices (et surtout ceux des esclaves issus des rapines et des razzias), l'organisation des JO ou d'une coupe de monde, même de football, ne vaudra jamais le moinde décès. C'est une évidence. Or, aujourd'hui, 150 ans après que la plupart des pays aient aboli l'esclavage, l'International Labour Organisation (ILO), une agence des Nations Unies, estime qu'il existe près de 21 millions de personnes dans le monde en état de servitude, dont plus de la moitié proviendrait d'Asie. Malheureusement, le secteur du BTP n'échappe pas à ce triste phénomène.

Esclavage moderne et BTP

A l'origine, le terme d'esclavage désignait la condition d'une personne qui devient la propriété d'un individu ou d'une personne morale. Aujourd'hui, selon l'organisation Anti-slavery, l'esclavage moderne possède plusieurs caractéristiques :
  • Le travail forcé,
  • La notion de propriété, l'esclave est un "objet", une "marchandise", vivant sous la menace de sévices physiques et psychologiques,
  • La séquestration.
L'esclavage moderne prend alors diverses formes, entre paiement des dettes, exploitation sexuelle des femmes et des enfants, traite, etc. Dans le BTP, la principale forme d'exploitation est le travail forcé. Des filières de migration sont organisées, soit par des organisations criminelles, soit avec le soutien des Etats (comme le Népal, le Pakistan ou encore l'Inde), qui proposent à des travailleurs pauvres de rejoindre des chantiers situés à l'étranger pour quelques mois, une année ou plus. Le séjour est clé en main, les salaires attractifs, et quelques travailleurs, retournés, viennent témoigner de leur bonheur.

Arrivés à destination, les migrants sont immédiatement privés de leurs passeports et découvrent l'envers du décor : travail sous une chaleur de plomb (50°c au Qatar), logements bondés et insalubres, salaires impayés et impossibilité de rompre le contrat ou de s'échapper. Parfois, comme en Chine lors de la construction des infrastuctures des JO de Pékin en 2008, les travailleurs voyaient leur famille menacée. Masqué par l'enthousiasme ambiant à l'approche de tels événements, la population comme les experts jettent souvent un voile pudique sur ces scandales humains. Et que dire des sociétés de BTP européennes présentes au Qatar, qui sont témoins voire complices de ce type de traitements !

En France et en Europe aussi !

Le fait que la moitié des cas recensés d'esclavage se trouvent en Asie ne doit pas occulter la responsabilité des organisations occidentales, comme la FIFA ou le comité olympique. Sans oublier qu'à des échelles moindres, ces phénomènes existent également dans le BTP européen, comme en témoigne cette vidéo de France 3 datant de 2009 à Lyon ou encore ce reportage d'Envoyé Spécial de 2013 :

Selon Yann Guillaud, auteur d'une étude sur Le travail forcé en France, l'augmentation de la sous-traitance, la concurrence exacerbée voire déloyale, le dumping social sont autant de phénomènes qui poussent certaines sociétés de BTP criminelles à avoir recours au travail illégal et forcé. Soumis à des pressions et des enjeux énormes, la résistance à toutes pratiques qui tendraient à voir l'être humain comme une marchandise corvéable à merci est à promouvoir plus que jamais, alors même que des cérémonies annuelles célèbrent régulièrement l'abolition de l'esclavage. Espérons que le jour du lancement de cette coupe du monde controversée, certains joueurs et journalistes se rappelleront que le stade dans lequel ils sont a été construit sur les corps de centaines voire de milliers d'ouvriers népalais, indiens et pakistanais.

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